Titre
original:
Genroku
chushingura |
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Réalisateur: MIZUGUCHI Kenji |
Année: 1941 |
Studio: Shochiku
Genre: Drame |
Avec:
ARASHI Yoshizaburo ICHIKAWA Utaemon
KAWARASAKI Chojuro KAWARASAKI Kunitaro |
dre |
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Patrie et loyauté
En pleine seconde guerre mondiale,
les studios de la Shochiku annoncent à grands renforts de
publicité la mise en chantier d'une nouvelle version de la
légende des 47 Ronins. Conçue pour redonner du baume au
cur des japonais par sa superbe et sous-texte patriotique, Mizoguchi ne
peut bien évidemment s'empêcher de se réapproprier le
matériel d'origine à ses propres fins.
L'histoire des 47 ronins
est aujourd'hui parmi les légendes samouraïs les plus connues.
Maintes fois adaptées depuis sous forme de romans, pièces de
kabuki et séries télévisées, elle glorifie une
certaine idée des sentiments valeureux et idéaux convaincus. Les
faits réels se déroulent sous le règne du shogunat
Tokugawa en 1701. Le shogun Tsunayoshi contrôle la province d'Edo. En
signe de respect envers son Empereur, il lui rend un important hommage aux
célébrations de la Nouvelle Année ; en guise de
remerciements, Tokugawa annonce une prochaine visite de son prestigieuse
infanterie et de membres de la Cour Impériale à Edo. Afin de les
recevoir dignement, Tsunayoshi désigne les daimyos (seigneurs
féodaux) Asano et Date comme ses représentants et le hautement
officiel Kira pour superviser le tout. Ce dernier était connu comme vil
et avide de richesse, abusant de ses pouvoirs pour diriger ses
subordonnés. Sa collaboration avec Asano se passera extrêmement
mal, l'accusant de ne lui payer suffisamment de cadeaux prestigieux pour son
inestimable support. Il poussera le jeune Seigneur à bout de nerfs et le
condamne à commettre le seppuku - une forme dérivée du
hara kiri - après qu'Asano ait offensé Kira en l'éraflant
de son épée à l'intérieur du château d'Edo.
Cet acte aura pour conséquence le déshonneur du Seigneur et de sa
famille, la confiscation de son château et la dissolution de sa garde
composée de 321 samouraïs. Une partie de ses plus loyaux serviteurs
décident alors de le venger. A la tête de soixante hommes,
l'ancien samouraï Oishi complote le prochain assassinat de Kira. Afin de
dissiper tout soupçon, il feint de sombrer l'alcool dans la banlieue
malfamée de Kyoto. Deux ans plus tard - une fois la méfiance de
Kira adoucie - dans la nuit du 14 décembre 1702, 47 samouraïs
prennent d'assaut le château du haut officiel ; ils arriveront à
capturer leur ennemi juré en ne perdant qu'un seul homme. Kira refusant
de se donner la mort de ses propres mains, ils lui trancheront la tête
avec l'épée ayant servi à la mise à mort d'Asano et
déposeront la dépouille sur la tombe de leur ancien Seigneur en
guise d'hommage.
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Lors du procès ensuivant
leur action, le shogun Tsunayoshi aura du mal à rendre un verdict.
Impressionné par la fidélité des samouraïs
vis-à-vis de leur ancien Seigneur, il ordonne finalement à ce que
les ronins se donnent le seppuku le 04/02/1703. Une commémoration
officielle sera célébrée en leur honneur et ils seront
enterrés dans une tombe commune à côté de leur
ancien maître. L'épisode sera immédiatement
récupéré par le monde des Arts. Le dramaturge SOGA en tire
une pièce kabuki sous le nom de L'attaque de nuit à l'aube
seulement deux semaines après la condamnation à mort des ronins.
La représentation sera interdite, mais de nombreuses autres adaptations
sous forme de kabuki ou bunraku verront le jour par la suite, la plus
célèbre étant le spectacle pour marionnettes de 1748
(Kanadehon) Chushingura par Takeda IZUMO. Afin de contourner une
sévère censure apparaissant quelque temps après, les
événements seront réadaptés et l'intrigue
transposé au XIVième siècle avec les noms des personnages
et des lieux différents. Une légende ironique dans le milieu du
show-business veut, qu'un studio en difficultés financières n'a
qu'à mettre en chantier une nouvelle version des aventures des ronins
pour s'assurer de son succès ; depuis l'avènement du
cinéma et de la télévision, Les 47 ronins ont donc
été adaptés un nombre innombrable de fois sous toutes les
formes. Le film de Mizoguchi prouvait finalement le contraire.
La seconde guerre mondiale bat son
plein et le monde cinématographique est en plein émoi.
Techniciens et spectateurs masculins sont partis au front, les salles sont en
grande partie détruites. Tous les studios de production connaissent des
difficultés financières en raison du recensement
économique, d'une main d'uvre rare et d'une distribution
insuffisante de leurs copies. Afin de redorer leur blason, les studios de la
Shochiku annoncent à grands renforts de publicité la mise en
chantier d'une nouvelle adaptation des aventures des 47 ronins. Avides
de se positionner en chef de file sur leurs concurrents, de divertir un public
terrifié par la guerre et de plaire aux autorités en se servant
de la légende comme une forme de propagande à la gloire de leur
Empereur, ils promettent du grand spectacle. Mizoguchi est chargé
d'assurer la réalisation. Leur choix n'est pas innocent, sachant,
certes, que le réalisateur est loin d'être un homme
expérimenté dans le domaine de fresques épiques et
scènes de bataille, mais il jouit d'une bonne réputation pour la
réalisation de films de commandes et ayant eu la reconnaissance des
autorités pour ses pamphlets patriotiques - réalisés
malgré lui - Ah ! Le Pays Natal et Le Chant de la caserne.
Jouissant d'une entière
liberté artistique et d'un budget élevé, Mizoguchi
n'entend bien évidemment pas se soumettre une nouvelle fois aux simples
désirs de ses producteurs. Il opte pour l'adaptation de la pièce
Genroku Chushingura de Seika Mayama, une relecture pessimiste et noire
de la légende s'attachant à dépeindre les tourments
intérieurs des samouraïs, plutôt que d'expliciter leur prise
d'assaut héroïque du château de Kira. La
pré-production ne se déroulera pourtant pas sans heurts, le
cinéaste ayant du mal à trancher dans le matériel
d'origine pour finalement arriver à deux parties d'une durée
totale de 220 minutes. Il choisit méticuleusement les accessoires,
demande la recréation en studio de bâtiments, jardins et
même du château et réussit à superbement retranscrire
la fidèle vision de l'époque. Le tournage en lui-même
excédera de loin temps et budget impartis et vaudra la démission
des responsables de production et même la faillite des studios de la Koa
impliqués sur la première partie. Le premier métrage sera
un cuisant échec, mais n'empêchera pas les hautes autorités
japonaises d'ordonner la mise en chantier de la seconde partie, qui aura
finalement le malheur de sortir en salles une semaine avant l'attaque de Pearl
Harbor.
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Malgré l'immense
popularité des 47 samouraïs jusqu'à nos jours - leur tombe
étant un véritable lieu de pèlerinage pour de nombreux
japonais - leur acte n'est pas sans controverse. Quelques théoriciens
pointent du doigt l'inaction des guerriers de près de deux ans comme de
la lâcheté, attendant que Kira meure d'une mort naturelle (il
avait plus de soixante ans, un grand âge pour l'époque) ; d'autres
dénoncent le désir de vengeance comme un bas assouvissement, les
samouraïs ayant dû accepter la décision d'un haut
fonctionnaire. Mizoguchi en tire une version très personnelle, en
présentant des hommes rongés par leurs tourments
intérieurs. Plutôt que de se concentrer sur les parties d'action,
il met en scène de longues planches dialoguées ou - au contraire
- des scènes muettes mettant à jour les réflexions
intériorisées. La composition des cadrages est
particulièrement élaborée. Jamais encore Mizoguchi n'avait
mis autant d'importance sur la décomposition géométrique
de ses plans, du placement de ses personnages jusqu'au choix des
positionnements de la caméra. Si l'unité de groupe est
parfaitement représentée par le grand nombre des protagonistes
à être présents dans la plupart des longs
plans-séquences, ils se retrouvent pourtant souvent isolés les
uns des autres, livrés à eux-mêmes dans leurs propres
réflexions. Les discrets mouvements de caméra dévoilent
des personnes auparavant invisibles, prouvant une nouvelle fois l'unité,
mais également leur isolement respectif.
Le public était
évidemment décontenancé par le manque d'action et
Mizoguchi avait su décevoir leurs attentes de spectacle de
manière quasi perverse : introduisant chacune des deux parties par un
court affrontement, il élucidait les scènes de bataille par
d'habiles procédés ; ainsi l'attaque finale du château
n'est décrite que par la simple lecture d'un rapport. Il pousse
même le vice jusqu'à éclipser les scènes de seppuku
d'Asano, puis des 46 ronins restants en fin de film. Habile rappropriation du
matériel d'origine, le cinéaste préfère se
concentrer sur un personnage féminin lors du final et de s'attacher
à son suicide en signe de détresse, fidèle à sa
thématique de la condition de la femme condamnée par la
société et par la force des choses. Le film ayant
été prévu comme élément indirect de
propagande par ses producteurs, les quelques éléments clairement
visibles (patriotisme, fidélité envers leur Seigneur
jusqu'à mourir pour lui, se battre pour un idéal
) laissent
un léger arrière-goût, mais sont compensés par
l'habile détournement dans les limites du possible du cinéaste
par rapport aux intentions premières.
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Loin
du spectacle foisonnant attendu, Mizoguchi retranscrit de manière
talentueuse l'essence même du combat intérieur
et de la philosophie bushido (code éthique samouraï
de la bonne conduite). D'une méticulosité perfectionniste,
il recrée superbement le décor d'un XVIIième
siècle réaliste, assure une mise en scène
étonnante de maîtrise et dirige ses (nombreux)
acteurs avec un rare talent. uvre un brin trop austère
et longuette, elle n'en demeure pas moins un classique loin
de toutes les condescendances exigées au départ. |