.TODA Hiroshi : Courts et Moyens-Métrages (1985–1994)
 

Gloss (1985)

DE : TODA Hiroshi  Avec: TODA Hiroshi, KODAMA Toshie

Un malade mental tente d'échapper aussi bien à son emprisonnement physique que mental. Se basant sur son expérience professionnelle en psychiatrie, Hiroshi TODA imagine les visions tourmentées d'un malade mental interné. L'introduction dresse ainsi le parallèle entre son enfermement physique (prisonnier d'une cellule) et celui fantasmé (prisonnier d'une sorte de tunnel). Après avoir été soumis à un traitement à base d'électrochocs, l'homme réfléchit au meilleur moyen de s'échapper. Calqué sur le principe de films américains de prison, il réussit à fabriquer une clé à l'aide de cire lui permettant de gagner la liberté. Sa fuite n'est qu'illusion, comme le prouvera le surprenant final.

Après un début introspectif et claustrophobe, TODA rompt le ton par une série de plans fixes d'une Nature vierge et apaisée. Une calme rivière ruisselante, un paysage montagnard embrumé et une forêt tranchent singulièrement avec l'univers carcéral dépeint auparavant; les métrages suivants du réalisateur confirmeront l'importance accordée à la force des éléments terrestres au sein de ses œuvres. Une fois en ville, le voyage en métro aérien n'est pas innocent : une nouvelle fois "enfermé", l'homme est pourtant libre de se déplacer d'un endroit à l'autre et entouré de vitres lui permettant de voir l'extérieur. Cette échappée ne dure pourtant qu'un temps. L'homme arrive dans le tunnel déjà aperçu plus tôt dans le film. Il revit l'acte commis dans un passé indéfini et pour lequel il a été placé en hôpital psychiatrique. Ethérée, la réalisation de la scène rappelle un certain cinéma surréaliste de Bunuel ou – plus proche de nous – celui de jeunes auteurs français typique des années '80s, tels que Bertrand Blier ou Leos Carrax. Les images se mélangent, un mystérieux homme prête une hache avant de s'attaquer lui-même au malade mental. Les frontières du réel s'embrouillent – est-ce que tout ceci n'a finalement pas été qu'un fantasme de plus dans l'esprit tourmenté du jeune patient ? Et à TODA d'avoir réussi d'amener le spectateur au tréfonds même du tortueux esprit d'un malade mental. Tourné à l'intérieur de l'institution dans laquelle TODA exerçait son métier d'infirmier en psychiatrie à l'époque, il réussit à synthétiser son métier de manière fort convaincante.    

For me and my gal (1988)

DE : TODA Hiroshi  Avec: KONDO Mitsunori, Rinka

(Le métrage n'entretien aucune relation avec la comédie musicale éponyme de Bubsy Berkeley de 1942).

Curieux essai absurde non dénué d'humour, l'histoire conte la rencontre fortuite entre deux personnages – une récurrence dans la future filmographie du réalisateur. Un homme aide une voisine à porter des sacs poubelle avant d'aller au travail. A sa grande surprise, elle l'attend le soir venu pour l'inviter à prendre un verre chez elle. Pensant avoir une chance de coucher avec elle, l'homme n'est pourtant pas au bout de ses peines…

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La curieuse invitation à prendre un verre chez la voisine se transforme bientôt en un laborieux face à face entre deux inconnus. N'échangeant quasiment aucun mot, il se dégage un certain humour dans leur impossibilité à communiquer ainsi que dans leur mutuelle incompréhension. Le curieux décalage de la belle inconnue renforce encore la gêne ressentie par son invité. Alors qu'il ne pense qu'à coucher avec elle – comme le souligne le bref insert sur les pieds dénudés qu'elle lave en entrant dans son appartement – elle ne répond nullement à ses attentes. Pire, elle adopte un comportement des plus curieux, en lui servant carrément une grosse moitié d'un gâteau sommairement tranché en deux. Plus tard, elle commande des nouilles, qu'elle va lui interdire de manger, avant d'en re-commander d'autres. Elle l'accompagne également jusqu'aux toilettes en patientant devant la porte, le temps qu'il ait fini de se soulager. La brève inspection des lieux de son hôte fait découvrir à l'homme un curieux collage de photos d'oeils et d'autres parties de corps à même le plafond. De l'incompréhension mutuelle et de l'insatisfaction naît finalement de la lassitude chez l'homme. Après avoir été jusque dans le lit de la jeune femme, il se rhabille pendant qu'elle mange goulûment un nouveau plat de nouilles apporté par un coursier. Son départ va pourtant provoquer une réaction totalement inattendue de la part de la jeune femme…

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Sujet à de multiples interprétations, TODA essaie d'explorer une constante dans son œuvre à venir : l'incompréhension entre deux inconnus débouchant sur un acte désespéré. Pour le cinéaste, il n'existe aucune relation humaine, dans laquelle deux êtres se comprendraient à 100 %. La communication naît de la solitude, l'humain étant naturellement enclin à chercher la communication à un moment ou un autre pour ne pas perdre sa propre raison. En revanche, les rencontres ont souvent lieu au hasard de la vie et pas forcément entre des êtres faits pour s'entendre. Le film démontre brillamment cette réflexion : d'une rencontre fortuite naît un début de relation qui amène des problèmes de communication (ils n'ont apparemment rien à se dire et l'homme n'arrive à appréhender le comportement pour le moins étrange de la femme). De ce décalage va naître un sentiment de gêne, de mutuelle incompréhension, puis de frustration. L'homme se rhabille pour aller retrouver sa solitude; la femme tente un dernier acte désespéré, ne sachant comment le retenir par ailleurs. Par la noirceur de sa fin, TODA semble dire qu'il ne voit aucune solution positive à cette incompréhension. ‘Wayajan’ confirmera cet état de fait; par la suite, ses idées iront en évoluant mais en pointant  toujours ce problème de la société nipponne. A l'origine, il existait une suite, où la femme n'avait fait que simuler son dernier acte, avant que les deux personnes reprennent chacun de leur côté une vie quotidienne; une vision qui aurait été plus en phase avec l'actuel mode de pensée du cinéaste. Contrairement à tous ses autres films, aucun plan n'est tourné dans des lieux chéris de Nature. De l'aveu même de son réalisateur, 'For me and my gals' est avant tout une expérimentation sur la manière de maintenir sur la durée une tension dans un lieu clos.

Wayajan (1991)
DE : TODA Hiroshi  Avec : KONDO Mitsunori, YAMAMURA Katsuhrio

Un homme d'affaires part faire du camping sauvage en 4x4. En passant un pont à la nuit tombée, il est arrêté par un mystérieux vagabond qui va dès lors lui tenir compagnie. Très vite agacé par les manières insouciantes de son compagnon de route, le vacancier va réussir à semer son passager. Mais c'était sans compter sur les multiples ruses du dernier pour ne pas rester sur le bord de la route…

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Bien que réalisé d'après une idée de l'interprète – et co-scénariste de plusieurs films – Katsuhiro YAMAMURA (le "vagabond"), "Wayajan" pourrait être la suite de "For me and my gal". Outre Mitsunori KONDO une nouvelle fois dans le rôle-titre, l'intrigue réunit un improbable tandem au détour d'une rencontre fortuite. Dans l'impossibilité de pouvoir communiquer correctement, l'employé est rapidement énervé par les petites manies de son compagnon de route imprévu. Exigeant de nombreux arrêts, le vagabond a pour habitude de chercher des fossiles (passe-temps favori de TODA lui-même) ou de jeter les canettes vides à l'arrière de la voiture. Le vacancier ne sait comment faire comprendre qu'il aimerait continuer la route tout seul; il abandonne donc tout simplement son passager au bord de la route lors d'un de leurs fréquents arrêts. Après le retour inopiné du vagabond, l'inévitable issue arrive pourtant de manière surprenante. Poussé à bout, le vacancier recourt à une solution extrême en se débarrassant une fois pour toutes de son gênant compagnon. En cela, TODA prolonge sa réflexion de la mort comme seule issue possible à un tel conflit. Réunis par une étrange circonstance, rien ne sera jamais explicité quant au mystérieux personnage du vagabond : ni ses origines, ni la raison de ses étranges manies, ni le comment de sa soudaine réapparition. Tout comme dans "For me and my gal", les situations se posent en tant que telles sur le cahotant chemin de la vie d'une personne qui ne sachant comment réagir se trouve être poussée jusqu'à à l'extrême.

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TODA adopte une nouvelle fois une mise en scène lancinante essentiellement composée de longs plans fixes. Tout comme dans certains films de la Nouvelle Vague Française, l'action résulte de l’inaction; des simples instants se transforment en une structure cohérente, largement basée sur le banal quotidien de nos propres vies, ne serait-ce le fil conducteur teinté de surréalisme. La Nature est ici omniprésente, les hommes faisant du camping sauvage dans une région boisée. Tantôt apaisante, elle peut également paraître menaçante en raison de son faux calme trompeur face à la montée en violence du conflit des deux hommes; voire même motiver un retour à l'état sauvage du vacancier. Etrange et insaisissable, il faut une nouvelle fois se laisser happer par la singulière atmosphère dans laquelle TODA baigne ses personnages pour pleinement apprécier le film.

Summer Lady (1993)
DE : TODA Hiroshi  Avec: TODA Hiroko, TODA Satoko, TODA Hiroyuki, TODA Hiroshi

Une femme au foyer parfaitement épanouie trompe son ennui en s'immisçant le temps d'un été dans des appartements vacants choisis au hasard. Dix ans avant le génial "Locataires" de KIM ki-duk, Hiroshi TODA imagine déjà la trame similaire d'une femme s'immisçant dans la vie privée de ses compatriotes en visitant leurs appartements inoccupés. Contrairement à ce qui se passe dans le film coréen, l'épouse ennuyée ne passe que quelques heures dans les appartements et ne range ou répare pas les affaires des occupants. Le vol d'une arme à feu dans l'un de ses endroits visités ne donne une nouvelle fois pas lieu à un gratuit ou spectaculaire dénouement improbable. Au contraire, la femme ne l'utilise que pour l'essayer en tirant sur un verre dans une forêt. Cet acte prouve qu'elle ne cherche en aucun cas à faire du mal; mais simplement à briser une barrière psychologique en commentant quelque chose qu'elle n'aurait commis avec une simple vie de femme au foyer.

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Tout ceci ne dure qu'un temps, comme en témoignent les polaroïds qu'elle prend au cours de ses "visites" et qu'elle finit par jeter en conclusion de film. C'est la fin de l'été et la fin d'une brève période particulière de sa vie; un secret qui n'appartient qu'à elle. Dans les rôles-titres, TODA met en scène son entière famille (sa femme et ses enfants) et apparaît lui-même pour interpréter un employé rentrant fatigué à la maison avant de repartir au travail. Une parenthèse enchantée dans son œuvre, le résultat ne manque de charme.

Summer Park (1994)
DE : TODA Hiroshi   Avec : TODA Satoko, MURAKAMI Satoko, TODA Hiroko,   TODA Hiroyuki

Un jour d'été dans un parc, une femme (ayant perdu son enfant) et une petite fille (abandonnée par ses parents) se retrouvent pour passer un après-midi ensemble. En partant du traumatisme enfantin personnel qui lui faisait redouter qu'un jour ses parents puissent l'abandonner, TODA filme une nouvelle fois la rencontre fortuite entre deux êtres; mais plusieurs éléments la différencient de ses précédents "For me and my gal" et "Wayajan".

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TODA prend ainsi son temps à dépeindre chacun des deux personnages au cours de leurs vies respectives. Si ce procédé lui permet d'en dire davantage sur les protagonistes, il permet surtout de tisserr des liens qui n'auraient jamais été visibles en ne filmant que leur simple rencontre. Ainsi, la femme comme l'enfant, sont deux êtres seuls. L'adulte erre sans but apparent en ville. Passant un coup de fil, elle retrouve un proche (son mari ? un ami? un client?) dont elle incendie la voiture à l'aide de fusées qu'elle aime à allumer pour regarder les étincelles. Parallèlement, la petite fille semble rejetée par ses parents (adoptifs ?). Elle passe ses journées à jouer, à arroser un petit jardin et à allumer des allumettes de Bengale. En se promenant, elle va reprendre le même chemin auparavant foulé par la femme, passant même devant la carcasse de la voiture auparavant incendiée.Leur rencontre se fera dans un lugubre tunnel sous un terrain de jeu. Rappelant l'endroit fantasmé du malade mental dans "Gloss" n'inspirant pas réellement confiance, leur premier contact se fera pourtant sans aucune ambiguïté; tout comme la journée qu'elles passeront ensemble. A la gêne et l'incommunicabilité des adultes dans les précédents "For me and my gal" et "Wayajan" succède la naturelle innocence enfantine qui ne laisse paraître aucune ambiguïté dans leurs rapports et les feront se comprendre sans mots. La fille ne va jamais juger – en fait : ne jamais remarquer – l'apparente différence de la femme; elles seront les compagnes de jeux le temps d'une journée avant de se séparer et de reprendre le cours normal de leur existence.

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Au contraire de ses précédents constats, TODA semble ici avoir gagné en optimisme. Il peut désormais concevoir que – malgré nos différences – il est possible à ce que certaines personnes puissent se retrouver autrement que par le fait de points communs, . A moins, que la petite fille et la femme ne soient qu'un seul et même personnage, que l'habituel surréalisme du réalisateur aurait fait se rencontrer à un même moment dans une vie…

 
Bastian Meiresonne