Titre
original:
Chikamatsu
Monogatari |
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Réalisateur: MIZOGUCHI Kenji |
Année: 1954 |
Studio: Daiei
Genre: Drame |
Avec:
HASEGAWA Kazuo KAGAWA Kyoko SHINDO
Eitaro OZAWA Eitaro |
dre |
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A bout de souffle
Adapté d'une
célèbre pièce bunraku ou joruri (théâtre de
marionnettes), Mizoguchi transpose une nouvelle fois un thème universel
et social (l'amour contraint par la pression sociale) à une
époque féodale révolue.
Osan est une jeune femme mal
mariée au riche marchand d'almanachs Ishun. Voulant secourir son
frère couvet de dettes, elle s'en remet à l'employé
modèle Mohei pour détourner un peu d'argent de la caisse de
l'entreprise. L'homme s'exécute, mais est surpris par un
collègue, l'obligeant à poser une requête officielle
à son employeur. Ce dernier pense, qu'il ne s'agit que d'une machination
afin de permettre à Mohei de s'échapper avec la servante Otama,
dont le riche marchand s'est épris. L'employé est obligé
de s'enfuir, bientôt rejoint dans sa cavale par Osan. Malgré leur
différence sociale, les deux tombent amoureux l'un de
l'autre.
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Après
son semi-échec du pourtant excellent Une femme dont
on parle, Mizoguchi opte pour l'adaptation d'une pièce
du célèbre auteur Monzaemon Chikamatsu (1653-1725).
Plus grand auteur dramatique de l'ère Edo, Chikamatsu
est à l'origine de plus d'une centaine de pièces
pour marionnettes et d'une trentaine de pièces de kabuki,
qui ont profondément influencé l'évolution
du théâtre moderne japonais. La studio de la Daiei
est intéressé par un projet sur l'adultère
et Mizoguchi charge le scénariste Matsurato Kawaguchi
de signer l'adaptation de la pièce originelle Dai
Kyoshi Mukashi Goyomi, mais une fois de plus, le cinéaste
n'est guère content des premières versions du
scénario. Appelés à la rescousse, Kyuichi
Tsuji et Yoshikata Yoda reprennent le projet et mains, en s'appuyant
sur une version actualisée d'après un fait divers
réel de la pièce par le grand écrivain
Saikaku, sachant que Mizoguchi cherche d'avantage de réalisme
social dans le drame mélodramatique. Outre les difficultés
de la pré-production, le réalisateur eut beaucoup
de mal avec son interprète principal imposé par
les studios de la Daiei, Kazuo Hasegawa (Mohei dans le film),
qui tint tête à la célèbre sévérité
dictatoriale du metteur en scène sur le plateau. Une
fois achevé, le film obtint un nouveau Lion d'argent
au Festival de Venise.
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Histoire d'amour tragique,
Mizoguchi excelle une nouvelle fois à mêler un pur
mélodrame avec des accents sociaux plus réalistes.
Dépeignant la difficile condition d'êtres issus de
différentes classes sociales, son sujet est toujours d'actualité
dans un Japon profondément ancré dans ses traditions ; en effet,
les mariages ''arrangés'' font encore légion au pays du soleil
levant dans les années cinquante et bien des amours sont
contrariés pour cause de différence sociale. L'adultère
est profondément méprisé et même si les crucifixions
dépeints dans le film n'ont plus lieu, des amants
révélés s'exposent à de terribles poursuites et
harassements de leurs concitoyens. Une nouvelle fois, Mizoguchi dénonce
une soumission totale de la femme dans un système exclusivement
régi par les hommes. Osan a été obligée
d'épouser un riche marchand bien plus vieux qu'elle et qui - lui - peut
se permettre de faire des avances ouvertes à sa servante, alors que la
véritable histoire d'amour de sa femme pour Mohei sera
irrémédiablement condamnée par la mort. Les hommes sont
donc une nouvelle fois dépeints comme des êtres faibles et
véreux, opprimant la gente féminine selon une
supériorité abusive. Mohei est certes en marge du système,
mais n'est que faiblesse : il s'enfuit de peur d'être emprisonné
et refuse d'abord à succomber à l'amour pour Osan de peur des
représailles.
La mise en scène de
Mizoguchi dans ce film est particulièrement intéressante.
Alternant les plans larges avec des cadrages plus serrés sur ses
protagonistes, son travail est particulièrement parlant.
Condamnés par leur soumission sociale, toute la première partie
est exclusivement tournée en intérieurs, enfermant les
personnages dans le cadre ou devant des barreaux ou cloisons symbolique d'un
sentiment d'emprisonnement. La seule séquence en extérieurs sera
la procession d'une crucifixion d'un couple adultère, annonçant
déjà le tragique final et semblant vouloir dire, qu'en-dehors ce
n'est pas la liberté qui attend les personnages, mais une condamnation.
La mort est également omniprésente tout au long de la tragique
aventure des amoureux, telle la première crucifixion ou la sortie en
bateau sur un lac brumeux évoquant le mythe de la traversée du
fleuve de l'enfer, point de non-retour vers le monde des morts.
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Enfin,
si Mizoguchi ne rend pas un hommage explicite au matériau
d'origine en incluant une représentation d'une pièce
de joruri, il le fait de par sa mise en scène s'inspirant
largement des déplacements et décors d'un théâtre
de marionnettes : image statique et plans unilatéraux.
Portrait moins explicite de la seule femme, Mizoguchi creuse
davantage le sillon du réalisme social en condamnant
une société - certes représentée
dans le passé - toujours actuelle. Un film classique
finalement terriblement avant-gardiste et annonciateur de la
future Nouvelle Vague à venir.
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