.Ambiguous
 
Titre original:
Waisestsu Net Shuudan: Ikasete !
   
Réalisateur:
UENO Toshiya
Année:
2003
Studio:
-
Genre:
Pinku-eiga
Avec:
EBATA Hidehisa
SASAKI Nikki
MURAYAMA Noriko
HOSHINO Rumi
dre
Que vive le sexe

Composante thématique emblématique du cinéma nippon, le sujet du suicide se révèle sous ses diverses formes un révélateur d’un malaise sociétal. Si le traitement du seppuku (suicide d’honneur du samouraï) et du shinju (suicide en couple) a débouché sur des classiques séminaux à l’importance bien reconnue, le cinéma récent a prolongé son illustration thématique de manière moins marquante en l’intégrant dans un environnement contemporain : thème clé du renouveau pinku des années 90’s comme écho aux doutes d’une génération (les films de Hisayasu Sato et Takahisa Zeze) ou figure de style quasi-inévitable des yakuza-eiga désillusionnés (les films de Takeshi Kitano et Rokuro Mochizuki). En 2001, Suicide Club va opter pour l’outrance et la provocation pour porter à l’écran un phénomène de société singulier , à savoir le suicide de groupe qui fait alors les gros titres des faits divers locaux. Devant le succès sulfureux du film de Sono Sion, débarquent logiquement des déclinaisons commerciales telles le diptyque Suicide Manual (2003 ) ou encore Ambiguous (2003) dans le circuit du cinéma érotique. Sous des atours opportunistes, le pinku-eiga de Toshiya Ueno se révèle pourtant une œuvre atypique qui se démarque par son regard sensible et son traitement humaniste des personnages.

Bien loin de la veine sulfureuse que son titre original promet (‘Les pervers des forums porno d’Internet‘), Ambiguous se révèle pudique et porte un regard proche sur les jeunes adultes nippons. Basé sur un dispositif minimaliste caractéristique de ce type de production, le format de la vidéo permet à Ueno de briser la distanciation et de s’inscrire à plein dans la proximité et le réalisme. Cet ancrage contemporain est notamment appuyé par l’utilisation d’extraits de journaux télévisés sur l’intervention des troupes américaines en Irak. L’austérité et la ‘banalité’ affichées servent ici avant tout à se focaliser sur la peinture de personnages, une description à priori neutre qui par le biais d’un humour à froid réussi à pointer le drame intérieur de chaque protagonistes. L’entame du film consiste en un regard croisé sur la condition quotidienne d’hommes et de femmes d’horizons divers. Par le biais de courts sketchs imbriqués, Ueno parvient avec humour et tendresse à définir les problématiques de ses personnages, autant de visages de la population. Les difficultés d’intégration de la jeunesse par le biais d’un autiste marginal s’essayant tant bien que mal au métier de serveur et d’une écolière recourant à l’enjo-kosai pour offrir de cadeaux à ses camarades et ainsi s’intégrer au groupe. Les jeunes adultes sont eux en proies aux doutes de l’amour et de leur devenir. On y trouve ainsi illustration de la violence conjugale, la recherche de l’âme sœur ou bien le doute quotidien des sentiments au sein du couple (une femme tourne des pornos clandestins pour retenir son compagnon). La suite du film, qui s’articule sur cette rencontre d’inconnus au but pourtant commun, prend alors une forme de huis-clos minimaliste dans l’appartement de l’hôte de cette réunion particulière.

Cet hôte, véritable double du réalisateur et ici incarné par Hideisa Ebata que l’on plus l’habitude de voir dans le cinéma mainstream, va alors par sa gentillesse et son écoute faire basculer, malgré lui, l’issue attendue. Réunis dans un lieu clos étouffant, ces hommes et femmes osent passer outre leur inhibitions et se libèrent dans le réconfortant contact charnel. Affiliation au genre oblige, cette partie recourt abondamment aux ébats sexuels. Pourtant, loin de sombrer dans l’érotisme complaisant risquant de saboter son sujet, Ambiguous promeut haut et fort la sexualité comme remède anti-déprime et pointe ainsi directement le manque de courage et de motivation de ses congénères. Dans un périlleux mélange de tendresse et d’humour, Ueno met en exergue les petits détails qui montrent la défection progressive du groupe (l’hôte qui essaye de clore le dîner d’adieu pour ‘ne pas perdre de temps’) et enfin la révélation de la lâcheté de leur acte dans une grinçante partie à quatre sous monoxyde de carbone ! Un humour noir particulièrement réussi qui ne vampirise jamais le traitement réaliste du récit. En chemin vers une conclusion optimiste, le cinéaste nuance néanmoins son message. Car si Ambiguous tend parfois vers une morale un brin mièvre, le destin tragique de la femme au foyer s’en allant poignarder avec hystérie son mari violent atténue et remet en perspective la valeur curative du sexe.

Ueno livre ici un regard atypique en utilisant à plein les quotas sexuels afin d’illustrer autrement le sujet tabou du suicide.  A sa manière, le film est un représentant emblématique de l’évolution d’un genre vers la peinture des portraits générationnels réalistes et non dépourvus d’humour. 

 

Martin Vieillot

Disponible chez Salvation