Titre
original:
Chi To
Hone |
|
|
Réalisateur: Sai
Yoichi |
Année:
2004 |
Studio: Shochiku
Genre: Drame |
Avec:
Kitano Takeshi Suzuki Kyoka
Tomoka Tabata Arai Hirofumi Terajima Susumu Hamada Mari
Kitamura Kazuki |
dre |
|
Ecurement
Blood
and bones marque le retour bienvenu à un genre qui a depuis
longtemps deserté les écrans nippons. Cette fresque familiale
fortement ancrée dans le riche milieu socio-politique de l'après
seconde guerre mondiale promettait beaucoup, malheureusement ne sachant comment
dépeindre la violence intrinsèque de son personnage, Yoichi Sai
se perd en cours de route et frôle le naufrage pur et simple.
Kim
Shun-Pei, un immigré coréen de la première
génération, travaille dans une usine de poisson à Osaka.
D'une nature extrêmement violente, il boit après le travail et se
retrouve rongé par la haine. Quand l'usine ferme, il entraîne tout
son entourage dans sa spirale auto-destructrice.
Adaptant
une nouvelle de Yang Sogiru, Blood and bones bénéficie
d'un budget confortable conforme aux ambitions de l'uvre et offre une
reconstitution historique crédible des quartiers pauvres d'Osaka. Cette
fresque familiale s'étalant sur plus d'un demi-siècle revendique
la filiation directe avec des uvres telles Cuirassés et
Cochons (61) de Imamura. Même ancrage dans un fort contexte
socio-politique (ici la période troublée de l'après
guerre), même description rugueuse de personnages et
sociétés en crises . L'entame du film séduit par sa belle
ampleur qui évoque une époque que l'on croyait
définitivement révolue, le très beau score de Taroh
Iwashiro entre en résonance avec le contexte chargé et distille
une belle émotion. On y voit le jeune Kim Shun-Pei, l'il
ému, qui depuis le bateau au bord duquel il a quitté sa
Corée natale, aperçoit les côtes japonaises qui se
profilent à l'horizon. C'est sur cette terre que se jouera desormais son
avenir. Yoichi Sai témoigne d'une belle maîtrise technique
à la hauteur de l'ambition de son sujet. Malheureusement, son talent est
plus celui d'un illustrateur que celui d'un vrai cinéaste.
Bientôt, le personnage interprété par Kitano
viole, littéralement, sa femme lors une séquence difficilement
supportable. Ce qu'on croit n'être qu'un passage obligé dans la
radiographie d'un homme fou marque au contraire le début de la longue
dégringolade du film. En voulant dépeindre le personnage de Kim
Shun-Pei telle une bête humaine, Yoichi Sai ne s'intéresse
finalement qu'aux conséquences de ses actes et non à ses
motivations profondes. Blood and bones ne sera plus dès lors
qu'une répétition à l'infini de séquences violentes
: gifles, bagarres et conflits larvés rythment le quotidien d'un
personnage que Kitano porte à bout de bras. S'appliquant avec un sadisme
calculé à décrire un beau salaud lâche et passif,
Kitano s'il offre une belle prestation d'acteur, ne sort pas
spécialement grandi de l'expérience.
Devant un
tel déchaînement de séquences chocs, dont se distingue
néanmoins des germes de développement intéressants tel la
revolte du fils face à la figure patriarcale, se pose la question de
l'adaptation. Qu'a retenu Yoichi Sai du roman original? Simple transposition
d'un récit fondamentalement violent ou sélection arbitraire de
scènes destinées à satisfaire un certain voyeurisme
malsain ?. Surprenant de la part d'un réalisateur qu'on avait connu
beaucoup plus subtil dans son beau Doing Time, voir même
carrément niais dans son canin Quill. Blood and bones
s'échine à nous convaincre de la bestialité de son
personnage, son étalage complaisant fini par se retourner contre son
dispositif plutôt que son personnage. Aversion envers l'objet filmique
plutôt qu'envers son protagoniste, la gêne et le malaise font
bientôt place à une exaspération qui finit par lasser le
spectateur, et pire, l'amuser devant de tels excès comme lors de la
scène où le corps sans vie de la femme de Kim Shun-Pei est
trimbalé au beau milieu d'une mêlée générale.
Certaines scènes de mauvais goût frisent la complaisance comme
lorsque qu'un cochon est savamment égorgé puis
découpé, ou encore lorsque la caméra s'attarde sur du vomi
ou de la viande rongée par les vers.
Néanmoins, ici et là se détachent quelques beaux
moments qui empêchent l'uvre de sombrer corps et âme. Telles
ces scènes qui nous présentent un Kitano sensible s'occupant de
sa femme lobotomisée. Les relations beaucoup trop basiques entres les
personnnages sont le gros reproche que l'on aussi peut formuler à
l'encontre du film. En s'attachant à décrire la furie
destructrice d'un homme pourri, Yoichi Sai élude totalement les zones
d'ombres et les paradoxes qui rongent le personnage. D'où naît
cette violence? A cette absence de dimension psychologique vient s'ajouter
l'absence de pôles identificateurs et d'un vrai point de vue. Les
personnages secondaires insuffisamment développés ne peuvent
fournir de contrepoint valable au personnage omniprésent de Kim Shun-Pei
et n'offrent pas le recul nécessaire à l'observation de sa la
lente déchéance. Le contexte historique passionnant maintient
tout même l'intérêt même si l'évocation de la
rivalité sociale entre immigrés coréens et autochtones ne
reste qu'au stade de simple stéréotype. De même,
l'illustration des courants de pensée de l'époque (le communisme
notamment) n'est guère plus adroite et fait plus figure de simple
decorum historique que vrai constituant du récit. Cette violence
surfaite manque singulièrement de viscéralité et respire
par trop le nihilisme artificiel.
Pourtant
alors qu'on croyait Blood and bones définitivement perdu, la
dernière demi-heure laisse enfin la violence de coté, et
s'attarde sur un Kitano vieillard dont le corps fatigué ne peut plus
répondre à ses accés de rage intérieure. De beaux
moment pathétiques apparaissent dès lors, la figure du
père humilé devant son fils revanchard qui hésite à
lui sauver la face. ou encore la scène finale où, sur son lit de
mort, Kim Shun-Pei revoit défiler le film de sa vie. Il réalise
enfin l'échec et le gâchis de son existence, peut être
même une douloureuse trahison envers l'enfant qu'il a été.
Finalement se dégage une forte nostalgie de son pays natal, un sentiment
qui dévoile retrospectivement le profond traumatisme de son exil. Yoichi
Sai aurait sans doute tout gagné à puiser dans le
déracinement de son personnage.
Blood and bones est le triste exemple d'une approche
maladroite d'un récit pourtant prometteur. Paradoxalement et
malgré toutes les réserves qu'il suscite, Blood and bones
surnage aisément dans la morne production contemporaine nippone et
marque le retour à un cinéma populaire et ambitieux. Et on
rêve soudain de voir le toujours fringant Imamura aux rênes d'un
tel projet... |
|