.Bullet Ballet
 
Titre original:
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Réalisateur:
TSUKAMOTO Shinya
Année:
1998
Studio:
Kaijyu Theateri
Genre:
Drame
Avec:
TSUKAMOTO Shinya
MANO Kirina
IGAWA Hisashi
KIM Sujin
Jeux d'enfants

Un hold-up commis par quatre jeunes criminels inspire à TSUKAMOTO l'idée de départ d'un film qui traiterait du conflit intergénérationnel nippon et de la recrudescence de la délinquance juvénile. Pari seulement à moitié tenu pour un sujet ambitieux, TSUKAMOTO s'écartant de son principal en cours de route.

La fiancée de Goda se suicide sans autre explication après dix ans de vie commune. Cherchant à comprendre, l'homme entame une longue descente aux enfers. Voulant faire l'acquisition du même type de revolver ayant servi à la mise à mort de sa petite amie, il se retrouve confronté, puis embarqué par la bande de jeunes voyous mené par l'arrogant Goto. Pensant avoir trouvé les parfaites victimes pour assouvir une vengeance toute personnelle, Goda est entraîné malgré lui dans une spirale de violence sans issue.

Pour son nouveau projet, TSUKAMOTO puise l'idée de départ dans sa propre vie. Dépouillé de ses biens par quatre jeunes malfrats, le réalisateur s'intéresse alors à la recrudescence généralisée de la criminalité juvénile nippone. Alors qu'auparavant, vols, viols et rapts n'étaient affaire que des yakusa, le soleil du pays levant est depuis plusieurs années frappé par le fléau de jeunes bandes organisées, constituées d'adolescents désœuvrés qui n'hésitent pas à voler voire même tuer pour quelques yens sans autre raison que de se divertir. Produits de la récession économique, le Japon accuse le contre-coup de leurs années de course aux profits et rythmes de scolarité effrénés pour constituer l'élite de demain des pays asiatiques. Etouffés et n'ayant finalement que très peu de temps pour eux-mêmes, les jeunes cherchent à rattraper une jeunesse perdue et à se procurer un maximum de frissons pour penser profiter de la vie. Des êtres d'autant plus imprévisibles qu'ils n'ont aucune confiance en un avenir se présentant sous des auspices extrêmement noirs

TSUKAMOTO ne s'identifie pas du tout à ce sentiment ambiant. Tout juste sorti de ses propres folles années d'étude, sa fougue révolutionnaire - inspirée du mouvement underground punk de la fin des années '70s - était au contraire radicale et cherchait à 'aller de l'avant pour surmonter la morosité ambiante. Pour représenter ce mouvement de jeunesse, le réalisateur décide d'adopter un style quasi documentaire pour rendre compte d'un réel problème de société de son époque. Fortement impressionné par les premières œuvres du français Leos Carrax, il utilise de longues focales (permettant de filmer de loin) et une caméra à l'épaule pour augmenter la soi-disant authenticité de son propos et alléger sa propre mise en scène. Cette façon de procéder ne l'empêche pas de prolonger ses expérimentations visuelles et d'intercaler de vrais moments de mise en scène - en replaçant notamment ses personnages immobiles dans un environnement en perpétuel mouvement, comme déjà utilisé dans Tokyo Fist. Si sa mise en scène paraît effectivement plus libérée que jamais (la vive et énergétique caméra à l'épaule suivant les personnages dans leurs moindres faits et gestes), le procédé trouve ses limites dans la représentation finalement trop fictionnelle de cette génération. Il apparaît évident que TSUKAMOTO ne comprend plus la jeune génération et qu'il n'adhère point à leur attitude. Comme dans ses derniers films, il crée donc des êtres totalement désincarnés et n'approfondit finalement que peu leur psychologie. Pour lui, ces adultes en devenir ne sont autre que des pantins, des coquilles vides sans aucun intérêt; au contraire, seul le personnage interprété par lui-même (l'employé d'une agence publicitaire) s'oppose à cet univers en étant extrêmement vivant, complexe et cherchant à comprendre les raisons du suicide de sa fiancée. Parti pris pour créer la parfaite opposition entre ses deux générations, son approche reste malheureusement trop superficielle pour être en parfaite harmonie avec son style de mise en scène.

Plus grave, TSUKAMOTO perd totalement de vue ses intentions premières en finissant par s'identifier au point de vue de cette jeunesse désœuvrée ! Troublant mélange des repères, son discours premier ne tient plus debout et à l'approche visuelle de s'écrouler comme un château de cartes. En revanche, cette progression est thématiquement très intéressante. Partant du principe qu'il s'est créé un écart des mentalités en moins d'une génération dans la société nippone à laquelle TSUKAMOTO ne pense plus pouvoir s'identifier, le cours de l'exploration de son thème lui donne finalement tort. Nonchalants et abusant d'une violence complètement gratuite, Goda ne peut comprendre leurs faits et gestes. Pire, leur appétit à détruire leur prochain ne peut que lui rappeler douloureusement le propre choix de destruction de sa fiancée. Au fur et à mesure de sa quête personnelle, Goda va pourtant commencer à s'identifier. Tout d'abord, il va s'identifier dans la violence. Le revolver deviendra une extension de sa violence à assouvir; il tirera avec - ce qui va s'avérer - un faux pistolet juste par envie de destruction. Cette idée deviendra fixe et se transformera en la volonté de trouver un bouc émissaire ou un coupable pour décharger toute cette colère accumulée en lui. Enfin, comme les jeunes, les sentiments de l'employé publicitaire vont s'émoustiller au fur et à mesure de sa quête. D'une part pour réprimer sa douleur et son désespoir, d'autre part pour se constituer un masque afin de ne dévoiler sa vulnérabilité et - par conséquent - se montrer comme une victime désignée par un système impitoyable. Goda se mue donc en un être similaire aux jeunes, s'identifiant même à leur mode de pensée.

L'intrigue en elle-même est une nouvelle variation de sa thématique: les personnages féminins, la défunte fiancée et Chisato, seront les points déclencheurs de la métamorphose du héros principal. Ce dernier deviendra une sorte de machine à tuer, même si sa transformation restera au sein de cette histoire la plus paisible, ne se transformant pas lui-même en une arme ou ne développant pas une sur-puissance inhumaine telle dans Tokyo Fist. Après avoir constamment été sur le fil du rasoir (idée caractérisée par les scènes où Goda et Chisato marchent côte à côte sur un pont ou au bord de l'eau), la transformation de Goda est complète en fin de film. Il a acquis la distanciation nécessaire pour "tuer" (ou se débarrasser de ses problèmes, le tueur du gang de Goto en étant bien évidemment la métaphore). Libéré de l'emprise malfaisante du groupe, tournant le dos au personnage charismatique de Chisato - à l'origine de sa transformation mais l'empêchant également à prendre son total envol - il pourra finalement rebondir. Passage magnifiquement illustré par le long travelling latéral directement empreint de la course effrénée de Denis Lavant dans Boy meets girl. TSUKAMOTO ne sera lui-même que partiellement satisfait de son film et n'hésitera pas à modifier à de nombreuses reprises le montage final pour rallonger ou raccourcir quelques scènes. Totalement conscient de s'être écarté de ses intentions premières, le résultat final n'est pourtant qu'une nouvelle variation d'un univers où seul Snake of June ouvrira finalement de nouveaux horizons.

 
Bastian Meiresonne