Titre
original:
Kaosu |
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Réalisateur: NAKATA Hideo |
Année: 1999 |
Studio: Taki Corporation
Inc Genre: Thriller |
Avec:
KUNIMURA Jun MITSUISHI Ken HAGIWARA
Masato NAKATANI Miki |
dre |
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Double Body Double
Fatigué d'uvrer dans
le domaine du fantastique suite à ses deux succès mondiaux des
Ring, NAKATA jette son dévolu sur l'adaptation d'une nouvelle
d'Utano SHOGO, Chaos. Adapté par le cinéaste (Sunday
Drive) et scénariste (Tokyo Fist) Hisashi SAITO, ce polar aux
nombreux rebondissements permet à NAKATA de s'essayer à l'un de
ses genres favoris, le polar américain. Louchant fortement du
côté du Vertigo d'Alfred Hitchcock, le cinéaste
japonais s'inspire également de modèles plus récents, tels
les frères Coën ou John Dahl. En résulte un implacable
thriller glacé à la structure narrative éclatée,
belle preuve que NAKATA vaut mieux que par sa seule renommée de
maître du film de fantômes.
Komiyama accepte le plan
diabolique de la mystérieuse Saori de feindre l'enlèvement de
cette dernière afin d'extorquer une importante somme d'argent de son
riche mari. Si le plan se déroule comme prévu dans un premier
temps, la femme gît bientôt morte dans l'appartement. Le jeune
homme enterre son cadavre dans les sous-bois, mais la croit apercevoir
bientôt dans une foule animée de Tokyo
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Craignant de se faire cantonner
une fois pour toutes dans le registre du film fantastique, NAKATA prend
l'audacieux pari de refuser le troisième Ring pour s'atteler
à la réalisation de ce thriller futé, fortement
imprégné du polar américain. Basé sur une nouvelle
d'Utano SHOGO, la malicieuse ré-écriture de Hisashi SAITO donne
une saveur particulière au film. Totalement déstructuré,
de nombreux sauts dans le temps et les drastiques changements du point de vue
des protagonistes témoignent d'une approche originale basée sur
de multiples rebondissements. Sorti en même temps que Memento de
l'américain Christopher Nolan , le métrage est lui souvent
comparé. Curieuse coïncidence d'une volonté apparemment
commune et mondiale de bousculer une structure temporelle classique (est sorti
en même temps le coréen Peppermint Candy monté sur
un même principe de retours en arrière), les façons de
procéder de deux métrages n'ont finalement pas grand chose en
commun. Là, où Nolan enchaînait de brefs retours en
arrière pour reconstituer les laps de temps de l'amnésie de son
héros, Chaos mélange épisodes au présent et
au passé pour compléter petit à petit les pièces
d'un puzzle particulièrement biscornu.
Démarrant sur le point de
départ assez classique d'une soudaine disparition de femme - trame
auparavant vue dans Frantic de Polanski ou dans l'hollandais
Vanished et son remake américain homonyme - le film bascule
bientôt du côté du maître chanteur (dont le premier
chantage se fera sur fond de croassement de corbeaux) et dévoile une
facette inédite de l'histoire ; ce ne sera que le début d'une
longue série de retournements complets de situations, où retours
dans le passé et portraits des différents protagonistes
dévoilent finalement tous les tenants et aboutissants d'une
méticuleuse machination qui finira même par se retourner contre
ses principaux responsables en un rebondissement ultime. Difficile de critiquer
une telle uvre sans en dévoiler quelques parties qu'il serait
dommage de connaître avant de n'avoir vu le film. Le scénariste
SAITO s'amuse en tout cas à démultiplier les fausses pistes et
à mener le spectateur par le bout du nez dans une intrigue à
double-tiroirs absolument impossible à deviner à l'avance. NAKATA
lui emboîte le pas en assurant une mise en scène parfaitement en
phase avec sa riche histoire. Si les nombreux sauts temporels et
différences de points de vue sont difficiles à suivre pour celui
qui ne regarderait que d'un il distrait, le montage est pourtant
suffisamment limpide pour saisir toutes les subtilités de sa riche
histoire, sans en enlever le plaisir éventuel à re-visionner le
film une seconde fois en en connaissant tous les tenants et aboutissants.
Aidés par une mise en scène réduite au strict minimum, les
courts plans fixes permettent de donner à l'uvre une distanciation
neutre et un bref rythme sec et nerveux. La réussite de
l'atmosphère si particulière est indéniablement en grande
partie due à la nouvelle collaboration au son du réalisateur avec
son compositeur fétiche Kenji KAWAI, alors que l'éclairage est
cette fois assurée par le chef-opérateur Tokusho KIKUMURA,
habitué de Kiyoshi KUROSAWA et futur collaborateur de SHIMIZU sur la
série des Ju-on. Le son minimaliste joint à une froide
lumière donne à la cruelle histoire le parfait cachet
nécessaire pour ne pas tomber dans la démesure symbolique de
certains récents polars américains. Machination infernale,
l'intrigue implique avant tout des simples personnages sans grandeur dans un
monde corrompu et réaliste
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Au-delà de la technique de
sa mise en scène, NAKATA intègre à nouveau des
éléments plus personnels. Les séquences de ligotage
renvoient irrémédiablement à son expérience
passée sur le tournage de roman porno, notamment avec le pape du
SM, Masaru KONUMA. Sans en abuser, NAKATA filme pourtant cette
séquence avec un tel soin et une légère insistance qui ne
laissent que peu de doutes quant à son hommage rendu. Le personnage
principal cherche une nouvelle fois à comprendre ce qui s'est
passé, à l'instar de l'héroïne des Ring.
Masculin - comme dans son premier Ghost Actress, NAKATA s'attache
pourtant bien plus au trouble personnage de Saori et toute la dernière
partie consacrée à la femme renforce cette impression. Il lui
donne un côté profondément humain, un rôle finalement
tragique, qui ne pourra se résoudre que par sa disparition, prise ici au
premier sens du terme. Se terminant sur un pur mélodrame - genre
chéri par excellence par NAKATA - la petite note fantastique finale
n'est certainement pas innocente à l'univers du réalisateur.
Machiavélique, la femme est littéralement engloutie par les
enfers pour ses méfaits commis ; en même temps, ses double-jeux
terminés et rejetée par celui dont elle aurait pu attendre son
dernier salut, elle n'a plus de raisons d'exister et disparaît donc
littéralement de la surface de la terre. Enfin, la courte
séquence incluant l'enfant de Komiyama rejoint la récurrence dans
les films de NAKATA entre l'impossibilité de communiquer correctement
entre adultes et enfants et la séparation apparente des parents - la
mère du garçon restera invisible et sa visite au domicile de son
père n'est qu'un court intermède dans tout le métrage.
Référence à
son propre cinéma, le film se réfère également
à un autre grand réalisateur du cinéma japonais. Si NAKATA
cite volontiers NARUSE pour ses sensibles mélodrames ou MIZOGUCHI pour
sa sensibilité féminine comme modèles, "Chaos" tendrait
plutôt vers Akira KUROSAWA. La scène du directeur d'entreprise
entouré de policiers et recevant le coup de fil du maître chanteur
rappelle ouvertement le début de High and Low (Entre ciel et
enfer) jusque dans le montant - identique - de la rançon
exigée et des fameux rideaux tirés devant les baies
vitrées. Autre rapprochement de l'uvre de l'illustre
réalisateur : la volonté de déconstruire la
linéarité d'une trame narrative classique. KUROSAWA n'avait de
cesse de bouleverser ces codes temporels durant sa jeunesse - Rashomon,
Vivre,
- et NAKATA lui emboîte certainement le pas par
l'originalité du déroulement de son intrigue.
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Brillant exemple du savoir-faire
de son réalisateur, NAKATA prouve bel et bien qu'il sait réaliser
autre chose que des films de fantômes. Polar au scénario
alambiqué, la simplicité de la mise en scène de NAKATA se
marie à merveille avec la trouble ambiance. C'est d'ailleurs en partie
grâce à ce film, que les américains avaient proposé
à NAKATA de réaliser le thriller True Believers avant que
le projet ne capote et qu'il ne soit attaché au remake de Ring 2.
Un remake de ce film a également été tourné avec,
aux commandes, Jonathan Glazer (le cultissime Sexy Beast) et Benicio del
Toro et Robert de Niro dans les rôles principaux. |