Titre
original:
Karisuma |
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Réalisateur: KUROSAWA Kiyoshi |
Année: 1999 |
Studio: Nikkatsu
Genre: Thriller |
Avec:
YAKUSHO Kojii IKEUCHI Hiroyuki OSUGI
Ren DOUGUCHI Yoriko |
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Parabole appuyée du libre arbitre
A Tokyo, de nos jours.
L'inspecteur de police Goro Yabuike est envoyé sur le
théâtre d'une prise d'otage. Enfermés dans une pièce
un homme armé braque un député. Yabuike, arrivé sur
les lieux commence le processus de négociation avec le preneur d'otage.
Celui-ci sans dire un mot lui remet une feuille censée faire état
de ses revendications. Or sur le papier n'est écrit que ces quelques
mots mystérieux " Rétablissons les règles du monde ".
Yabuike, profitant d'une inattention de l'homme sort son arme et le vise, puis
étonnamment se ravise et range son pistolet. Il tourne les talons, sort
de la pièce, mais sitôt fait le criminel ouvre le feu sur son
otage et le tue. Les policiers arrivés dans la pièce l'abattent.
Yabuike, dont le comportement suscite un scepticisme certains chez ses
collègues est mis à pieds quelques jours. Il est
accompagné au beau milieu d'une forêt par un de ses hommes.
Là, sans bagage, il se met à déambuler et finit par
s'endormir dans une voiture abandonnée dans les bois. La voiture
brûle et une ombre l'en sort pour le déposer au pied d'un arbre.
Il va faire la connaissance de quelques individus qui peuplent le lieu et
notamment l'un d'eux, Charisma, un arbre qui cristallise les tensions de ce
microcosme.
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Le film s'ouvre sur un plan
étrange et calculé. On voit sur l 'écran, au centre de
l'image grignotée par un cadre dans le cadre noir, un banc en bois sur
lequel est allongé Yabuike. Un de ses collègues arrive, le
réveille et lui dit que le suspect a parlé. Long fondu au noir.
On arrive à en endroit où un grand nombre de policiers est
réuni, à l'extérieur d'un bâtiment qui semble
abandonné. Très vite on comprend qu'on est sur les lieux d'une
prise d'otage. Un homme menace la vie d'un député. Yabuike y va,
et alors qu'il avait la possibilité d'éliminer le criminel
décide de n'en point faire. Le drame arrive, les deux hommes meurent. On
revient alors sur la scène d'ouverture, dans le même cadre. Le
collègue de Yabuike arrive, le réveille mais cette fois pour lui
dire que l'otage vient de décéder à l'hôpital.
Yabuike, interrogé sur les motivations de sa non-intervention
déclare qu'il voulait que les deux hommes vivent. Mis au vert par sa
hiérarchie, il atterrit dans une forêt, qui domine Tokyo. La
décision controversée de Yabuike, d'avoir pris le risque de ce
qui finalement s'est passé, le renvoie à un questionnement
profond. En ce moment crucial il a choisi, son libre arbitre s'est
exercé et les conséquences en seront lourdes. Pour lui, tuer cet
homme, tout criminel qu'il puisse être, relevait, en cet instant d'un
acte inimaginable. Son choix a été de ne pas faire le choix de
qui devait vivre et qui ne le devait pas. Ce drame originel, qui pour beaucoup
de cinéastes, américains par exemple aurait servi de base
à une histoire de rédemption, va permettre à Kurosawa de
nous emmener dans les méandres d'une répétition au fort
pouvoir hypnotique, une variation autour du même thème sans
idée d'un quelconque rachat. Son credo est plutôt celui de la
quête identitaire, du questionnement métaphysique de son
héros. L'arrivée de Yabuike dans la forêt va le confronter
à un échantillon exacerbé d'humanité. Sa
première rencontre se fera à son insu. Alors qu'il dort dans la
carcasse d'une voiture perdue là, quelqu'un s'approche, craque une
allumette et enflamme la voiture.
Deuxième fondu au noir. La
caméra au ras du sol serpente pour terminer sa course au pied d'un
arbre, Charisma on l'apprendra plus tard. L'arbre est entouré d'une
armature métallique à laquelle il tente de grimper. Il
s'évanouit. Quelqu'un le prend sous les bras pour l'éloigner de
l'arbre. Cette scène est une introduction brutale à la
réalité de cet environnement sylvestre et interroge
déjà le spectateur sur plusieurs points, comme le crédit
que l'on peut porter aux images qui suivront, au degré de réel
dans lequel elles s'inscriront ou la portée symbolique de l'histoire. En
effet la narration est volontiers trouble et elliptique. La dramaturgie se
réduit rapidement à une succession de rencontres, de
scènes où l'on voit Yabuike accompagné d'un ou plusieurs
personnages, chacun essayant à son tour de l' " embrigader ". Car sa
présence ici ne peut être le fruit d'un hasard bien ou
mal-veillant. Comme le dit l'un des protagonistes " Tous ceux qui sont ici ont
une histoire " qui les mène à cet endroit. Tous ces gens avec qui
il va interagir ont des fonctions et des intérêts
différents. Tout en haut, il faut parler de l'arbre Charisma, à
qui certains prêtent le pouvoir d'empoisonner et de détruire peu
à peu ses congénères alentour. L'air singulièrement
malade, dépourvu de feuilles il est ceint d'une structure
métallique, une sorte de tuteur géant, relié à des
perfusions distillant un goutte à goutte d'éléments
nutritifs, quelques unes de ses branches sont pansées.
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Ensuite, il y a Nakasone, chef
d'une équipe d'écologistes qui replantent des arbres partout
où Charisma les a fait mourir. Tsuboi, qui travaille conjointement
à Nakasone, est employé par le bureau municipal de
l'environnement. Kiriyama, jeune homme aux réactions violentes est le
gardien de l'arbre. Quiconque ose s'approcher de ce dernier est pris en chasse
par lui et rossé à coups de bâton ou de sabre. Il s'occupe
en outre de la veuve mourante de l'ancien directeur du sanatorium, aujourd'hui
abandonné et où jadis il a été soigné, dans
lequel il a élu domicile avec sa " patiente ", dont l'état de
santé paraît évoluer au diapason de celui de l'arbre. Mlle
Jinbo elle est une professeur de botanique à l'université de
Musahino. Elle étudie les plantes dans sa maison et va
régulièrement verser des produits dans un puits à l'aplomb
de la nappe qui irrigue la forêt. Sa jeune sur Chizuru est une
personne à l'air instable et dont le comportement erratique appelle des
conséquences qui la dépassent, obnubilée qu'elle est de
quitter ce lieu avec quelqu'un. Manque encore Nekojima, mandaté par des
collectionneurs de la ville pour déraciner l'arbre et le rapporter. Avec
Nakasone et son groupe de planteurs d'arbres Yabuike va aborder la
problématique liée à l'arbre par un aspect, celui d'une
nuisance qui met en péril l'ensemble de la forêt par sa seule
existence et qui inlassablement rend leurs actions " écologiques "
inutiles. Avec Jinbo, il va entrevoir le phénomène sous un angle
beaucoup plus global : selon elle, il ne faut pas voir de dualité entre
les deux entités - arbre et reste de la forêt - : il s'agit d'un
ensemble total et cohérent, dans lequel s'affrontent comme dans tout
système vivant les force de vie et de destruction. Vouloir aller contre
cette évolution qu'elle estime inéluctable, c'est contrecarrer
les plans de la Nature, empêcher le retour à une espèce de
genèse de la forêt, l'écosystème d'avant Charisma,
qui ne peut passer que par cette annihilation progressive des espèces
installées, qui elles-mêmes empêchent le retour des
espèces primitives. Le rôle de Jinbo est plus ambigu que celui
joué par Nakasone, Tsuboi ou Nekojima, qui eux sont animés de
volontés claires. Sa sur Chizuru affirme que Jinbo empoisonne la
forêt pour accélérer l'évolution qu'elle souhaite.
Kiriyama, personnage lunaire se présente plus comme le gardien,
inflexible et obtus d'une tradition, vecteur d'une mission, presque d'essence
divine pour lui, qui lui passe complètement au-dessus. S'occuper corps
et âme de l'arbre et de la veuve du directeur du sanatorium lui donnent
une raison de vivre dans ce lieu. Reste Yabuike, le flic tokyoïte qui
à côtoyer les uns et les autres va peu à peu
résoudre, ou tout du moins progresser sur la question : il n'y a pas de
choix à faire, le problème réside dans la manière
de présenter les choses, il est rhétorique. La volonté de
vivre est une raison suffisante pour en avoir le droit
dont acte.
L'arrivée de Nekojima va accélérer, sinon en chambouler
l'équilibre bancal, la dissolution de cette communauté disparate.
Jinbo va aller jusqu'au bout de son idée et brûler Charisma avec
sa sur, Kiriyama qui se retrouve en déshérence
décide de quitter la forêt, Nakasone et Tsuboi, perdus dans la
forêt y meurent (il s'agit d'ailleurs d'un moyen courant de se supprimer
au Japon : les candidats au suicide vont se perdre ou se pendre dans des bois
gigantesques et meurent ainsi - Kurosawa y fait référence dans la
scène où Yabuike se retrouve face à face avec un pendu).
Quant à Yabuike il décide de traîner, dans son retour
à pied jusqu'à Tokyo, devenu durant son absence un chaos
indescriptible en proie aux flammes et probablement à une insurrection
violente, le corps blessé de Nekojima, sur qui il avait
été obligé de tirer, accomplissant pleinement son choix de
laisser vivre tout le monde.
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Charisma on le voit joue
sur les symboles. D'une simple chasse au trésor, idée de
départ de Kurosawa, il devient une parabole sur le libre arbitre et une
quête, les personnages représentant des avis, des " philosophies "
qui se confrontent. On peut y voir aussi une dimension satirique,
soulignée par le comportement de Kiriyama qui a fait de l'arbre, et du
respect des morts (l'ancien directeur du sanatorium) des objets de culte, les
bases de l'élaboration d'une religion exigeant une soumission aveugle
(il le dit lui-même : " La liberté est une maladie. Ce que
souhaite tout homme sain c'est se soumettre "). Cette inféodation
à des principes, quels qu'ils soient, est la porte ouverte à tous
les intégrismes puisqu'elle ne reconnaît aucune liberté ;
en prolongeant le raisonnement on pense bien entendu aux dérives
sectaires, dont le Japon a pu ça et là être la proie.
Yabuike est d'un côté partisan d'un non-interventionnisme - " Je
vais [
] laisser les choses telles qu'en elles-mêmes " - mais de
l'autre continue à s'occuper du premier Charisma ainsi que du
deuxième dans l'optique de faire un rééquilibrage de la
situation, par analogie avec celle du départ (lorsque le premier a
brûlé, il en a trouvé un second, sur lequel Nekojima,
frustré de ne pas avoir pu ramener le premier, a aussi des visées
mais qui finira comme le premier en morceaux). Il résume ainsi sa
façon de penser et d'être : " Il me suffit d'être comme je
suis, un type ordinaire. Ca me convient. Il n'est plus question d'un seul arbre
spécial, pas plus que d'une forêt entière. Il y a juste un
peu partout des tas d'arbres ordinaires qui poussent chacun de leur
côté. C'est tout. " Lorsque tout est fini, quand les deux arbres
ont été détruits, tous ces habitants étranges de la
forêt quittent l'endroit, soit en mourant, soit en partant. Pas toujours
très subtil, le film recèle pourtant de grandes qualités,
comme le point de vue adopté par le metteur en scène pour nous
faire ressentir les choses : il filme assez froidement les déambulations
de ses marionnettes, n'adoptant jamais de posture humaine : il filme comme s'il
était la forêt, sa caméra se trouve souvent derrière
les branches, entre deux arbres
les laissant se débattre, patauger
dans un ridicule tragi-comique. Pour Kurosawa cette nature omniprésente
n'est ni bonne ni mauvaise, elle est un terrain, comme la vie humaine, de lutte
entre les forces de vie et de mort, entre les faibles et les plus forts.
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