.Chien enragé
 
Titre original:
Nora Inu
   
Réalisateur:
Kurosawa Akira
Année:
1949
Studio:
-
Genre:
Polar
Avec:
Mifune Toshiro
Shimura Takashi
Awaji Keiko
dre
Dans la chaleur de l'été

Hommage au cinéma américain des années '40s et inspiré par les écrits de Georges Simenon, Kurosawa s'essaie au périlleux exercice du polar dans un Japon contemporain.

Peu après son intégration au sein de la police, le jeune Murakami se fait voler son arme de service. Décidé à récupérer le colt avant qu'il ne soit utilisé à mauvais escient, son enquête le mène au cours d'un été particulièrement torride, dans les bas-fonds de la ville de Tokyo. Il est épaulé dans ses recherches par l'expérimenté inspecteur Sato, qui lui apprend les ficelles du métier et l'empêche de sombrer dans la dépression dès lors que le pistolet servira effectivement à des mauvais fins.

Kurosawa avouait depuis ses débuts un amour particulier pour les romans policiers de Georges Simenon. S'inspirant des livres de l'écrivain, le réalisateur rédige un premier scénario, qu'il n'arrive pourtant pas à retranscrire à l'écran. Il opte alors pour une structuration en trois parties distinctes, dont chacune développe une thématique propre tout en suivant le fil conducteur de l'enquête. La première partie pose la problématique de l'intrigue - le pistolet dérobé de Murakami. S'inspirant des polars américains à l'approche documentaire alors populaires dans leur pays d'origine et certainement influencé par le néo-réalisme italien, Kurosawa profite des premiers pas balbutiants de l'enquête menée par Murakami pour représenter la société contemporaine japonaise et notamment les bas-fonds de Tokyo. Le réalisateur avait été profondément marqué par plusieurs années de colocation en compagnie de son frère dans ces quartiers populaires de la ville et s'inspira du lieu et des ses habitants dans plusieurs de ses films.

La seconde partie se recentre d'avantage sur les personnages constituant l'intrigue. Elle permet à Kurosawa de développer l'un de ses thèmes de prédilection - l'initiation - à travers le fin portrait de Murakami et de son mentor l'inspecteur Sato. Le jeune policier doit apprendre à refreiner sa fougue débordante, lui coûtant notamment de passer à côté du vrai coupable lors de son arrestation intempestive d'une receleuse d'armes. D'autre part, Sato lui sert de précieux support psychologique, quand il commence à culpabiliser d'être à l'origine de l'enchaînement des événements tragiques. Prolongeant également son constat social de la première partie, Kurosawa s'attache aux personnages secondaires, tous représentatifs de l'époque trouble du Japon de l'après-guerre. La troisième partie, enfin, constitue le vrai démarrage de l'enquête policière. Le cadre défini, les personnages décrits, Kurosawa embraye la vitesse supérieure en faisant rapidement aboutir l'intrigue. La finale est d'un suspense haletant et son rythme rapide contre-balance totalement la relative lenteur des (trop) longues premières parties.

Chien enragé n'est donc pas une simple transposition du polar américain au cinéma japonais. Empruntant certes des codes inhérents au genre (la moiteur d'un été étouffant, les hommes en costume et les maîtresses fatales), ce n'est moins l'intrigue, que toutes les parties la constituant qui compte pour Kurosawa. Lieu et temps d'action, personnages principaux et secondaires, faits pré-médités ou fortuits, tout est au service d'une mécanique d'enchaînement implacable. Murakami ne cherche pas à arrêter le coupable du crime, mais à remettre la main sur le point déclencheur de la série d'événements tragiques (son pistolet volé de par son inattention). Kurosawa démontre avec la résolution de son intrigue, que le vol du colt n'est en lui-même que le chaînon d'une mécanique déclenchée bien plus en amont (sans en dévoiler de trop : si la Guerre n'était pas arrivée, le coupable n'aurait pas été soldat et ne se serait pas fait voler son argent, le motivant à devenir truand…), que Murakami n'aurait pu enrayer de toutes façons.

Plus que l'histoire d'un simple crime social, Chien enragé est un véritable constat social. Témoignage d'une époque par ses images quasi documentaristes et d'un regard affûté de ses personnages plus vrais que nature, Kurosawa transcende le simple polar pour poser une vraie réflexion quant à comment arriver à l'acte final commis.Il s'accapare du genre pour mieux le mêler à son propre univers, en mélangeant la fine observation de son époque aux moments d'une fulgurante poésie ; telle la scène de complicité partagée entre Murukami et la prostituée sous le ciel étoilé ou la magnifique fin entre réalisme et surréalisme.

A noter, que les rôles principaux sont tenus par les deux acteurs fétiches de Kurosawa, Toshiro Mifune et Takashi Shimura, dont l'alchimie sert parfaitement leurs rôles respectifs tenus à l'écran. Le réalisateur de la seconde équipe n'est nul autre qu'Inoshiro Honda, futur grand réalisateur de Godzilla.



 
Bastian Meiresonne