.La Condition de l'homme 1 - ll n'y a pas de plus grand amour
 
Titre original:
Ningen no joken
   
Réalisateur:
Kobayashi Masaki
Année:
1959
Studio:
Shochiku
Genre:
Drame
Avec:
Nakadai Tatsuya
Aratama Michiyo
Arima Ineko
Mishima Masao
 
Conditionné

Adaptation agrémentée de larges parts auto-biographiques du roman homonyme de Junpei Gomikawa, Makasi Kobayashi se lance dans une super-production colossale en trois parties de plus de neuf heures au total.

Dans cette première partie se déroulant en 1943, Kaji accepte de partir avec sa femme pour la Mandchourie pour superviser l'organisation du travail dans une mine. Dénonçant les dures conditions de travail, le jeune employé se mobilise d'autant plus lors d'une arrivée de 600 prisonniers de guerre. Ces ouvriers sont particulièrement maltraités et Kaji se heurte à la cruauté de ses supérieurs à l'égard des captifs. Se révoltant carrément contre la condamnation à mort de quelques évadés rattrapés, le jeune employé est emprisonné, puis enrôlé dans l'armée japonaise.

Tout au long de son œuvre, Kobayashi ne cesse de dénoncer les torts et travers d'une société japonaise rigide et hypocrite selon le réalisateur. S'attaquant directement aux traditions japonaises dans Rebellion ou Hara Kiri, il s'en prend dans ce présent triptyque au comportement de ses congénères durant la Seconde Guerre Mondiale. Lui-même enrôlé de force, il avait refusé de gravir les échelons hiérarchiques pour demeurer simple soldat en Mandchourie et de finir prisonnier des Américains pendant plus d'un an. Passé douloureux pour un peuple traumatisé lors de sa défaite, le thème était longtemps tabou avant que de nombreux réalisateurs ne s'emparent du sujet ; mais à la différence de ses collègues tentant de donner un visage plus humain et optimiste de la participation de leur pays à la Grande Guerre, Kobayashi s'attaque de front au problème. N'hésitant pas à dénoncer la cruauté de ses congénères, il semble fasciné par le changement des comportements humains lors d'une situation de crise, telle que cette guerre.

Le personnage de Kaji incarne le regard extérieur naïf et utopiste. Jeune homme plein d'entrain et d'illusions, il fait front aux injustices en général. Envoyé par ses supérieurs à la mine comme pour apprendre le réel sens de la vie, il s'engage tout d'abord à vouloir améliorer les conditions de travail des ouvriers recrutés sur place. Dès le départ, il se heurte à la rigidité d'une organisation de travail terriblement institutionnalisée. L'opinion, selon les responsables, d'obtenir une meilleure productivité en instaurant un climat d'oppression renvoie directement au modèle professionnel japonais de l'époque (et jusqu'à nos jours…) et les idées progressistes de Kaji d'établir - au contraire - un climat de confiance sont immédiatement contre-carrées. Estampillé de communiste et de blanc-bec, il est rapidement mis à l'écart par ses collègues de travail.

L'arrivée des prisonniers de guerre va empirer les choses et bien des superviseurs vont révéler leur véritable nature. Traités comme des bêtes, les captifs seront regroupés derrière une clôture électrisés les empêchant de s'évader. Roués de coups, ils ne sont pas plus considérés que comme des simples esclaves au service de la productivité. Les efforts de Kaji d'améliorer leur sort ne sont récompensés que par la permission des hommes de fréquenter des prostituées pour canaliser leur énergie. Dès lors, Kaji est pris entre deux feux, mais considéré comme un intrus par tous : d'origine à moitié chinoise, il saura se faire entendre auprès des prisonniers, qui ne le verront pourtant toujours qu'en tant que japonais ; à l'inverse, ses congénères le traitent comme un bâtard et leur méfiance grandit au fur et à mesure que la situation s'envenime. Kaji ne saura pas instaurer d'harmonie durable, les superviseurs japonais trop buttés à faire valoir leur supériorité et les chinois cherchant bien évidemment la meilleure manière de se sortir de leur malheureuse situation. Leurs nombreuses tentatives d'évasion seront le point déclencheur de la triste fin : Kaji n'aura pas réussi à faire entendre raison d'aucun des deux camps. Les japonais se serviront même des fuites organisées pour se faire un peu d'argent en rendant les fugitifs attrapés aux autorités, puis en instaurant la peine de mort. Ce sera l'ultime révolte de Kaji, rendu à moitié fou par son échec et auquel est réservé un triste sort ouvrant ainsi directement aux suites de ce film.


Film anti-guerre par excellence, la vision de Kobayashi est définitivement pessimiste à l'égard de ses congénères. Se révélant des êtres cruels et dictatoriaux en temps de guerre, ils n'accordent plus aucune place à la compassion et l'harmonisation incarnées par le naïf Kaji. Son film est une violente décharge, brûlot dénonciateur sans aucun commun et devançant près d'une dizaine d'années les films tout aussi accusateurs d'une jeune génération de réalisateurs en devenir, tels qu'Oshima. Ne faisant aucune concession, bien des scènes impressionnent par leur violence et leur directe approche sans concession ; tels l'arrivée des prisonniers affamés, la démonstration de l'installation électrique, la scène de la décapitation et de la torture de Kanji par les siens. Kobayashi est d'un pessimisme jusqu'au-boutiste, quand Kanji se retrouve aussi bien rejeté par les siens, que par les prisonniers chinois qu'il pensait ''sauver'' et qui lui lancent des cailloux en guise de remerciement. Une œuvre capitale dans le cinéma japonais.
 
Bastian Meiresonne