.Detective Bureau 2-3
 
Titre original:
Tantei jimusho 23 : Kutabare akuto-domo
   
Réalisateur:
SUZUKI Seijun
Année:
1963
Studio:
Nikkatsu
Genre:
Pop Yakuza eiga
Avec:
SHISHIDO Jo
KANEKO Nobuo
KAWAJI Tamio
SASAMORI Reiko
dre
Swing and shoot  

Adaptation irrévérencieuse d'un roman de Haruhiko OYABU, Seijun SUZUKI laisse littéralement exploser sa folie créatrice virtuose. Objet filmique indéfinissable, la forme prime définitivement sur le fond et assure un divertissement flirtant avec le culte.

Le détective sans gêne Tajima s'infiltre au sein même d'un gang pour démanteler un puissant réseau de revendeurs d'armes.

Ayant choqué ses commanditaires des studios déclinants de la Nikkatsu avec son précédent métrage Le vagabond de Kanto, ordre est donné à SUZUKI d'adapter un roman noir de l'écrivain Haruhiko OYABU. Mettant en scène le sérieux détective Tajima dans une affaire de recel d'armes très classique, les producteurs pensent ainsi limiter les extravagances de leur réalisateur. C'était sans compter sur la folie créatrice de SUZUKI, qui en profite pour détourner aussi bien son matérieau de base que les codes inhérents au genre. Le premier changement important concerne le protagoniste principal : au lieu du détective classique et sérieux, Suzuki demande à Joe SHISHIDO d'interpréter un personnage exagérément viril, maniaque de la gâchette doublé d'un fumeur et buveur invétéré. Sans aucune gêne, il flaire les bons plans pour se faire un peu d'argent et déshérite la police d'une importante enquête. Il est en cela aidé d'une paire de compères semblant tout droit sorti d'un manga. Caricaturaux, ils constituent une sorte de side-kicks fantasques, qui n'ont peu d'importance concernant l'intrigue, mais égayent le récit à chacune de leurs apparitions désopilantes. Tous les codes inhérents au genre sont ainsi désamorcés : les policiers sont incapables de gérer une enquête, le personnage principal est un joyeux luron, les méchants passent leur temps à occuper le commissariat local ou à se canarder à l'aveuglette dans de sombres entrepôts ; même la maîtresse (obligatoire) ressemble à une potiche, malheureuse d'être encore vierge à son âge parce que son amant est impuissant (!!!).

Si le Japon est aujourd'hui connu pour ses multiples délires tant scénaristiques que visuels, l'audace de Suzuki fait office d'une bombe dans un cinéma à l'époque rigide et factuel. Il s'attaque même ouvertement aux bien-fondés de la religion, en réalisant une hilarante scène dans une église. Les curés sont en fait des policiers déguisés, qui entament une cérémonie du mieux qu'ils peuvent et se retiennent pour ne pas fumer à l'intérieur des confessionnels. Autre tabou : le sexe. Si Tajima n'hésite pas à recourir à la force pour embrasser des jeunes filles farouches, il trompe allégrement sa fiancée pour son propre plaisir. Un loubard est engagé dans une bien étrange relation, qui consiste à violenter sa femme (consentante) dès qu'il rentre chez lui sous prétexte qu'elle cache un amant. Et que dire de ce plan d'une grue se dressant en arrière-plan au niveau du bas-ventre de Tajima, quand la fiancée du méchant avoue être encore vierge, parce que son amant est impuissant ? Enorme plaisanterie, où Suzuki n'hésite pas à combler les vides scénaristiques par des scènes musicales endiablées durant lesquelles Joe SHISHIDO ira même jusqu'à entonner la chansonnette. Trame ultra-classique, dont SUZUKI n'en a d'ailleurs que très peu cure, préférant davantage exploiter la forme en se jouant des couleurs tant au niveau du décor, que dans sa lumière. Les lieux sont donc kitsch à souhait et l'appartement d'un truand plongé dans une série de couleurs bien trop belles pour être réalistes. Dans sa folie, seul le traitement de l'image est épargné dans cet opus ; mis en scène de manière classique, SUZUKI ne pousse pas encore ses expérimentations visuelles au niveau de ses futurs Vagabond de Tokyo ou encore La Marque du Tueur.

Si le réalisateur ne risquait pas d'améliorer ses relations déjà très tendues avec son employeur, il réalise pourtant un curieux divertissement expérimental, considéré aujourd'hui à juste titre comme l'une de ses œuvres les plus importantes et qui influencera nombre de réalisateurs par la suite. Belle preuve, qu'un esprit artistique peut aller de pair avec cinéma populaire.
 
Bastian Meiresonne