.Dirty Maria
 
Titre original:
Kegareta Maria Haitoku No Hibi
   
Réalisateur:
ZEZE Takahisa
Année:
1998
Studio:
-
Genre:
Pinku
Avec:
YOSHINO Akira
SUWA Taro
KUDO Shoko
SANO Kazuhiro
 dre

A froid

Personnalité emblématique du monde du cinéma érotique japonais, Takahisa Zeze construit film après film un univers cohérent sur l’incommunicabilité de l’espèce humaine.  De Dream of Garuda (93) à Raigyo (97), la trajectoire stylistique du cinéaste dénote clairement d’une aspiration au dépouillement et la mise à nue de ses personnages. Logiquement et s’inspirant une nouvelle fois d’un fait divers, Dirty Maria (98) s’inscrit dans cette logique tout en y apposant un cachet encore plus austère que ses prédécesseurs.  Pourtant cette radicalisation (qui culminera avec Hada no sukima en 2004) peine à justifier des ressorts narratifs caricaturaux et des tics auteurisants peu digestes.  Spécialiste des films sur la corde raide où l’exaspération côtoie la fascination, Zeze livre ici une œuvre dont le minimalisme  tourne quelque peu à vide et où les drames humains échouent à trouver leur habituelle puissance pathétique. Commençant dans un univers urbain de béton triste, Dirty Maria se déploie selon un procédé narratif original typique des pinku contemporains. Ce puzzle où autant de scènes indépendantes se côtoient a tôt fait de former une trame finalement assez classique (une rivalité amoureuse de deux employées d’institut de beauté qui s’achève par le meurtre de l’une d’elles). Ce parallèle entre deux couples semble augurer d’une thématique moins tourmentée qu’à l’habitude (présence de personnages ‘stables’ et d’un enfant, environnement urbain classique) mais rejoint vite les rails du dérèglement comportemental. De cette obstination à accabler ces personnages ressort un romantisme poseur ambigu dont on peine à démêler la finalité. Le réalisateur s’intéresse t’il ici vraiment à ses personnages ou sont ils les instruments d’une démarche plus cynique?

Grand classique du cinéma d’auteur japonais, l’exil vers les plaines enneigées d’Hokkaido offre une puissante alternative cinégénique pour faire résonner les tourments et doutes de ses protagonistes. Alors que l’entame de film préfigurait un drame urbain sur fond de cellules familiales tendues, le canevas s’embarque vers la fuite en avant de la meurtrière et du mari veuf, en apparence insouciant du vrai rôle de sa compagne de route. Si Dirty Maria fait de l’économie de dialogue son credo, sa posture mutique ne trouve pas de contrepoint dans des situations ‘muettes’  tristement banales qui n’enrichissent que peu l’ambiguïté qui noue le couple d’infortune (Kaza Hana se pose comme son parfait et réussi contrepoint) . Point déterminant du récit, la mise en abîme de la femme meurtrière se fait cruellement absent. Une absence du jugement ou d’analyse qui rend les rouages psychologiques particulièrement abscons et évasifs, Zeze allant même jusqu’à sacrifier sans passion le ressort de thriller qui intensifiait son travail.  Le point de vue du cinéaste est lui aussi bancal. Volontairement en retrait il ne capte pas l’intimité des regards et des corps qui se côtoient, un retrait pourtant insuffisant pour inscrire métaphoriquement les personnages dans leur environnement et les décrire selon le point de vue miséricordieux qui lui est cher. Si le recours à la violence (physique ou psychologique) s’efface devant une approche voulue plus mature, Dirty Maria semble articulé selon des mécanismes que trop connus.  Même si culottée, la conclusion qui fige l’exil du couple laisse au final circonspect devant ce qui n’apparaît bien vite qu’un artifice auteurisant vide de sens.

A forcer de creuser insatiablement sa sphère thématique, Zeze bégaie ici son cinéma et tombe dans les travers qu’il frôle bien souvent. Si l’approche minimaliste se double de compositions d’acteurs crédibles et de quelques beaux plans travaillés, la linéarité du scénario simpliste couplée à des tics de réalisation typique du cinéma japonais indépendant (cachet fixe et mutique de l’ensemble) ne retrouvent pas cette étrange agitation viscérale qui secoue son univers froid et distant. Une œuvre en apparence ambitieuse qui dévoile pourtant rapidement les limites d’un cinéaste dont la démarche est toujours aussi difficile à cerner.

 

Martin Vieillot

Disponible chez Sacrament