.Dobermann Cop
 
Titre original:
Doberman Deka
   
Réalisateur:
Fukasaku Kinji
Année:
1977
Studio:
Toei
Genre:
Policier
Avec:
CHIBA Sonny
HATA Janet
MATSUKATA Hiroki
MUROTA Hideo
 dre
Adaptation + Trahison = Déception

Un inspecteur d’Okinawa, Jôji Kano, est chargé de retrouver une jeune fille disparue. Cette fille serait assassinée, mais l’intime conviction de ce flic iconoclaste le mènera jusqu’à une jeune chanteuse prometteuse, protégée d’un yakuza qui se lance dans la musique…

En 1975, le scénariste Sho Fujimura alias Buronson (en hommage au grand Charlie), qui signera plus tard des œuvres telles Ken le Survivant, Sanctuary, Strain et Heat (aucun rapport avec le film de Michael Mann), crée son premier personnage d’envergure sous les dessins de Shinji Hiramatsu : Doberman Cop, grand sommet du polar en manga, et accessoirement, le chef d’œuvre des deux hommes. Deux ans plus tard, Kinji Fukasaku, pour son dernier polar avant plusieurs années (il reviendra dans le genre avec Triple Cross en 1992), l’adaptera au cinéma. Malheureusement, le film ne sera pas à la hauteur de ce que l’on pouvait espérer. Lorsque l’on est fan du manga et que l’on s’intéresse à Fukasaku, on subodore que le film sera une réussite, espoir déçu puisque le personnage s’y trouve totalement dénaturé. Exit le jeune policier fougueux urbain, place à un rustre campagnard débonnaire. Reste tout de même l’incontournable magnum 44, arme fétiche du cinéma de genre.

Entre Kinji Fukasaku et Sonny Chiba, c’est "à la vie, à la mort !", Ils signent leur premier film ensemble (la série du Détective Vagabond) et Chiba a joué dans une des rares scènes tournées par Fukasaku dans l’inachevé Battle Royale 2. Une longue histoire d’amitié qui a traversé les années et les genres. Fukasaku offrira à Chiba ses meilleurs rôles (le journaliste teigneux dans le diptyque L’Homme au Drôle de Chapeau, le beau-frère impulsif dans Yakuza contre G-Men, le pilote d’avion aventurier dans Kamikaze Man, le caïd déjanté Otomo dans Combat sans Code d’Honneur 2 ; Hiroshima : Terre de Vengeance, le légendaire Yagyu Jubeï dans Le Samouraï et le Shogun et Samouraï Reincarnation, le professeur humaniste dans Virus, le joueur de billard morphinomane dans La Rivière Dotonbori, le truculent gangster sur le retour dans Triple Cross…), mais malheureusement, Sonny Chiba dans le rôle de l’impitoyable inspecteur Doberman, est une erreur de casting flagrante pour quiconque connaît le manga d’origine. Non pas qu’il soit mauvais (il donne un côté touchant à son personnage de flic venu de son patelin avec son cochon sauvage, notamment par son tempérament naïf mais déterminé), mais ce n’est pas le personnage. L’inspecteur Jôji Kano est clairement inspiré par le grand Yusaku Matsuda. On aurait espéré que ce dernier puisse incarner ce rôle qui lui est dû. Le pire réside dans le fait que le scénariste Buronson est aussi co-adaptateur du film. L’humour bas-de-slip se révèle relativement drôle (la scène où Chiba est "violé" par une stripteaseuse est quasi-inoubliable et la clique du proxénète et ses "filles" est très attachante), mais hors de propos. Le film aurait pu été considéré comme une réussite si Fukasaku (où certainement les producteurs) avait évité de sortir comme une adaptation directe du manga originel.

Reste de belles choses, comme Janet Hata qui incarne le plus beau personnage du film, une ancienne prostituée qui souhaite se lancer dans la chanson. Par ailleurs, la chanson "My Memory" est de toute beauté, la voix douce et sirupeuse de la très belle Janet donne une connotation érotique à ce joli slow langoureux. Hiroki Matsukata excelle dans le rôle du manager, un brin mafieux et proxénète sur les bords, mais sincèrement amoureux de sa protégée, contrairement à ce que l’on pourrait croire au premier abord. La critique acerbe du show-biz y est intéressante. Les cascades sont géniales (surtout celle où Chiba nous refait Peur sur la Ville), la confrontation Sonny Chiba contre Hideo Murota dans la casse automobile et autres fusillades (malheureusement rares) sont impressionnantes et retranscrivent le côté enragé du manga, grand monument du Polar Hard-Boiled (genre assez rare dans le manga pour être signalé). L’épilogue amer où l’inspecteur comprend que pour le bien de la jeune femme enfin retrouvée, il doit abandonner sa mission, qui serait un échec de toute façon, est également réussi. Ceci est d’autant plus frustrant que le film est une véritable trahison à l’œuvre originale.

Une grande déception de la part d’un des plus grands cinéastes japonais, d’autant plus qu’il avait le matériau idéal pour un énième chef d’œuvre (il faut dire aussi qu’il voulait quitter le genre Hard-Boiled depuis longtemps pour se consacrer à d’autres genres comme le Chambara, la SF…). Mais consolons-nous en regardant l’excellent Drama Oretachi no Kunsho, authentique adaptation officieuse du manga avec l’acteur idéal. Et surtout en sachant que la rencontre tant attendue et tant espérée Matsuda-Fukasaku (la trilogie des Yûgi ne peut être comptée dans le sens où Fukasaku n’y est que producteur) fera l’objet d’un des plus beaux métrages du cinéaste et un des plus beaux rôles de l’acteur : Les Fleurs du Chaos.

 
Mohamed Bouaouina