.DV : Domestic Violence
 
Titre original:
DV : domesutikku baiorensu
   
Réalisateur:
NAKAHARA Shun
Année:
2005
Studio:
Full Motion
Genre:
Drame
Avec:
HANABUSA Yuka
ENDO Kenichi
MATSUDA Shoichi
Denden
 dre
Vérité criante

Tourner un film à budget restreint en DV (numérique) sur le délicat problème de la violence conjugale au Japon était un projet qui avait de quoi faire peur; surtout apprenant que la réalisation allait être confié à NAKAHARA Shun, ancien réalisateur de films érotiques ou des récents Tomie - The Final Chapter et Concent. l'excellent résultat final en est d'autant plus surprenant: le film sait savamment éviter pathos et complaisance pour porter un regard réaliste et glacial sur un véritable sujet encore tabou de nos jours au sein de la société nippone.

Yasuko et son mari - plus âgé de quelques années - Shougo sont un couple marié heureux et amoureux. Doucement, mais sûrement leur apparent bonheur se transforme en un véritable cauchemar pour la jeune femme. Vivant mal l'ascension sociale de Yasuko, il est sujet à d'imprévisibles accès de violence et finit par s'en prendre directement à elle. La femme déboussolée cherche à lancer un appel à l'aide, mais elle ne rencontre que le mépris.

Domestic Violence restera comme l'une des meilleures surprises nippones de l'année 2005. Partant d'un sujet irrémédiablement casse-gueule, le réalisateur NAKAHARA Shun s'empare brillamment du matériau d'origine pour en faire un pamphlet réussi. Il faut savoir que la violence domestique au sein de la société actuelle japonaise est un sujet largement tabou. Cet acte barbare n'est reconnu officiellement par la loi que depuis 2001, d'ailleurs révisée en 2004 pour renforcer des peines encore largement insuffisantes. Pour exemple, la peine d'emprisonnement à l'encontre d'un homme jugé coupable d'avoir abusé et molesté sa femme de manière si brutale est estimée de 7 à 18 mois, parfois même avec sursis… n raison de la relative nouveauté de cette loi et d'une mentalité de soumission profondément ancrée dans la réalité nippone, rares sont aujourd'hui les cas d'accusation réelles contre les maris. La femme est depuis toujours considéré comme étant inférieure à l'homme et se devant de montrer respect et soumission envers son mari. Oser accuser son époux de violence domestique revient à une honteuse dénonciation, le signe d'un affront envers son prochain, alors que l'erreur serait peut-être plutôt à chercher du côté de la femme. La violence domestique concerne actuellement un foyer sur vingt; pourtant seules 2000 complaintes sont déposées annuellement et beaucoup plus rares sont les condamnations. Cette terrible mentalité est imputé d'une part à une vérité historique, d'autre part à la terrible pression sociale; la plupart des affaires recensées émanent de foyers issus d'une catégorie professionnelle élevée (avocats, médecins, politiciens)… Le couple dépeint dans le présent film est issu d'une classe sociale moyenne. Sans enfants, tous deux travaillent et Yasuko est même sur le point de décrocher un important poste de responsable dans une bijouterie. Malgré leur notable différence d'âge, tous deux semblent unis dans leur amour. Complices, NAKAHARA ose même une courte scène de sexe, réminiscence certaine de son passé de réalisateur de pinku eiga (films érotiques) : sur le toit de l'immeuble, les deux amants font l'amour sur fond d'une grande roue illuminée. Signe prémonitoire de leur prochain isolement face au reste du monde, le pudique cadre (scène filmée de loin) retranscrit également la distanciation du réalisateur par rapport à son sujet : il dresse un terrifiant constat sans prendre aucun parti.

Le terrible "déclic" se produit le jour où Shougo veut surprendre sa femme à son travail; à travers la vitrine, il la voit en train de se faire passer une bague au doigt par un jeune et attractif collègue de travail. Alors qu'il n'y a aucune ambiguïté de part et d'autre, la scène déclenche pourtant la part de mal veillant en l'homme. Lors d'une promenade nocturne, il cherche à inciter sa compagne d'abandonner son travail pour devenir femme au foyer; devant son refus, il la frappe soudainement de son parapluie. Quelque temps plus tard, il la force à faire l'amour alors qu'elle est alitée par une forte grippe; puis il tente d'empêcher carrément sa femme d'aller au travail en cachant porte-feuille ou carte d'abonnement des transports en commun. Les intentions de Sougo sont très claires : il cherche à forcer la soumission de sa femme en voulant l'obliger à devenir la parfaite mère au foyer. Son comportement est à l'image de sa différence d'âge : il s'agit d'un métaphorique affrontement inter-générationnel entre l'ancien courant et l'actuelle société égalitaire. De plus, il avouera plus tard d'agir comme son père - outre l'éventuelle influence du code génétique, en ressort surtout le mauvais exemple d'une éducation, voire d'un traumatisme infantile.

Les statistiques ont établi que la plupart des cas de violences domestiques concernaient surtout de femmes au foyer. Isolées du reste de monde, elles n'ont que peu de chance de recourir à une quelconque aide extérieure et sont totalement livrées à la merci de leurs maris. NAKAHARA aborde franchement le sujet par le biais du personnage de Yasuko. Alors qu'elle n'a plus de travail et d'autres ressources que les quelques sous nécessaires à faire les courses, elle tente une première fois de lancer un appel au secours par le biais de l'Internet. Femme-enfant, elle laisse un message sur un forum pour demander si les agissements de son mari sont normaux. Le retour est cinglant, les internautes lui laissant d'acerbes remarques envers son attitude volage au lieu de la soutenir. C'est un autre aspect de la difficile reconnaissance de la violence en tant que crime : la société nippone a depuis toujours opprimé la femme pour en faire un "être inférieur". Si l'époux a besoin de recourir à la violence à l'encontre de sa femme, c'est parce qu'elle le mérite ou l'a bien cherché. Dans le film, les internautes accusent donc Yasuko de n'agir que par intérêt, d'être vénale, de chercher à se lamenter d'un sort pas du tout injuste. Un peu plus tard dans le film, au cours d'une séquence difficilement soutenable, Sougo abandonne sa femme (pour aller aux toilettes…) après l'avoir violemment frappé dans un karaoké. Yasuko implore un serveur d'appeler la police, mais ce dernier lui rétorque de devoir d'abord demander l'autorisation de son mari. S'enfuyant, la jeune femme se réfugie dans un commissariat où l'inspecteur lui conseille de rentrer chez elle pour servir docilement son mari…NAKAHARA inclut donc tous les aspects généraux liés à l'actuelle violence domestique et dénonce le terrible travers de la société nippone. Il a pourtant le bon goût de ne prendre aucun parti, ni d'en faire un sujet sensationnaliste.

Le choix de tourner en numérique donne au film un ton terriblement réaliste et renforce d'autant l'implication dans le drame se déroulant devant les yeux. Alors que de nombreuses productions américaines avaient complaisamment fait du violent mari une espèce de monstre, le personnage est d'autant plus terrifiant, qu'il est absolument imprévisible dans ses accès de violence. Par moments, il recouvre même une certaine lucidité, comme lorsqu'il avoue avoir vu ses parents agir de la même sorte étant enfant; il est même convaincu de ne faire aucun mal, une épouse se devant de se soumettre aux entiers désirs de son mari… NAKAHARA inclut finalement peu de scènes de violence pour se concentrer davantage sur le silencieux combat de Yasuko cherchant à obtenir de l'aide de l'extérieur; du coup, les coups portés redoublent d'intensité et cicatrices et contusions en signe de conséquence des actes commis n'en font que plus mal. La fin peut sembler décevante, mais est une autre habile réflexion de la société actuelle. Comment réussir à convaincre un monde extérieur fermant les yeux sur un drame individuel terrifiant ? Comment affronter une mentalité obsolète par une société en perpétuel mouvement ? Yasuko trouvera un moyen à la pointe de la technologie pour tirer la sonnette d'alarme; la dernière ironie du sort étant, que - malgré tout - personne ne se soit porté à son secours.

Evitant toute complaisance et pathos, le réalisateur NAKAHARA Shun réussit le froid et terrifiant constat d'un terrible travers de la société nippone (et mondiale !) actuelle. Très beau regard à un sujet tabou, il finit moins par accuser la violence du mari que la passivité et l'aveuglement d'un monde Et de tenter de nous inciter d'agir tous ensemble, pour que de telles injustices ne restent pas impunies…

 
Bastian Meiresonne