.Double Suicide à Sonezaki
 
Titre original:
Sonezaki Shinju
   
Réalisateur:
MASUMURA Yasuzo
Année:
1978
Studio:
ATG
Genre:
Drame
Avec:
UZAKI Ryudo
KAJI Meiko
IGAWa Hisashi
HASHIMOTO Isao
dre
Décadence

Cruelle décennie pour Masumura que sa carrière post-Daiei (faillite du studio en 1971) qui illustre la compromission et le renoncement progressif d’un cinéaste devant des projets commerciaux lui semblant totalement étranger. Si l’on excepte le sursaut inattendu du superbe La berceuse de la grande terre (1977), le parcours de Masumura semble littéralement  personnifier la profonde période de crise que traverse le cinéma japonais des grands studios. En cette année 1978, l’Art Theatre Guild est aussi en proie au doute devant les difficultés financières (seule une des dix salles dédiées reste encore active) mais aussi des choix artistiques où la vitalité, l’innovation et la radicalité des débuts semblent inexorablement s’effacer. Ratage total et inexplicable, Double Suicide à Sonezaki stigmatise aussi bien la dangereuse orientation commerciale du studio qu’un coupable relâchement dans la volonté artistique d’exploiter le médium du cinéma. Si Masumura continuera sa déliquescence (l’horrible Jardin d’Eden en 1980), l’Art Theatre Guild saura heureusement bientôt rebondir sous l’impulsion de Shiro Sasaki, son nouveau président et initiateur d’une nouvelle ligne éditoriale.

Thème récurrent du studio, le double suicide amoureux s’est précédemment vu illustré par Shinoda (Double Suicide à Amijima, 1969) dans un audacieux projet d’abstraction et de distanciation ; Double suicide à Ninshijin (Tabayashi, 1977) prendra des chemins différents en proposant une relecture contemporaine, grande tendance de l’époque. Plus classique, Masumura opte pour une adaptation littérale du roman de Monzaemon Chikamatsu qui à travers le prisme d’une romance entre un marchand et une prostituée, offre un regard cruel sur une époque où le froid réalisme, que motive l’argent et le statut social, tue dans l’œuf tout échappatoire amoureux.  Domaine de prédilection du cinéaste, l’aspect passionnel de la relation est étonnamment mis en retrait devant la peinture des mécanismes implacables menant le couple à la mort. Evacuant les sentiments amoureux dans de longues tirades artificielles, Masumura se désintéresse de ses personnages et illustre froidement les rebonds narratifs mortels  ; il désamorce d’ailleurs toute charge de suspense en dévoilant la fuite finale des amants dès l’introduction.

Véritable mise en abime cynique du récit, le corps du film doit se voir dans l’attention froide et sadique portée aux malheurs des amoureux et du méchant archi-caricatural où coups du sort, bastonnades et trahisons débordent à intervalles réguliers. La composante misanthrope éclate littéralement dans le climax où le suicide romantique prend une tournure gore bien surprenante; automutilations et geysers de sang composent une trahison très dispensable du matériau original tant la tonalité décadente apparait totalement gratuite. Il faut voir la pauvre Meiko Kaji déclamant sa tirade amoureuse … tout en ayant la trachée fendue ! Double-Suicide à Sonezaki reste un film déroutant dont il est difficile de discerner les motivations premières du cinéaste. En effet, si certains aspects du traitement semblent l’inscrire dans un courant moderniste typique de l’ATG, le film de Masumura se trouve être un ratage artistique total difficilement compréhensible dans un tel cadre de production indépendant ; à tel point qu’on se demande si le cinéaste n’a pas délibérément torpillé son œuvre.

Des rebonds mécaniques et bavards du récit où les scènes sont étirées jusqu'à l'absurde en passant par la platitude extrême de la mise en scène; ou encore une direction d’acteur d’une dramatisation théâtrale exacerbée doublée d’une composante psychologique caricaturale, Masumura enchaine les ratés sans sourciller. Le pire étant sans doute les débordements ‘bis’ difficilement pardonnables : l’évasion et la scène de la bougie sont d’un ridicule achevé, les éléments érotiques (ah ces plans-tétons!) et sanglants complètement hors de propos, la bande-son groovy aussi fade qu’indésirable (on a connu le Downtown Boogie-Woogie Band de l’acteur Ryudo Uzaki bien plus inspiré). Le clou du spectacle étant certainement le grand-méchant campé par un Hisashi Igawa complètement hystérique, un moment de cabotinage extrême aussi épuisant que fascinant. Un océan de désolation d’où surnagent quelques rares moments atmosphériques et silencieux (enfin !), Masumura ne s’en remettra pas … le voulait-il d’ailleurs ?

 
Martin Vieillot