.Errance
 
Titre original:
Matatabi
   
Réalisateur:
ICHIKAWA Kon
Année:
1973
Studio:
ATG
Genre:
Comédie noire
Avec:
HAGIWARA Kenichi
OGURA Ichiro
BITO Isao
INOUE Reiko
 dre
Poor Lonesome Yakuza

Au coté de Yasuzo Masumura, Kon Ichikawa appartient à cette lignée de vétérans respectables ayant pris les rails du cinéma indépendant  avec un bon wagon de retard. Doit-on alors seulement y voir une coïncidence si leurs œuvres ATG respectives partagent un cruel manquent de fulgurances et d’innovations ? Terre d’asile des pionniers et expérimentateurs, le studio indépendant semble aussi parfois faire office de bouée de sauvetage pour des cinéastes encaissant de plein fouet la crise du cinéma japonais des années 70 et peinant à boucler leurs projets. Pour une des premières tentatives de cinéma de genre de l’ATG (ici le matatabi no mono, soit ‘film de yakuza errant’),  Ichikawa prend le parti-pris d’un traitement ironique d’une trame classique ; soit trois jeunes yakuza affligés d’un mauvais karma s’en allant découvrir le monde, non sans se départir de leurs travers définitivement humains.

_ _

Salué par la critique pour sa tonalité anti-yakuza, le réalisateur de Errance  s’est pourtant défendu de telles velléités et avança avoir voulu livrer une comédie noire. Si les deux partis semblent détenir une part de vérité ;  l’ambigüité du propos tient malheureusement plus à l’absence d’un vrai point de vue qu’au fruit d’une démarche consciente comme dans les meilleures conclusions cyniques de Kihachi Okamoto. Les esprits contradicteurs pourront même y voir une glorification indirecte de la pègre locale, le statut de yakuza ‘pur’  apparaissant comme une caractéristique innée d’hommes forts ; à l’image de ce gamin frondeur ridiculisant la bande des apprenti-yakuza. On préférera plutôt y lire l’allégorie d’une jeunesse indécise et lâche dont la chute est  catalysée par l’infortune plus que par l’influence néfaste d’une société vérolée. Tel un observateur amusé, Ichikawa y déroule le fil pathétique et tragique de l’existences de ces trois toseinin contraints à la fuite. Ancrant son récit dans des vastes paysages de massifs montagneux fermant littéralement l’horizon, l’attache terrestre tragique se trouve signifiée par le recours à une photographie ocre lourde, des ‘miniaturisations’ par jeux de perspectives et autres récurrences de visions panoramiques (plans annonciateurs où un ciel funeste afflige ces hommes-insectes).

_ _

Reprenant les codes narratifs et esthétiques du genre, on y découvre ainsi le traditionnel narrateur, de longues marches solitaires et son lot de rencontres fortuites avec des voyageurs. Pourtant ici point de complots et autres vengeances, le film d’écarte progressivement d’un schéma d’opposition binaire pour mieux suggérer la nullité première des protagonistes qui causeront eux même leur perte, aidé en cela par un réalisateur omnipotent tirant les fils ironiques du destin. La conclusion noire est à ce titre pathétique à l’image de la chute accidentelle dans un ravin de l’un, ou la dégénérescence d’une blessure bénigne pour l’autre. Ichikawa laissant le troisième larron en plan marmonnant un chevaleresque  « encore parti chier ! », alors que le générique final l’abandonne à ses appels sans réponses. Une trajectoire qu’Ichikawa aura auparavant précisée en traçant les caractères fragiles et indéterminés de ces personnages dans une première partie paresseuse où l’on découvre l’existence peu glorieuse de trois gamins attardés voulant jouer les durs, malgré leurs airs ahuris et bien peu farouches.

_ _

Ichikawa détourne ainsi les postures héroïques de yakuza pour laisser paraitre des êtres sans ambitions, effrayés par leur propre sabre et incapables de se battre sans chuter lourdement et finalement réduit à rançonner d’inoffensifs paysans en pleine partie de dés. Tout cela avant de rentrer sagement chez leur parents, incapables qu’ils sont de subsister par eux-mêmes, réduit à dormir à la belle étoile ou prostituer leur compagne pour se nourrir. Se complaisant à arborer les atours virils des yakuza, ces jeunes sont pourtant bien les seuls à ignorer la piètre image de leurs postures mafieuses comme lorsqu’ils s’égarent dans des déclamations alambiquées ou se fendent d’apparition protocolaire  … par l’entrée des serviteurs. Ce petit manège trouvera son terme lorsque le code d’honneur se retournera ironiquement contre eux, un des jeunes sera contraint de tuer son père. Ambigu dans son propos misanthrope et refusant toute moralisation, Ichikawa semble davantage y illustrer les renoncements d’une certaine jeunesse que d’affliger unilatéralement l’humanité et sa société ; à l’image des personnages secondaires ‘forts’ de l’enfant et de la compagne de route apparaissant comme des reflets ‘positifs’.

_ _

Traité sur le mode unique de l’ironie, la personnalisation manque pourtant cruellement de nuance et d’ambigüité pour pouvoir convaincre.  Ces personnages ‘creux’ ne faisant que rester des figures théoriques distantes qu’Ichikawa se contente d’observer. Procédant par de nombreux effets comiques peu subtils (vociférations et gesticulations), le film peine à trouver un ton propre sous sa façade de comédie. L’absence de contrepoints y étant pour beaucoup ; les quelques effets scéniques digressifs ratant aussi leurs but (plans en rafales ou cadrage ‘mouvant’). La direction d’acteur libre qui accouche d’interprétations volontairement désintéressées ne fait que souligner la minceur psychologique de l’ensemble, favorisant même des numéros de cabotinages dispensables. Errance ne reste malheureusement qu’une fable noire et poussive d’un cinéaste manifestement peu à l’aise dans le domaine de l’ironie ; un projet certes atypique mais définitivement mineur dans sa riche filmographie.

 

Martin Vieillot