.L'Extase des anges
 
Titre original:
Tenshi no kokotsu
   
Réalisateur:
WAKAMATSU Koji
Année:
1972
Studio:
ATG
Genre:
Drame
Avec:
YOSHIZAWA Ken
SHIBATA Hidekatsu
IWABUCHI Susumu
MATSUSHIMA Shinichi
 dre
La révolte des croyants

Une faction armée d’un groupe révolutionnaire puissant est victime d’un conflit interne à la suite d’une action violente ayant tué la plupart des membres. De cette faction, il ne reste que quelques têtes dont le chef, devenu aveugle. Considérée comme perdue par les hautes instances du groupe révolutionnaire, le butin de cette action est récupéré par une autre faction bien active. Les victimes sont laissées à leur sort, et arrivent à comprendre que cette révolution voulue par le groupe est une illusion. Ces véritables renégats se lancent alors dans des attentats individuels, reniant fermement les valeurs des révolutionnaires. Wakamatsu démolit les mouvements révolutionnaires japonais et pointent clairement leurs failles.

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Le propos politique s’inscrit explicitement à tous les niveaux du film, et ça dès la première minute. Les chansons parlent de batailles, les individus ne vivent que pour créer un nouvel ordre mondial. C’est tellement présent que même lors des scènes de sexe, la politique est invitée. Cette omniprésence peut en devenir effrayante tant les personnages se bornent à vivre comme soldats d’une révolution, ayant d’ailleurs abandonné leurs vrais noms pour des noms de code. Entre eux, il n’y a aucune pudeur, ils partagent absolument tout. C’est l’un des fondements de leurs idées. Néanmoins, cette faction de rebelles va bientôt saisir les limites de cette politique.

Pour continuer à faire exister le groupe, il est essentiel de trouver des munitions et des bombes. La faction reçoit donc l’ordre d’aller récupérer des explosifs dans une base militaire américaine. Une action armée violente qui finira en bain de sang où beaucoup de ces révoltés seront victimes des balles militaires. Cette action prend place très tôt dans le film, troisième scène, sans que les personnages tergiversent trop longtemps. Ils doivent absolument agir. Le problème, c’est le résultat d’une pareille mission et surtout la considération des hautes instances vis-à-vis de ces factions. La mission coûte la vie à plusieurs hommes sans que cela n’intéresse ou ne chagrine les gradés. Il n’y a même pas une minute de silence et la moindre trace de respect. Ce groupe fonctionne comme une usine.

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Les révolutionnaires sont des pions interchangeables, quand une faction est éliminée, une autre prend le relais et s’accapare violemment leurs munitions. Dans ce film, Wakamatsu montre que les premiers ennemis des révolutionnaires, ce sont eux-mêmes. La police ou les autorités sont relayées aux photos des journaux, ils n’interviennent pas directement contre le groupe armé. Ce sont les cibles des attentats, ils sont impuissants. Alors que les révolutionnaires obéissent aux ordres sans discuter, et s’il faut torturer et violer une camarade pour obtenir des informations, ce sera fait sans rancœur. Est-ce que ce groupe vise à la révolution ou au contrôle total des moyens d’expressions ? Ici, les révolutionnaires se comportent comme des petits dictateurs voulant avoir le monopole sur les mouvements. C’est un comble pour des révoltés pareils !

Pour la faction tombée, ce dénigrement est une illumination. L’aveuglement du chef (de ses lunettes à son véritable handicap) représente l’état dans lequel cogitent les mouvements rebelles, qui ont perdu pied avec la réalité pour satisfaire leurs ambitions médiocres. Paradoxalement, l’aveuglement de ce révolutionnaire l’amène à comprendre l’erreur de ses idées. Une révélation qui atteint aussi ses partisans restants. Ensemble, ils réfléchissent à un nouveau type d’action. Tellement que le groupe rebelle envoi un espion pour récupérer quelques informations. Pour maintenir ces individus sous contrôle. Mais au contact de ces nouveaux révoltés, l’espion perd peu à peu ses idées.

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Cet espion avait une vision très fermé de ce que devait être les mouvements révolutionnaires. Il rentre souvent en conflit avec ses nouveaux camarades, imposant une vision rigide et critiquant sans cesse l’état de ces rebelles. Pour lui, la révolte se peut se faire qu’en masse. Il doit y avoir un réseau organisé obéissant à des ordres communs pour espérer soulever le système. Sauf que pour ces révoltés, l’action doit être individuelle. C’est seul que l’individu peut mener à bien son combat, sans être gêné par le pouvoir d’un gradé ou de collègues. C’est à chaque homme de se lancer dans des attentats pour faire tomber la société. C’est la réflexion d’anarchistes déçus de l’immobilisme des soit disant révolutionnaires.

Ce nouveau groupe adopte une autre attitude. Pour trouver l’argent nécessaire à la fabrication des bombes, un membre décidera de devenir photographe de charme. Un choix forcement détestable selon l’espion, pour lui c’est une attitude qui sert avant tout le régime capitaliste. Soit, l’opposé parfait de l’idéalisme révolutionnaire. Wakamatsu résumera ce changement de position lors d’une scène de masturbation en couleurs, ces anarchistes rejettent le partage du corps pour satisfaire leurs propres désirs. C’est la naissance de l’individualisme. Et pour ceux qui s’obstineraient à conserver la vision illusoire d’une quelconque révolution, Wakamatsu laisse la parole à la chanteuse enragée qui face à la caméra clame l’inutilité des groupes révolutionnaires.

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Si ces anarchistes restent enfermés dans un appartement, c’est avec la certitude de pouvoir par la suite s’intégrer dans la société pour mieux la faire sauter avec ses propres moyens. Pendant qu’eux réfléchissent sur les changements à effectués, le groupe révolutionnaire passe son temps à baiser, à attendre vainement l’arrivée d’un évènement et à poser des bombes. Dans tous les cas, ces actions n’ont aucune conséquence sur l’avenir de la société. Pour ces anarchistes, il faut aller en plus loin que de faire exploser en série des commissariats. Il faut s’attaquer à l’ensemble de la structure, toucher tous les points possibles sans faire de distinction. Semer la confusion et la terreur dans ce système. En fait, sortir d’une logique révolutionnaire vaine qui vise avant tout à satisfaire les ambitions de quelques révoltés. Ces anarchistes sont prêts à mourir pour une cause quand la mort des rebelles ne sert à rien, voir la mission du début.

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Wakamatsu réalise son film somme où il pousse à bout chacun de ses motifs et thèmes. Désormais, les hommes ne se cachent plus dans des appartements modernes à l’abri du regard des autres (L’Amour derrière les murs). Ils envahissent la rue et se fondent dans la masse pour préparer la fin de cette société. En faire un champ désert où tout a explosé (La Vierge Violente). Les groupes disposant des moyens pour agir restaient dans un immobilisme mortel d’où s’échappait un individu prêt à véritablement agir (Saison de la terreur, Viol sans raison). Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un seul renégat, ils sont plusieurs à suivre une même logique. Cette unité leur permet de montrer la faiblesse de leurs anciens camarades, forcés d’accepter qu’ils ont fait une erreur (dans la continuité du Fou de Shinjuku). L’intrusion venait toujours d’une force extérieur, comme la police, ici elle vient des révolutionnaires. Et l’espion devient un anarchiste convaincu à la manière de celui de Sex Jack La musique rentre dans une logique de chaos, les chants reflètent l’état d’esprit des anarchistes (Va, va vierge pour la deuxième fois), du jazz déstructuré accompagne les attentats et le silence est d’or lorsqu’apparaissent les titres des journaux. Une fois est sûre, maintenant l’ombre de la domination se trouve dans la rue, libérée.

 

Michaël Stern (Wild Grounds)