.Femmes de la nuit
 
Titre original:
Yoru no onnatachi
   
Réalisateur:
MIZOGUCHI Kenji
Année:
1948
Studio:
Shochiku
Genre:
Pan-pan mono
Avec:
TANAKA Kinuyo
TAKASUGI Sanae
NAGATA Mitsuo
TSUNODA Tomie
 dre
Ni putes, ni soumises

Digérant difficilement son ''combat'' perdu suite à son précédent film, L'amour de l'actrice Sumako face au succès plus important du projet concurrent de Teinosuke KINUGASA, L'actrice, Mizoguchi décide de faire appel au scénariste de ce dernier pour signer l'adaptation de la pièce de théâtre à succès, Seul contre dix million d'hommes. Bien évidemment, le réalisateur - une nouvelle fois retors - confiera la réécriture à son fidèle Tohsida YODA, afin d'expurger le matériel d'origine de ses moments de pur mélodrame et d'assurer une version bien plus réaliste propre à son univers. Réalisé la même année que L'ange ivre d'Akira Kurosawa, tous deux métrages donnaient une vision particulièrement réaliste et pessimiste de l'immédiat après-guerre.

Fusako, une jeune veuve de guerre ayant également perdu son fils, tente tant bien que mal de survivre dans la difficile période de l'immédiat après-guerre. Refusant de recourir à l'argent facile en se prostituant, elle tombera finalement dans les mailles de la perversité du système de son époque…

Singulièrement ralenti dans son rythme de tournage par le manque d'argent et de personnel, il est pourtant tout à fait étonnant que le projet particulier de Mizoguchi ait abouti. Tout d'abord de par le tour mesquin joué à l'auteur originel Eijiro HISAITA à qui le cinéaste avait demandé d'adapter sa propre pièce de théâtre à succès, avant de le faire réécrire par son fidèle YODA ; ensuite par l'autorisation accordée par l'omniprésente Comité de Censure veillant au bien-fondé des réalisations. En effet, le résultat final se classe facilement parmi les œuvres les plus réalistes et dures de la période de l'immédiat après-guerre. Seul L'Ange Ivre d'Akira Kurosawa sorti la même année pouvait prétendre à une même représentation ultra-réaliste, inspirant certainement les futures œuvres engagées de SUZUKI (La Barrière de Chair) et de FUKASAKU. En même temps, la mode était au ''pan-pan mono'', des romans ou films traitant d'histoires de prostituées ; un courant ouvert par le roman ''La porte de chair'' de Tamura TAIJIRO, mais se résumant la plupart de temps à de simples films d'exploitation sans grand intérêt. La population dans leur perversion aime à s'infliger d'autres horreurs en temps de malheur et ces produits étaient certainement une sorte d'exutoire à leur profond traumatisme suite aux conséquences de la guerre.

De nos jours, cette cruelle représentation profondément pessimiste du sort subi par les femmes dans l'après-guerre peut encore choquer, mais se situerait apparemment loin de la vérité. D'après les histoires rapportées du tournage, une visite dans un hospice s'occupant des prostituées aurait été autrement plus traumatisant que la scène se déroulant dans le film : des figures hagardes, des femmes toxicomanes en manque ou des prostituées battues à ne plus être reconnaissables. L'équipe de tournage a également investi des lieux, où forces militaires ou policiers n'osaient plus mettre les pieds en conséquence d'un trop fort taux de criminalité. Les scènes de viol, de dépouillement ou de passage à tabac de l'héroïne du film n'étaient donc que monnaie courante à l'époque du tournage du film…

L'audace d'un tel projet a été payante. Les images sont criantes de vérité, les décors ultra-réalistes et les nombreux passages dramatiques à couper le souffle. Si Mizoguchi s'évertue d'explorer toujours davantage ses thèmes de prédilection, jamais sa représentation n'a été - et ne sera - plus réaliste. Une nouvelle fois le portrait d'une femme, la déchéance est ici totale. Veuve de guerre, Fusako est irrémédiablement condamnée suite à la mort de son mari. Seule dans un environnement hostile, elle ne peut survivre par ses propres moyens. Ses timides tentatives de s'en sortir se solderont par des échecs uniquement redevables à la seule méchanceté de son entourage. Cherchant à vendre les derniers vêtements qui lui restent, elle se fait avoir par un système uniquement basé sur la seule survie des individus (la marchande ne lui donne guère que quelques yens, prétextant la difficile conjoncture et exploitant la fragilité d'autrui pour son propre bien). Trouvant du travail dans une société, elle sera déçue par son patron. Esseulée, elle sera abusée par un escroc. Exploration systématique de ses thèmes de prédilection, rarement Mizoguchi avait été aussi véhément dans son propos. Les terrains dévastés par la guerre, il trouve la parfaite source d'inspiration pour ses histoires dans un décor de fin de monde. Scénario réécrit pour évincer le pur mélodrame, son métrage regorge pourtant d'un foisonnement de scènes du même type. Etablissant le parfait équilibre et touchant juste, il réussit le tour de force de réaliser un pur chef-d'œuvre, loin de ses concessions futures pour la conquête d'un public occidental et un poignant témoignage de la détresse d'une population entière au sortir de la guerre. A voir absolument !

 
Bastian Meiresonne