.Les Funérailles
 
Titre original:
Ososhiki
   
Réalisateur:
ITAMI Juzo
Année:
1984
Studio:
ATG
Genre:
Drame
Avec:
MIYAMOTO Nobuko
YAMAZAKI Tsutomu
KIN Sugai
HARUNA Takase
 dre
Cérémonie : mode d'emploi

Figure emblématique du paysage cinématographique nippon, Juzo Itami fut longtemps un acteur iconoclaste avant de passer derrière la caméra à l’age avancé de 51 ans à l’occasion de Funérailles (1984). Un sujet qui lui tient depuis longtemps à cœur, il ira jusqu’à hypothéquer son appartement et viendra trouver l’aide de l’ATG pour boucler son projet. On le connaît doué pour la comédie et la satire (Tampopo, L’avocate), Funérailles trace déjà les grands axes de son œuvre à venir et fait montre d’une maturité frappante. Si dans La Céremonie, Oshima traitait de la famille pour mieux faire éclater l’hypocrisie japonaise ; Itami propose une réflexion en creux sur la survivance de la tradition et du rapport à la cellule familiale. Des propos complémentaires pour un sujet proche, Itami prenant ici le parti de la comédie ambiguë aux clefs de lecture subtilement disséminées. Procédant par un cadrage strict de son thème (une cérémonie funéraire suivie sur trois jours complets), le cinéaste épure sa matière pour mieux suggérer les variations intimes de ses protagonistes (une famille et son proche entourage). S’il contient quelques grands moments d’humour, le film sait les distiller en sous-texte sans jamais sacrifier l’homogénéité de l’ensemble. En résulte une comédie froide où le décalage intermittent s’ambitionne en révélateur sensible. Intimement lié à la société japonaise et ses mécanismes sociaux, Funérailles parvient néanmoins s’extraire de son cadre national et à trouver une résonance universelle car avant tout humaine.

Thématique fondamentale, la dimension du regard et du rapport à l’autre se développe et multiplie progressivement les référents. Ainsi, l’entame introduit un point de vue individuel (un narrateur qui s’avère être le beau-fils du défunt) qui ne fera que s’élargir jusqu'à englober la famille dans son intégralité. Une variété de point de vue auquel se joint même le défunt (plans subjectifs de l’intérieur du cercueil !) ; la mise en scène s’articulant tout entière autour de cette opposition binaire procédant par des alternances de plans d’ensembles et autres détails intimes. L’enjeu du récit se focalise non pas sur la douleur ressentie mais sur les préparatifs et rituels de ‘belles funérailles’. En apparence banale (le beau-fils et sa belle mère brûlant les souvenirs du défunt et méditant sur le sens de la mort ), la conclusion éclaire à posteriori les axes laissés en filigranes dans récit un volontairement monotone. Interrogeant en creux les réalités de traditions désincarnées, Itami montre – l’air de rien - comment la notion de groupe  conditionne insidieusement des dérives inconscientes où l’individu s’efface devant un rang et des obligations à tenir, jusqu’à oublier ses propres sentiments ; voir cette cruelle métaphore où les hôtes révisent littéralement leur discours  devant ‘Cérémonie – mode d’emploi’, une vidéo passée d’age.

La mort et son business induit pour lequel le film réserve des piques ostensibles avec le personnage ambiguë d’un prêtre VRP. Une dimension financière prégnante venant préciser après-coup une des scènes introductives (‘Finalement, ça ne coûte pas cher de mourir !’ dit un proche devant la facture modeste des frais d’hôpitaux) ; beau résumé des enjeux présents. Assurément acerbe, Funérailles sait heureusement éviter les constats unilatéraux et nuancer son propos avec une vraie tendresse pour ses personnages. Itami se fait alors l’illustrateur de l’humain universel, de ses petits arrangements mais aussi de ses élans sincères. A l’image de superbes scènes comme ce film de famille 8mm plein de nostalgie ou encore ce panotage de caméra transformant un silence anodin en une émouvante communion de groupe. 

S’il n’est pas toujours passionnant et s’étire parfois dangereusement, ce premier essai affiche sa différence et prend le risque d’une approche austère peu valorisante. Sur des sentiers mille-fois foulés, les acteurs constituent l’espace d’un temps une véritable famille où les nuances du propos prennent progressivement leur force. Et cet humour si caractéristique, trait d’humeur d’un homme tour à acerbe, tendre ou cruellement malicieux, à l’image de cet employé d’un funérarium expliquant dans le détail les conseils de crémation de la dépouille d’un nouveau-né. Pour rire ?

 
Martin Vieillot