.Ghost of Oiwa
 
Titre original:
Kaidan oiwa no borei
   
Réalisateur:
KATO Tai
Année:
1961
Studio:
Toei
Genre:
Kaidan-eiga
Avec:
FUJISHIRO Yoshiko
WAKAYAMA Tomisaburo
FUSHIMI Sentaro
KONOE Jushiro
 dre
Mauvais esprit

Nouvelle adaptation de la plus fameuse des histoires de fantômes japonais Yotsuya kaidan, la relecture de Tai KATO ne réussit pourtant pas à insuffler un nouveau souffle à la légende archi-revisitée. Apparemment bouclée en un minimum de temps, la réalisation maladroite du cinéaste - autrement plus inspirée dans le genre du yakuza eiga - dessert totalement la fantastique tragédie.

Après l'abandon de sa femme Oiwa, le samouraï déchu Iemon complote avec le brigand Naosuke pour tendre un traquenard à son beau-père. Par l'assassinat de ce dernier, il pense pouvoir récupérer sa femme, ainsi que de rapprocher le criminel de sa belle-sœur Osode. Le plan machiavélique réussi, Iemon fait la connaissance d'Oumen, une jeune et riche héritière qui finit par demander sa main et pourrait lui assurer une bonne position dans le rang social. Le samouraï imagine alors une nouvelle ruse diabolique, qui va avoir de fâcheuses conséquences.

Tai KATO est un intéressant cas des cinéastes prolifiques totalement méconnus en Occident. Tout d'abord réalisateur de documentaires, puis assistant de Daisuke ITO avant de commencer à travailler aux studios de la Daiei, il fait partie de la vague des prétendus communistes persécutés après la Seconde Guerre Mondiale. Il réussit pourtant à refaire surface dans les années '50s et de travailler pour les studios de la Takara, puis pour la Toei. Marginal, il se pliait aux conditions des majors (acteurs imposés, petits budgets, temps de tournage restreints) tout en suivant ses propres règles : un véritable travail préparatoire avec les acteurs avant le tournage, pas de maquillage et ses propres découpages des scénarios (tâche incombant normalement aux assistants-réalisateurs). De par l'économie des tournages souvent très courts, il aimait à imaginer de longs plans-séquences, afin de gagner du temps et de la pellicule. Son style se distinguait surtout par l'utilisation de scope lui permettant d'isoler les personnages dans l'espace et de fortes contre-plongées - jusqu'à creuser des trous au sol pour permettre, notamment à son cadreur préféré de haute taille, de voir à travers l'objectif - pour accentuer l'angle de vision. Il officiait dans tous les genres, aussi bien dans les jidai-geki (films historiques), que dans des mélodrames; mais ce sont surtout ses yakuza eiga, qui lui ont garanti sa réputation et l'estime de ses pairs - Fukasaku le citant souvent en exemple. Ghost of Oiwa est une nouvelle adaptation de la célèbre légende de Yotsuya. Pièce de kabuki retranscrite en 1825 par Nanboku TSURUYA, elle avait connu les honneurs de nombreuses adaptations cinématographiques dont les premières versions sont dites remonter aux années 1910's. La Toei décidait donc de mettre en chantier sa propre version, deux ans seulement après celle - pourtant déjà considérée à l'époque comme une réussite majeure - de Nobuo NAKAGAWA.

Fidèle à son oeuvre, KATO décide d'appuyer cette nouvelle adaptation sur une lecture plus psychologique des personnages. Respectant fidèlement l'œuvre originelle, il n'hésite pourtant pas à esquisser davantage les caractères des différents protagonistes. Ainsi, le samouraï Iemon devient un véritable homme perfide, uniquement mû par ses propres intérêts. Libertin et volage, il met au point un fin stratagème pour reconquérir sa femme uniquement dans le but d'espérer une bonne réintégration dans le rang social et non pas par un quelconque amour. Au fur et à mesure du film, il laisse entr'apercevoir sa véritable personnalité lors d'accès d'humeur mémorables donnant lieu aux plus belles séquences du film, tel le soir où il amasse tous les derniers biens qu'il saurait vendre pour pouvoir se saouler au bon souvenir de la jeune Oume; ou lorsqu'il surprend un servant en train de voler les prétendues médicaments capables de soigner son épouse malade. Au contraire, Oiwa est dépeint comme la plus douce et docile des femmes et chaque geste de violence envers son égard n'en est que décuplé. Rares pour les productions de ce genre, le travail sur les différents personnages - même secondaires - est clairement perceptible; en revanche, KATO loupe le coche quant à son interprétation toute personnelle de la légende. D'après son interprétation, les apparitions fantomatiques seraient moins des revanches de revenants, qu'une hallucination propre à Iemon, qui a fini par sombrer dans la folie, accaparé par le remords de ses actes commis. Bénéficiant de la prestation hallucinée (trop exagérée) de Tomisaburo WAKAYAMA, sa déchéance psychologique clairement perceptible en fin de film n'est malheureusement pas suffisamment exposée auparavant pour totalement convaincre. Les seules intentions de la propre appropriation du matériau d'origine de son réalisateur tombent donc relativement à plat. Ce n'est pourtant pas la seule maladresse du film, le pire étant sa réalisation si typique et particulière.

Si KATO a pour habitude de privilégier les longs plans séquences afin de pouvoir tourner plus rapidement, cette pratique le dessert dans le genre aussi particulier que le kaidan eiga (film de fantômes). L'horreur et l'angoisse ne pouvant être obtenues que par l'instauration d'une ambiance pesante, des longs plans larges vont certainement à l'encontre de ce principe. Le spectateur est en relative sûreté, maîtrisant une large portion du décor et ne se sentant pas oppressé, "enfermé" par le cadre. Rien qui ne puisse se cacher à proximité ou se blottir dans les environs. Les décors en studios approximatifs n'aident d'ailleurs pas beaucoup à renforcer le sentiment d'angoisse. Si les positions de caméra choisies ne sont pas toujours des plus judicieuses - et notamment celle du final totalement illisible - un manque flagrant de répétition du jeu des comédiens donnent lieu à des véritables moments comiques, notamment lors des combats non chorégraphiés où les coups soi-disant mortels sont portés loin du corps adverse. Le combat final est d'une maladresse confondante, ruinant totalement la dimension tragique de son histoire : plantée à distance, à faible hauteur, le champ de vision singulièrement obstrué par des éléments de décor significatifs, la bataille faisant rage entre une dizaine de personnes est totalement illisible et le sort d'un chacun laissé au hasard. L'utilisation de ces plans larges, chéris par KATO, permet l'isolement des personnages dans l'espace et à quelques rares reprises, le cinéaste use du procédé pour effectivement soit créer du mouvement en arrière et à l'avant-plan - notamment lors du traquenard du père d'Oiwa -, soit pour isoler des personnages transis de peur (le vieux servant après la mort de sa maîtresse). Abordant également un caractère plus psychologique, se concluant par le brouillage volontaire entre les frontières de la réalité des apparitions fantomatiques ou le seul délire visuel du protagoniste principal rendu fou, KATO n'en tire pourtant pas le meilleur résultat. Il reste trop superficiel en n'exploitant pas suffisamment la déchéance psychologique de son personnage principal. Egalement friand des fortes contre-plongées, KATO n'use pourtant pas du tout de son procédé particulier pour dépeindre le personnage d'Iemon. Tour à tour inquiétant, menaçant, violent, dominant femme et entourage avec pareille violence, ces contre-plongées auraient pu donner à l'homme une nature oppressante de meilleur effet; malheureusement il est filmé à l'instar des autres et ne subit aucun traitement particulier. Enfin, de nombreux problèmes de raccords et de montage terminant quelques scènes de manière trop abrupte semblent indiquer des coupes franches dans le film ou du moins dans la copie présentée (à l'Etrange Festival 2005).

Enième variation autour de La légende de Yotsuya KATO choisit d'opter pour la (classique) approche de la folie plutôt que d'une véritable vengeance fantomatique. Pillant allégrement dans les précédentes adaptations - et notamment celle de NAKAGAWA, telle la scène de la revente des derniers biens de la famille par Iemon - KATO échoue à donner une vision vraiment personnelle de l'œuvre. Sa réalisation si typique, afin de gagner en temps et en économie des moyens, dessert malheureusement le genre du kaidan eiga : ses longs plans larges ne permettent aucune création d'un climat angoissant. Le cabotinage de ses acteurs et son incapacité de filmer correctement les scènes d'action parachèvent le film de n'être qu'une énième variante bien fade de la légende.

 
Bastian Meiresonne