.Ghost story of Yotsuya
 
Titre original:
Tokaido Yotsuya kaidan
   
Réalisateur:
NAKAGAWA Nobuo
Année:
1959
Studio:
Shin-Toho
Genre:
Kaidan
Avec:
AMACHI Shigeru
KITAZAWA Noriko
WAKASUGI Katsuko
EMI Shuntaro
 dre
Mémoires d'Outre-Tombe

Après son excellent et populaire Mansion of Ghost Cat, Nobuo NAKAGAWA s'empare d'une nouvelle histoire de fantômes. Enième adaptation de la fameuse légende de Yotsuya, il utilise la même formule qui avait déjà assuré le succès de son histoire du chat-fantôme en faisant converger toute l'action vers un final endiablé et donnant le plein d'émotions aux spectateurs de l'époque. Toujours d'une redoutable efficacité de nos jours par des effets visuellement réussis, il manque pourtant du grain de folie inventif de son précédent succès et de réelles idées innovatrices à cette nouvelle transposition de la légende archi-revisitée.

Suite au refus du Seigneur Samon de permettre le mariage de sa fille Iwa avec le ronin (samouraï sans maître) Iemon, ce dernier ne trouve d'autre solution que d'assassiner son beau-père réticent avec l'aide de son perfide comparse Naosuke. Mal lui en prend, car quelques mois après son mariage finalement obtenu, il tombe éperdument amoureux d'Ume, belle jeune vierge qui lui assurerait également un rang social plus élevé en vue de sa dot. Après que Naosuke et Iemon se soient également débarrassés du fiancé de la sœur d'Iwa pour un éventuel rapprochement entre la jeune femme et le traître comparse, ils mettent au point un diabolique plan pour tuer l'épouse encombrante. C'était sans compter sur la terrible vengeance des morts revenus de l'au-delà…

Après le fulgurant succès de la modeste production de son Mansion of Ghost Cat l'année précédente, les producteurs de la Shintoho demandent à ce que le réalisateur réitère son excursion dans le domaine du fantastique pour O-bon, la traditionnelle saison des morts à la fin de l'été. Disposant d'un budget plus élevé lui permettant cette fois d'assurer l'intégralité du métrage en couleurs, NAKAGAWA décide de revisiter une nouvelle fois la légende maintes fois adapté sur grand écran et scènes de théâtre du Fantôme de Yotsuya. Décrivant à chaque fois la terrible vengeance d'Iwa revenue d'entre les morts suite à sa défiguration et agonie par empoisonnement, l'histoire initiale et le traitement varient en fonction de chaque metteur en scène. La cause des malheurs est - la plupart du temps - le ronin Iemon; mais sa culpabilité dépend de l'adaptation, ainsi que l'aide apportée par d'autres protagonistes. Quant au traitement, les réalisateurs décidaient de renvoyer les apparitions fantomatiques soit au seul mauvais tour joué par l'esprit torturé de l'assassin, soit à la franche revanche des esprits de l'au-delà.

NAKAGAWA opte pour la seconde solution et décide d'appliquer la même structure que sur son précédent Mansion of Ghost Cat, à savoir une histoire allant crescendo jusqu'au final visuellement stupéfiant et haut en couleurs. De ce point de vue, le pari est largement remporté, Iemon ayant fort à faire face à une armada de visions cauchemardesques terriblement efficaces, qui n'ont encore à ce jour rien perdu de leur parfait savoir-faire. Méticuleusement préparés, les effets spéciaux faits à l'ancienne sont étonnants de cruauté et de beauté, notamment le prétendu couple d'amants cloué à même la planche. Furtives apparitions, NAKAGAWA ne laisse que peu de doutes quant à savoir si elles sont réellement vécues ou si elles ne sont que de simples phantasmes du vil esprit de leur bourreau, ce qui est contraire aux précédentes adaptations de la légende.

Par ailleurs, sa discrète mise en scène - ayant depuis largement inspiré celle de Hideo NAKATA - épouse parfaitement sa façon de procéder. Faite de peu de mouvements de caméra et de longs plans fixes - essentiellement dû au fait du budget restreint et de la courte durée accordée au tournage - ses quelques décadrages et surtout son exhortation à faire travailler l'imagination par une action hors-champ tranche magnifiquement sur l'éclat des séquences finales. L'empoisonnement d'Iwa compte facilement parmi les scènes les plus réussies artistiquement des nombreuses adaptations cinématographique. Ses longs cheveux noirs lui tombant devant le visage - signe précurseur de sa mort, les fantômes japonais étant généralement représentés sous cette forme - et la partie défigurée gardée longuement invisible par un savant jeu de contrastes des lumières dévoile toute son horreur par l'apparition définitive, l'imagination du spectateur ayant depuis longtemps appréhendé de voir l'étendue des dégâts. NAKAGAWA avait réellement le don de faire monter l'intensité dramatique jusqu'à la faire éclater en un joyeux bouquet final forcément attendu.

En revanche, la superbe séquence finale se fait au détriment de la consistance des personnages. Si l'adaptation est une nouvelle variante intéressante autour de l'histoire sans cesse renouvelée des principaux protagonistes, donnant la part belle à un diabolique Naosuke, les personnages sont généralement que sommairement esquissés (et interprétés). Là, où l'adaptation de 1949, par exemple, décevait par l'académisme formel de sa mise en scène et des longueurs narratives inutiles, les personnages profitaient d'une bien meilleure attention. NAKAGAWA n'a jamais été un bon directeur d'acteurs, ce qui le dessert terriblement dans toute la longue première partie introductive de la légende. Les enjeux sont passionnants, les rebondissements shakespeariens, mais le cinéaste se repose sur la convenue connaissance de l'histoire par son public pour développer l'intrigue sans grand enthousiasme. La meilleure preuve en est la terrifiante scène de ménage entre Iemon et Iwa, où le ronin violente sa femme et ramasse les dernières affaires possibles d'être vendus pour s'offrir du saké. Tai KATO reprendra cette même scène à l'identique, mais malgré son talent inférieur à celui de NAKAGAWA, il réussira à donner une dimension autrement plus tragique à la séquence.

Avant tout un magnifique illustrateur, NAKAGAWA rate le coche de cette nouvelle adaptation en n'approfondissant pas suffisamment à ses personnages. Légende qui s'appuie en grande partie sur la longue phase introductive pour mener au final irrémédiable de la vengeance des morts, le cinéaste ne compte que sur sa dernière partie haute en couleurs - forcément très réussie. Son adaptation déçoit donc, manquant du souffle créatif de Mansion of Ghost Cat et de la folie dévastatrice de son futur Jigoku Ce qui ne l'a pas empêché de recolter un nouveau succès spectaculaire lors de la sortie du film et se retrouver définitivement enfermé dans la catégorie de seul réalisateur de films fantastiques.

 
Bastian Meiresonne