Titre
original:
Gojoe
reisenki |
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Réalisateur: ISHII Sogo |
Année: 2000 |
Studio: Toho
Genre: Chambara |
Avec:
ASANO Tadanobu NAGASE Masatoshi RYU
Daisuke FUNAKI Masakatsu |
dre |
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Ni Dieu, ni maître
Après son court revival
artistique avec les trois films August in the Water ,Angel Dust,
et Le labyrinthe des rêves faisant suite à une longue
traversée de désert à la mort du mouvement punk dans la
seconde moitié des années '80s, Ishii revient en 2000 à la
réalisation avec deux uvres importantes : Gojoe et son
cultissime Electric Dragon 80.000 V. Si personne ne s'était
réellement attendu à voir ce réalisateur bouillonnant
à la tête d'une superproduction, il résiste pourtant
à une facilité artistique en mélangeant son accalmie
visuelle acquise sur ses derniers films avec la folle énergie anarchiste
de ses débuts.
Le Japon au XIIième
siècle. Le pays est plongé dans le chaos et l'anarchie suite
à la déchéance du pouvoir aristocratique et bureaucratique
et l'avènement des guerriers bushi, originaires de la future classe des
samouraïs. Deux clans adversaires se livrent un combat impitoyable pour la
succession au pouvoir : Genji contre Heike (ou Taira). Les premiers
défaits, seuls trois de leurs descendants ont eu la vie sauve. Benkei
est un moine guerrier au sombre passé. Traité de démon par
ses adversaires pour cause de son ancienne cruauté et ses combats sans
remords, il s'est retiré sept ans durant pour suivre la vie de moine. Se
croyant investi d'une mission divine, il se rend au pont de Gojoe, afin de
s'opposer à un prétendu démon, en quête de 1000 vies
rendues par quiconque oserait traverser le passage de nuit. La
vérité est toute autre et Benkei aura fort à faire face
à de redoutables adversaires - que ce soit la mystérieuse
entité hantant les lieux ou ses anciens ennemis avides de lui prendre sa
vie.
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Gojoe est basé sur
une ancienne légende réinterprétée tant de fois,
que la vérité historique s'est perdue à jamais. A la base,
Saito Musashibo Benkei (1155-1189) était effectivement dit être un
moine guerrier (parfois également traité de simple voleur) craint
pour ses aptitudes exceptionnelles au combat de sabre. Dit être
l'incarnation d'un démon pour être né chevelu et avec
toutes ses dents, il aurait investi le pont de Gojoe pour affronter tout
passant en duel et de récupérer les armes de ses adversaires
battus. Le nombre de 1000 épées revient dans différentes
interprétations, soit pour construire un temple avec l'argent obtenu de
la revente de ces armes, soit pour avoir défait 999 combattants avant
d'affronter Minamoto no Yoshitsune, descendant du chef du clan des Genji.
Défait par cet héritier, Benkei s'est rallié à
l'homme, l'a soutenu dans son ascension au trône et lui est resté
fidèle jusque dans sa mort lors d'un combat épique. Gojoe
serait donc une nouvelle interprétation de cette légende et ne se
concentre que sur la rencontre entre les deux hommes. Contrairement aux
précédentes versions, les rôles ont été
carrément inversés, le pont étant tenu par Chanao et
Benkei s'opposant aux obscures desseins du mystérieux maître des
lieux. Il est donc facile d'imaginer l'attrait d'ISHII pour cette remarquable
relecture de la légende, qui rejoint finalement la prétendue
vérité historique par un pied de nez admirable en fin de film.
Cette nouvelle interprétation lui sert également de merveilleux
terrain de jeux, propre à faire éclater son ancienne rage
anarchiste, d'exploser les codes imposés du genre tout en poursuivant
une mise en scène contemplative
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Gojoe n'est donc pas qu'un
simple revival du chambara remis au goût du jour dans cette
superproduction osée. S'appuyant certes sur une histoire très
connue par l'ensemble de la nation japonaise, ISHII prend son contre-pied.
Inversion des rôles rejoignant finalement la prétendue
vérité historique tout en en bousculant largement les
données autrement acquises. Il ne développe pas non plus ce qui
constitue la partie centrale de la légende originelle, la lutte commune
de Benkei et de Yoshitsune contre le clan Heike (ou Taira). Une admirable
manière d'aller à l'encontre des institutions et des croyances
normalement perpétuées. Son appropriation du genre du chambara
est également assez révolutionnaire dans son approche. Les
figures traditionnelles sont mâtinées d'une bonne dose d'heroic
fantasy : le moine guerrier, le voleur et le nombreux sorciers au service des
Seigneurs n'ont pas vraiment eu leur place au sein de la filmographie
habituelle du genre. Les combats ont également été remis
au goût du jour : à l'inverse des traditionnels luttes au sabre au
corps à corps, ISHII a fait appel au chorégraphe d'opéra (
!) chinois Zhang Chun XIANG pour illustrer davantage la seule force brute,
plutôt que les techniques de combat. Peu habitué aux
réelles scènes d'action dans ses précédents films,
il compense son inexpérience et celle de ses acteurs principaux (jamais
doublés !) par un rapide enchaînement de plans parfois confus et
malheureusement propre à la production cinématographique actuelle
du genre. Enfin, il combine le récit plutôt traditionaliste
à la lenteur contemplative et philosophique déjà
exploitée sur ses précédents métrages. Parfaitement
intégrée au cours de l'intrigue pour donner un côté
mystique et surréaliste à son univers propre déjà
féerique par la présence de prétendue magie et fortes
croyances en quelque force supérieure, elle rend également compte
de l'importante évolution subie des deux adversaires avant leur combat
final.
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Ce côté mystique
permet également à ISHII de régler ses comptes avec la
religion. Se référant une nouvelle fois à ses origines
punk, il ne croit bien évidemment pas à quelque force
supérieure ou divinité spirituelle, que ce soit à travers
quelque croyance occidentale (les différentes représentations
d'un Dieu) ou l'approche purement asiatique (Bouddha, diverses divinités
passées ou la simple évocation spirituelle en étroit lien
avec la nature). Les représentations des différents ''moines
sorciers'' ou l'avancée de Benkei à travers la ''Forêt
Sacrée'' tournent volontiers les personnages au ridicule ; tous seront
punis de la mort par la seule force brute. Lors de la révélation
de Benkei de son ''égarement de foi'' au détriment de sa violence
physique, ISHII se plait à s'attarder longuement sur une totale
destruction d'icônes religieuses ; difficile de ne pas discerner à
travers sa rage destructrice un règlement de compte tout personnel avec
les croyances. L'abnégation individuelle, le rejet de la religion, la
folie destructrice, la manipulation aristocratique des peuples démunis
barbares (anthologique scène de fête au village attaqué par
les gardes Heike) et surtout la révélation finale -que
malgré l'issue du combat, la lignée aristocratique sera
perpétuée sur des bases purement manipulatrices - sont autant de
thèmes anarchisants, irrémédiablement punk ; les principes
même de Sogo ISHII, qui réussit l'incroyable tour de force de lier
ses convictions personnelles anticonformistes à travers une
superproduction autrement formatée. Parfois confus pour un public
occidental peu affilié à toutes les croyances traditionnelles
japonaises, parfois trop lent, aux scènes d'action pas parfaitement
maîtrisées et tentant de cacher l'inexpérience de
réalisation et des acteurs par un montage survitaminé,
Gojoe reste pourtant comme l'un des plus sensibles et réussis
films du genre de ces dernières années. Remettant certains codes
au goût du jour, mêlant adroitement simple film d'action à
une mûre contemplation philosophique, le métrage est d'une rare
maturité
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A noter,
que le film est distribué dans la plupart des pays (malheureusement
aussi en France) dans une version internationale raccourcie,
variant de 91 à 105 minutes, contre les 138 minutes originelles.
''Epurée'' des longs passages contemplatifs absolument
essentiels à la bonne compréhension de l'évolution
des deux personnages principaux, ces coupes réduisent
le film à un simple actioner trop confus et portent surtout
préjudice à l'intégrité artistique
du réalisateur. Un autre exemple du régime dictatorial
imposé par des producteurs totalement irrespectueux envers
l'artiste et leur public. |