.Hada no sukima
 
Titre original:
Hada no sukima
   
Réalisateur:
ZEZE Takahisa
Année:
2004
Studio:
-
Genre:
Pinku
Avec:

Fujiko
OTANI Kenji
ITO Yoichiro
IJIMA Daisuke

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Mise à nue

Un adolescent (Hidenori) et une femme (Sunako) roulant sur un scooter ivre s’échouent bientôt en pleine campagne. Ces êtres autistes et mutiques en état de choc continuent une fuite en avant qui les mènera bientôt dans une nature reculée. Enfin seuls et prostrés dans un état quasi-animal, ils ne communiquent plus que par grognements, spasmes et soubresauts sexuels de plus en plus incontrôlables. En liberté dans un nature déserte et pacifique, ils survivent et soignent leurs blessures intimes en apprivoisant leurs pulsions. Quand soudain le retour à la ville se fait vital, des pulsions tout aussi humaines mais bien plus sauvages et cruelles font chavirer le couple d’infortune.

Si le milieu du pinku reste un intéressant laboratoire cinématographique, peu de réalisateurs ont en définitive réussi à franchir la frontière menant vers un cinéma moins connoté et plus grand public. Au coté d’auteurs désormais adoubés tels Ryuichi Hiroki (Vibrator, It’s only talk, Kishansha sensei) ou Masahiro Kobayashi (Koroshi, Bootleg Film , Flic,..), Takahisa Zeze tend aussi à une reconnaissance similaire.  Si le caractère résolument viscéral et provocateur de ses œuvres eurent un rôle prépondérant dans l’évolution mature du cinéma érotique des années 90,  son univers hermétique lui aura valu autant d’admiration que de violents rejets (à la manière de Kim Ki-duk, son pseudo-équivalent coréen). A coté de l’ambiguïté collant au cinéaste se trouve pourtant une peinture de l’humanité qui conserve une réelle cohérence et témoigne d’un champ d’investigation thématique bien personnel. Après qu’on ait cru Zeze définitivement sorti du giron pinku avec son œuvre-somme Tokyo X Erotica (1998) pour ensuite embrayer avec des productions indépendantes (Hysteric, Rush,..) voire ouvertement mercantile (Dog Star, Moon Child,..), l’année 2004 marque son retour dans le milieu avec deux œuvres coup sur coup : Yuda et Hada no sukima. Preuve aussi que dans certains cas, ce cinéma en marge est plus à voir comme un espace créatif alternatif qu’un ghetto pour réalisateur usés.

 Si Yuda, un des quatre volets de la série DV Eros Bancho, confirmait une pose auteurisante agaçante ainsi qu’une impression d’épuisement thématique, Hada no Sukima renoue avec l’énergie des débuts. Habitué aux constructions narratives éclatées, le canevas aux allures de road-movie conserve ici un déroulement linéaire peu habituel chez le cinéaste. Débarrassé d’ellipses et autres flashbacks imbriqués, le caractère épuré de l’ensemble n’en fait que plus ressortir sa teneur viscérale.  Exempt de tout enjeux narratifs classiques, l’œuvre de Zeze ne réconciliera certainement pas ses détracteurs. S’attachant aux pas d’un marginal couple d’infortune, Hada no Sukima constitue une mise en abyme largement basée sur un procédé illustratif sujet à l’interprétation du spectateur. S’il sème ici et là quelques indices suggérant l’anormalité de la situation  (le jeune homme à les mains liées par des cordes ; un avis de recherche telévisuel informe de la fuite de sa compagne d’infortune, en fait sa tante), les tenants et aboutissants narratifs restent soigneusement occultés au profit d’une vérité de l’instant appuyant la nonchalance de la déambulation du couple. Car plus que des gestes réfléchis, ce sont surtout les pulsions primaires qui conditionnent les deux personnages autistes, leur fuite en avant révélant leur nullité et leur dépouillement face au monde. Le titre du film ne dit d’ailleurs rien de plus (‘Fêlure du corps’), Zeze cherchant plus à  illustrer les sentiments bruts via un retour à l’état primitif  qu’à creuser la maturation intellectuelle de ses protagonistes. Inscrivant l’échappée et la régression du couple dans une nature sauvage omniprésente, la structure cyclique entame et conclue le récit  dans un univers urbain déserté. Ainsi ressurgit la thématique de l’auteur sur la place de l’homme dans le monde. Profondément terrestre, le cinéma de Zeze conditionne ses personnages en les emprisonnant dans leur environnement jusqu’à en faire ressortir le poids insupportable d’une fatalité humaine bien souvent tragique. Un univers plombant souvent représenté par les traits d’un bitume cannibalisant une nature en pleine décrépitude. Plus qu’une veine dépressive typique du genre pinku, les personnages de Zeze sont littéralement vides et cherchent à se construire, souvent dans la violence, comme mû par une force invisible plus qu’une volonté propre. Dans la lignée du violeur pénitent de Dream of Garuda ou de l’héroïne tragique de Raigyo, le couple avance à l’aveugle comme par un désir impérieux. Au récit se déroulant quasi-exclusivement dans les sous-bois et des rivières, Zeze y renverse sa représentation classique d’une nature habituellement agonisante. Assimilable à un sanctuaire, les deux personnages évoluent dans un environnement nourricier et protecteur. Epaulé par une belle et étrange photographie verdâtre de Koichi Saito, Zeze fait ressortir la sensualité primitive de ces lieux apaisés en saturant son cadre de verdure. Comme souvent chez le réalisateur, l’eau conserve son statut quasi-sacré comme en témoigne le motif récurrent du bain à l’eau purificatrice/cathartique au rôle moins accessoire qu’il n’y parait

Récit basé sur les pulsions (le film ne contient quasiment aucun dialogue), le désir sexuel apparaît d’abord comme un besoin incontrôlable. Zeze assimile d’ailleurs ses personnages à des ‘sauvages’ en appuyant des détails révélateurs. Aux regards brillants succèdent des comportements et réactions exacerbés : la femme victime de crise de démence qui se frappe et se mord les doigts jusqu’au sang , l’homme qui exprime sa colère en écrasant à la pierre des poissons suffocants (plans aussi insoutenables que gratuits). Catalogué comme un pinku aux scènes sexuelles explicites imposées, Hada no sukima se montre beaucoup plus libre de ce coté. Si dans sa première moitié la dimension sexuelle s’efface complètement devant la régression cathartique de ses personnages, la seconde partie accentue d’autant plus cette dimension qu’elle participe au cœur même du cheminement du récit. En ce sens, Hada no sukima est un film sexuel plus qu’érotique. La viscéralité des ébats/luttes (ironiquement souvent à demi-habillées) se transmettant par les regards et soubresauts des corps et non par des détails anatomiques ici soigneusement occultés. Zeze montre bien ici cette lente évolution implicite du langage des corps, Hidenori passif dans les premiers temps (littéralement violé par Sunako qui le chevauche) renverse (au propre comme au figuré) les rôles de dominant/dominé. Si le sens du film reste bien souvent indéfini, il faut voir dans ces tensions des regards et des corps toute sa force primitive qui saura toucher (ou non) le spectateur. Le dénouement final achève cette peinture en confrontant les désirs fondamentaux (manger et copuler) dans un climax particulièrement frappant où la peinture sauvage de l’homme prend toute son ampleur (la femme se fait violer tout en dévorant des restes de nourritures avec en contrepoint des immeubles avoisinants d’un Tokyo tranquille). Le long plan-séquence final aussi émouvant qu’énigmatique illustre justement les fêlures du titre en laissant transparaître des corps sauvages apprivoisant un semblant d’humanité les uns dans les bras de l’autre.

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Dans des rôles hautement délicats, les compositions impeccables des acteurs (Fujiko et Kenji Otani ) sont d’ailleurs à souligner tant l’intensité de leur regard accentuent le propos du réalisateur. Pour illustrer son canevas épuré et sans dialogue, Zeze procède par des séquences étirées qu’il brise par des plans quasi-anatomiques sur des détails révélateur dont des regards hantés. Sans tomber dans le cliché d’une lenteur toute japonaise, le calme de l’ensemble participe à la mise sous-tension des pulsions qui éclateront inévitablement. De par des mouvements souples de caméra et une bande-son minimaliste accentuant les détails sonores, la non-chalance quasi-hypnotique appuie l’évanescence de certaines scènes pour n’en fait que plus ressortir la violence des dérapages et douleurs . Un contraste aussi entretenu par une photographie vibrante et sensuelle comme lors de ce plan d’introduction où les vêtements rouges de Sunako se détachent violemment d’un tapis de verdure.

Retour en forme d’un réalisateur à part, Hada no sukima constitue un prolongement de la thématique de son auteur plus qu’une nouvelle voie. Plutôt qu’une dissertation éclairée, le film vaut pour sa tonalité radicale et abstraite surprenante. S’il est toujours sujet à une certaine ambiguïté auteurisante, le film s’impose sans mal comme un des pinku les plus marquants de ces dernières années. Et de voir Zeze capable de jongler entre blockbuster-bis et film d’auteur radical!

 
Martin Vieillot