.Hara Kiri
 
Titre original:
Seppuku
   
Réalisateur:
KOBAYASHI Masaki
Année:
1962
Studio:
Shochiku
Genre:
Jidai-geki
Avec:
NAKADAI Tatsuya
TAMBA Tetsuro
MIKUNI Rentaro
IWASHITA Shima

Sur l'honneur

Première collaboration entre le génial scénariste Shinobu Hashimoto (Sept Samouraïs, Sword of Doom, Tenchu, ...) et le réalisateur Masaki Kobayashi, leur travail en commun résulte en une savante re-lecture du film de jidai geiki (film historique) et une violente charge contre le code d’honneur dit si respectable du samouraï.

Suite à la dissolution du clan Geishu, plus de douze-mille samouraïs se retrouvent sans maître affilié. Les uns apprennent divers métiers, beaucoup d’entre eux sombrent dans une pauvreté absolue. L’un d’entre eux, Tsugumo Hanshiro, se présente à la cour du clan Iyi pour obtenir du Seigneur Saito Kayegu le droit de commettre le seppuku – variante cérémonieuse du Hara Kiri signifiant le suicide par l’ouverture de l’abdomen en forme de croix à l’aide d’un sabre. Touché par la requête du solennel ronin, Saito accepte, non sans conter au préalable l’histoire du jeune Chijwa Motome. Ce dernier avait menacé de commettre le Hara Kiri, si on ne lui garantissait pas un dédommagent financier. En attendant l’arrivée de deux officiels supposés suivre le bon déroulement de la cérémonie, Hanshiro raconte à son tour la véritable histoire de son fils adoptif Motome.     

La période à laquelle prend place l’intrigue du présent film – vers 1630 – est communément appelée la Renaissance Japonaise. Régi par un empereur shogun, le Japon est divisé en 264 provinces, chacune supervisée par des Daimyo, des Seigneurs. Epoque de paix, le pays en profitait pour mettre en place les esquisses du futur système administratif toujours en vigueur de nos jours.    Ce cycle de prospérité rendait la fonction du samouraï relativement obsolète ; ne servant plus que comme gardes du corps ou maîtres d’armes des Seigneurs, la plupart furent congédiés par leurs employeurs. Estimés à plus de deux millions vers 1600, ils n’en restaient plus que cent mille actifs quarante ans plus tard. La plupart s’intégraient dans la société en apprenant des métiers ; d’autres – appelés ronins – parcouraient le pays pour proposer leurs services à d’autres Seigneurs ou à des particuliers pour quelques missions précises e. D’autres, enfin, devenaient des bandits ou se regroupaient en clans pour faire régner la terreur ; ils seraient à l’origine des groupes yakuzas connus de nos jours. Le personnage de Tsugumo est un samouraï de la première génération. Devenu ronin suite à la dissolution du clan Geishu, il se réfère au cours du film à ses anciens acquis en opposition à une génération plus jeune, disant appliquer un code d’honneur samouraï sans en avoir jamais eu à s’y référer en réalité. Sa requête solennelle de se faire accorder le droit de commettre la cérémonie du seppuku est donc facilement accordé par le Daimyo Saito. A la différence de son titre international attribué au film par des distributeurs américains, le ’Seppuku’ est bien plus que le simple fait du ‘Hara Kiri’. Egalement basé sur le fait du suicide par ouverture de l’abdomen en forme de croix par un sabre, le Seppuku est un rituel accordé au demandeur, assisté par au moins deux superviseurs, qui trancheront la tête à l’exécutant pour abréger ses souffrances. Procédure qui repose sur un véritable code d’honneur, à la différence du ‘Hara Kiri’ qui peut être réalisé par n’importe qui à n’importe quel moment.

L’action de Tsugumo est donc plein de sens. Au-delà de la simple vengeance de son fils, il se révolte également contre le non-respect d’un code d’honneur dont se revendique la nouvelle génération de Seigneurs (obligeant Motome à s’ouvrir l’abdomen à l’aide d’une épée en bambou dans des atroces souffrances et se moquant donc du côté cérémonieux du geste), se bat contre l’injustice de son temps (des anciens samouraïs réduits par leur nouvelle situation à procéder à de tels gestes) et contre l’abus de pouvoir des supérieurs hiérarchiques (non seulement la période a été décidée par des Seigneurs bien loin des intérêts de leurs sujets ; mais Saito abuse de son pouvoir en ordonnant au pauvre Motome de se suicider péniblement à l’aide d’une épée en bois). Il n’est donc pas difficile d’imaginer l’intérêt de Kobayashi d’adapter le magnifique scénario de Hashimoto. Tous les thèmes récurrents cher au réalisateur se retrouvent condensés au sein de l’œuvre : violente décharge à l’encontre des anciennes traditions japonaises tellement magnifiées, contre la bêtise de codes d’honneurs réduisant l’homme à un simple exécutif au service de quelque supérieur hiérarchique, contre l’abus de pouvoir de supérieurs en place et contre la cruauté des hommes en général. Les véritables motivations de Motome dévoilées, elles ne suscitent en rien la pitié du terrible Seigneur Saito, ni des hommes présents au cours de la cérémonie. Une nouvelle fois dans l’œuvre de Kobayashi, un individu se retrouve seul face à une injustice, qu’il ne saura rétablir. Au-delà de ces dénonciations lourds de sens, le scénario de Hashimoto fait également preuve d’intelligence par sa géniale structure narrative. Prolongeant sa réflexion entreprise sur Rashomon, ses flash-backs sous forme de plusieurs témoignages dévoilent petit à petit une histoire bien plus complexe qu’il ne parait de prime abord. Le premier témoignage du Seigneur Saito distillait une véritable antipathie pour le personnage de Motome, alors que le récit de Tsugumo donne tous les éléments nécessaires et inverse totalement l’opinion première du spectateur. Métaphore des opinions toutes faites et préjugés des hommes, son scénario prouve qu’un approfondissement des choses permettrait de ne pas se fier à ses premières impressions…      

La brillante adaptation permet une nouvelle fois à Kobayashi de donner le meilleur de lui-même. Excellant dans l’exploitation de grands espaces, il prouve également sa parfaite maîtrise dans des lieux plus confinés. L’intrigue prenant quasi entièrement place au sein du domaine de Saito, il arrive à créer une atmosphère oppressante et fantomatique en variant des longs plans américains avec des décadrages et des gros plans sur les comédiens. Les plans en mouvement du final opposant Tsugumo aux hommes de Saito tranchent par rapport aux plans fixes du ronin agenouillé immobile au milieu de la cour. N’hésitant pas à expérimenter des techniques alors avant-gardistes, Kobayashi troque ses arrêts sur image contre des effets de zoom quasi imperceptibles. La disposition des acteurs à l’intérieur des plans fait toujours preuve d’autant de minutie géométrique, atteignant leur paroxysme dans le quasi architectural Rebellion. Nakadai Tatsuya prouve une nouvelle fois sa renommée internationale dans son rôle de ronin solennel motivé par un terrible désir de vengeance éclatant en fin de film. Le parfait score musical de Toru Takemitsu est une nouvelle fois en totale adhésion avec les images du film.

Un très grand classique dont la thématique sera brillamment prolongée dans Rebellion, la collaboration suivante entre Hashimoto et Kobayashi.    

 
Bastian Meiresonne