.La harpe de Birmanie
 
Titre original:
Biruma no tategoto
   
Réalisateur:
Ichikawa Kon
Année:
1956
Studio:
Daiei
Genre:
Drame
Avec:
Mikuni Rentaro
Yasui Shouji
Hamamura Jun
Naitou Taketoshi
 dre
Restons groupés

L'iconoclaste et - par trop méconnu - réalisateur de plus de 70 films, Kon Ichikawa, adapte une première fois le best-seller de Takeyama Michio, Biruma no Tategoto (La Harpe de Birmanie). Film anti-guerre par excellence, l'histoire impliquant des japonais durant la Seconde Guerre Mondiale n'est prétexte que pour délivrer une vibrante idéologie pacifiste universelle.

Une compagnie de soldats est mobilisée au fond fin de la Birmanie. Groupe soudé, ils sont sous la commande d'un ancien professeur de musique, qui les mène à travers le pays en chantonnant et s'imprégnant de la culture autochtone. Lors d'un affrontement avec des troupes britanniques, ils apprennent la défaite du Japon. Se rendant sans outre mesure, le jeune Mizushima est envoyé à l'encontre d'un groupe de soldats japonais rebelles réfugiés dans des collines caverneuses. Refusant de se rendre, les militaires résistants sont décimés par les britanniques. Par miracle, Mizushima survit. Parcourant le pays pour retrouver les siens, il endosse la défroque d'un moine pour passer inaperçu. Confronté aux horreurs de la guerre en découvrant des cadavres de soldats morts au combat, il doit faire le difficile choix entre retrouver ses amis en attente de son retour ou de rester en Birmanie…

Une nouvelle fois scénarisée par sa femme Natto Wada, Ichikawa adapte la célèbre nouvelle de l'auteur Takeyama Michio avant de réaliser un remake totalement inutile en 1985. Ecrit juste au sortir de la guerre en 1946, ''La Harpe de Birmanie'' est aujourd'hui considéré comme un classique de la littérature japonaise. Contant le récit d'une compagnie japonaise envahissant la Birmanie, l'auteur s'était évidemment référé à l'implication historique des japonais outre-atlantique ; mais l'intrigue ne lui sert que de toile de fond pour un message plus universel. Le Japon s'est énormément repenti lors de sa défaite au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Episode particulièrement traumatisant, la population était totalement désœuvrée et a d'autant plus mal vécu l'occupation américaine. Le cinéma japonais s'est souvent emparé du sujet, oscillant soit entre la rédemption d'un peuple à terre ou alors en condamnant fermement sa participation. Pour un spectateur occidental, il est bien évidemment plus difficile de tolérer quelque élan patriotique que ce soit, sachant la cruauté de l'oppresseur japonais. Voir déambuler la compagnie de soldats en Birmanie en chantonnant jette donc un léger trouble par rapport à l'invasion réelle du pays par les japonais ; mais il devient très rapidement clair, que ces hommes ne sont que de simples pions impliqués dans une situation qu'ils auraient préféré éviter. Leurs chants ne servent qu'à adoucir leur peur réelle ; ils sont pressés de rentrer et ils sont réellement curieux des birmans en adoptant leurs coutumes et allant à leur rencontre par leurs chants.

Le soldat Mizushima sort dès le départ du lot : adoptant un costume traditionnel birman, il a également appris à jouer de la harpe à treize cordes birmane, témoignant donc de son véritable intérêt pour cette culture étrangère. Autre preuve de leur intérêt pour le pays est la relation envers la marchande birmane : échangeant d'abord de simples objets pour s'offrir quelque luxure lors de leur emprisonnement, ils donneront tous un objet personnel en guise de souvenir à leur départ ; la marchande rendra la pareille en leur remettant également des offrandes. La musique joue bien évidemment un rôle très important au sein du film. Représentation d'une part d'appropriation du pays birman par le fait d'apprendre à jouer de la harpe, elle sert également de langage universel entre japonais, autochtones et forces alliées. Le peuple occupé reçoit émerveillé les soldats poussant la chansonnette dans leurs villages ; plus tard, ils viendront écouter les chants des prisonniers aux abords du camp militaire britannique. Lors de la rencontre des japonais avec les troupes britanniques, l'effusion de sang évidente est désamorcé par la chanson Hanyu no Yado entonné par la compagnie, repris dans sa forme originelle par les anglais, Home Sweet Home.

Ce rapprochement particulier entre ennemis va à l'encontre des poncifs du film de guerre et évoque par la même son idéologie pacifiste. Les japonais capitulent sans outre mesure devant les britanniques, les assistant même pour tenter de rallier le groupe de rebelles japonais dans les montagnes. La ferme union de la compagnie contredit les nombreux exemples des situations d'un ''chacun pour soi'' dans bien d'autres films ; même les cadavres de soldats jonchant le sol ne sont plus de simples anonymes, Mizushima trouvant une photo dans la poche du veston d'un mort, l'identifiant comme un individu à part ; puis se faisant un devoir d'enterrer tous les tombés de la guerre pour leur permettre une certaine paix retrouvée. La plus belle métaphore intervient en fin de film. D'une part par le choix de Mizushima de rester en Birmanie. Ayant trouvé une véritable terre d'accueil, il s'intègre parfaitement au sein même d'une nation étrangère sans avoir à les ''envahir'' ; d'autre part, son désir d'enfpuir les cadavres signifie bien évidemment une certaine reconnaissance des morts inutiles pour la cause d'une guerre, mais également l'enfouissement d'un souvenir passé de terreur absolue (la guerre). A noter, qu'en Birmanie les moines n'ont pour l'habitude que de méditer devant un mort pour l'appréhension du cycle d'une vie ; d'où la relative surprise exprimée lorsqu'ils voient Mizushima, déguisé en moine, creuser la terre pour enterrer le mort. Le magnifique plan suivant montre, qu'à partir de son geste individuel, il motive d'autres personnes à le rejoindre dans son effort ; c'est donc une conscience collective qui assiste à la mise en terre d'un passé désormais révolu.


En contre-partie, le retour du groupe uni (d'hommes et non plus de soldats) avec la ferme volonté de reconstruire quelque chose ensemble signifie évidemment la volonté d'aller, ensemble, de l'avant. La parfaite mise en images épouse la beauté du texte originel et l'adaptation - légèrement modifiée par rapport à la nouvelle - respecte scrupuleusement les intentions de son auteur. Rarement un film de guerre a autant su prôner la paix universelle.
 
Bastian Meiresonne