.Haze
 
Titre original:
Haze
   
Réalisateur:
TSUKAMOTO Shinya
Année:
2005
Studio:
Kaijyu Theater
Genre:
Drame surréaliste
Avec:
FUJII Kahori
TSUKAMOTO Shinya
Labyrinthe Imaginaire

Commissionné par Le Festival du Film International de Jeonju (Corée) comme part d'un film à trois sketches - dont les deux autres segments ont été réalisés par le coréen Song Il-gon et le thaïlandais Apichatpong Weerasethakul - ce moyen-métrage entièrement réalisé en caméra numérique est un angoissant film d'horreur claustrophobe se jouant des sens de ses spectateurs. Déjà culte !

Un homme se réveille, blessé au ventre et coincé à l'intérieur d'un étroit tunnel. Se frayant un chemin - parfois même par la seule force de ses dents - il se découvre être enfermé en une sorte de canalisation labyrinthique truffée de pièges mortels. Hallucinations et réminiscences de son obscur passé le guident vers un destin irrémédiable.

Suite à son précédent Tamamushi, l'un des cinq segments réalisés pour le compte du film à sketches Jam Films - Female, TSUKAMOTO profite de sa surprenante découverte DV pour améliorer toujours davantage ses compétences sur ce support. Il se dit réellement enthousiaste par la qualité exceptionnelle de l'image et - surtout - par la légèreté légendaire et petite taille de la caméra. Ces avantages certains lui auraient ouvert tout un nouveau horizon et lui permettraient de mettre en scène bon nombre d'idées écartées par le passé pour cause d'une infaisabilité due à une production trop coûteuse ou l'impossibilité de filmer dans certains endroits voulus. Haze est par conséquent le premier réel projet à profiter de son enthousiasme débordant. Disposant d'un budget réduit de 40.000 Euros, il ne déborde pas moins d'idées et n'est que d'autant plus content de pouvoir expérimenter ce support de média. Haze est donc à l'origine un film d'une vingtaine de minutes au sein du projet du film à sketches, mais également un moyen-métrage d'une petite cinquantaine de minutes réalisé par ailleurs. Semblable à la récente démarche du hongkongais Fruit Chan sur son segment Dumplings réalisé dans le cadre de Three : Extremes, TSUKAMOTO imagine donc deux versions indépendantes et de durées différentes.

Renouant avec un cinéma plus sensationnel typique de ses débuts, le réalisateur s'écarte donc de ses récentes incursions dans l'érotisme et le monde de la sensualité féminine. Alors qu'au fur et à mesure de ses films, TSUKAMOTO s'est de plus en plus approché du tréfonds de l'âme humaine (Vital en constituant l'actuelle apogée), Haze franchit le pas de la totale immersion : le spectateur est plongé à l'intérieur même d'une (tortueuse) pensée humaine ! Dès le départ, TSUKAMOTO expérimente avec l'image. Un homme se retrouve enfermé dans un étroit tunnel de béton. Blessé au ventre, il tente de se frayer un chemin dans les dédales labyrinthiques. Tantôt debout, tantôt allongé, TSUKAMOTO brouille savamment toute notion d'espace et de repères pour embrouiller les sens de ses spectateurs et leur faire superbement ressentir la confusion régnant dans l'esprit de son personnage. Sa chute, tête la première sur son dos, renoue avec les superbes expérimentations à ses débuts; des scènes chocs, où le personnage incarné par TSUKAMOTO est obligé de se frayer un chemin à coups de dents le long d'un tuyau rouillé, marchand sur des lames de rasoir et empoignant du fil barbelé de ses mains renvoie aux traitements sadiques infligés aux personnages de ses débuts. Aucune explication rationnelle n'est donnée (des lectures évoquent un piège à grandeur humaine diabolique pour "amuser un millionaire vicelard"; ou alors une expérience militaire inédite alors qu'une guerre ferait rage en-dehors du labyrinthe), l'intrigue avance de manière décousue uniquement basée sur des sensations. La rencontre avec la femme (superbe FUJII Kahori, plus expressive que dans son célèbre rôle de "Tokyo Fist") fait basculer le film dans un superbe décor semblant tout droit sorti de Jigoku de NAKAGAWA Nobuo. Des centaines de membres de corps humains s'amoncellent dans l'environnement bétonné confiné. Vision cauchemardesque d'un enfer sans feu, le métrage intrigue au fur et à mesure de son avancée comme cette image d'un poisson flottant au plafond des sombres couloirs. Le dénouement compte d'ailleurs parmi les plus surprenants et hermétiques de son réalisateur.

Spoilers Le retour dans l'appartement ressemble à un retour à la réalité après avoir sombré dans un long évanouissement cauchemardesque occasionné par une blessure. Les quelques flash-back renvoient à une affaire entre l'homme et la femme. Tous deux parlent de "s'enfuir"; leur amour doit donc être illégitime et contrarié. Quant à la scène de crime, soit les deux personnages ont cherché à s'entretuer pour d'obscures raisons, soit ils ont été agressé par un tiers, peut-être jaloux de leur relation. Par pure supposition et par la présence - sûrement pas anodine connaissant la méthode TSUKAMOTO - de l'actrice FUJII Kahori, la thèse d'un triangle amoureux pourrait se confirmer vu son précédent rôle tenu dans Tokyo Fist. Leur agression ressemblerait également à une fin modifiée de Snake of June où le mari n'aurait pu surmonter sa jalousie et aurait tenté à tuer le couple constitué par sa femme et le détracteur. Dans tous les cas, les dédales labyrinthiques semblent une pure hallucination d'un personnage en train d'agoniser; l'issue trouvée en fin de film caractériserait le réveil de son évanouissement. La prison de béton serait donc une sorte de cauchemar, voire l'antichambre entre la vie et la mort. Dans ce lieu confit, TSUKAMOTO jette en vrac la quintessence même de son cinéma, en le ramenant au plus concentré. Les pièges sont un condensé de toutes les scènes chocs incluses dans ces premiers films; l'attaque au marteau n'est autre que la répétition des coups endurés dans les Tetsuo, Bullet Ballet et surtout Tokyo Fist. La chute du personnage dans l'étroit tunnel parsemé de piques au sol rappelle le mouvement de caméra lors de la chute dans le puits dans Gemini. Le poisson s'apparente à l'onirisme présent dans ses films depuis Snake of June; enfin, le lieu en lui-même est l'oppression par excellence constitué par le béton et renvoie donc directement à la paranoïa claustrophobe des milieux urbains de tous les films de TSUKAMOTO ! Fin Spoilers

Le support en DV donne effectivement un nouveau coup de fouet à la carrière de TSUKAMOTO. Comme libéré d'un poids ou ayant retrouvé une légèreté à pouvoir tourner à moindres frais et en se déplaçant sans difficulté, il renoue avec son ancien cinéma enragé. Quant à son intrigue, il s'écarte de ses derniers scénarios plus travaillés pour complètement verser dans un cinéma plus mystique et hermétique proche de celui de David Lynch, son réalisateur fétiche. Intéressante évolution de son œuvre, il est souhaitable que TSUKAMOTO retrouve une nouvelle fougue dans ses réalisations mais il est à craindre qu'il n'emprunte une voie trop hermétique pour totalement convaincre. En attendant, Haze est un nouveau pur trip dans la belle lignée de ses premiers films, à déguster dans l'espace fermé d'une salle de cinéma - ou chez soi, très près de son poste de télévision et tous les volets fermés pour pouvoir pleinement profiter de l'atmosphère claustrophobe distillée par le moyen-métrage.

 
Bastian Meiresonne