.Le Héros sacrilège
 
Titre original:
Shin heike monogatari
   
Réalisateur:
MIZOGUCHI Kenji
Année:
1955
Studio:
Daiei
Genre:
Jidai-geki
Avec:
HAYASHI Narutoshi
ICHIKAWA Raizo
KOGURE MICHIYO
NAKAMARU Tamao
 dre
En quête d'identité

Second film en couleurs, procédé imposé par les studios de la Daiei cherchant à institutionnaliser leur propre ''Daiei-Color'' aux teintes encore délavées et jaunâtres, Mizoguchi s'éloigne du monde féminin pour brosser le portrait historique d'un samouraï révolté. Peut-être moins abouti que ses dernières productions, Mizoguchi explore de nouveaux territoires jusqu'alors inexplorés pour donner une nouvelle direction à son oeuvre.

Durant la période trouble de l'affrontement entre nobles et moines et à l'avènement de la mythique bataille entre les clans Taira et Minamoto, le jeune Kiyomori Taira se révolte contre son statut bâtard de marginalisé. Né d'une liaison interdite entre un Seigneur féodal et une prostituée, il a été élevé par un samouraï. Sa quête d'identité le renforcera pour se soulever contre le trouble ambiant.

Durant la période Heian (794 - 1185), le Japon fit d'énormes progrès culturels en renforçant leurs échanges avec la Chine. Grâce à l'invention de deux alphabets phonétiques littérature et autres arts liés aux lettres se développaient. Les progrès n'allant pas sans querelles politiques, le XIIe siècle voyait également la création du ''samouraï'', une sorte de soldat armé au seul service de son Seigneur. D'abord méprisé et soumis à un pouvoir souvent abusif de leur maître, ce n'est que suite à d'importantes batailles, qu'il gagne respect et reconnaissance de la part de la population. L'intrigue du Le Héros Sacrilège prend place en 1137, soit vingt ans avant la mythique bataille de Heiji entre Taira et Minamoto et l'ascension au pouvoir des samouraïs. Jidai-geki (films en costumes ou historique) épique, il s'inscrit dans la poursuite logique d'un genre par Mizoguchi après le film de commande par les studios de la Daiei et de la Shaw Brothers, L'impératrice Yang Kwei-Fei ; en revanche la thématique est moins habituelle venant du cinéaste : brosser le portrait d'un homme. Définitivement reconnu comme le fin observateur de personnages féminins, la gente masculine était toujours un sexe méprisé par le cinéaste, l'accusant carrément d'être la cause de la difficile condition des femmes. Faibles, lâches et fourbes, rien ne présageait Mizoguchi à conter la quête d'identité de Kiyomori dans une période trouble et lointaine.

Intéressante approche, le cinéaste ne change pourtant pas radicalement l'exploration de ses thèmes favoris. Le cadre historique lui sert une nouvelle fois à s'intéresser de près à son pays. L'avènement du pouvoir shogunat compte parmi les périodes les plus importantes dans l'Histoire du Japon et de l'institutionnalisation d'un système, tel qu'il est aujourd'hui. Complots et luttes de pouvoir servent admirablement le cinéaste à accuser directement le côté obscur de la nature humaine et de représenter responsables politiques et hommes comme des êtres perfides et opportunistes.

Kiyomori n'est ni plus, ni moins un autre exemple d'un être faible et fragile. Ses troubles origines révélés le mettent tout d'abord dans un profond désarroi avant de lui donner la force de se battre et donc de lui donner une raison de vivre et l'amour pour une femme de se surpasser. Moins touchant peut-être que les difficiles histoires de femmes spoliées dans ses autres films, Mizoguchi ne perd pourtant pas de vue le mélodrame et la charge émotionnelle qu'il affectionnait tant. En cela le combat de Kiyomori rejoint celui, désespéré, des personnages féminins d'autres métrages du cinéaste. Le réalisateur ne perd pas de vue non plus ses protagonistes du sexe dit faible, qui révèlent une importance capitale tout au long de l'intrigue. La première apparition féminine se plaint d'ailleurs à ce que son mari passe trop peu de temps dans le domaine familial et se devrait d'être remis à sa place.

Malgré le souffle épique et le nombre impressionnant de figurants, Mizoguchi arrive à créer un drame intimiste. De nombreuses scènes d'intérieur (et intériorisées) renvoient directement à la sensible exploration psychologique de ses autres films et sa mise en scène est une nouvelle fois adaptée au cadre plus calme que sur un champ de bataille. Son inadaptation à tourner des scènes d'action se voit d'ailleurs dans la brève séquence de combat au sabre, filmée de très loin et dans la réalisation banale de la capitale scène du tir à l'arc. Utilisant peu de mouvements de caméras, ses cadres soigneusement pensés et statiques sont pour la plupart des plans larges et en retrait de l'action ; seuls quelques inserts plus proches soulignent parfois l'état d'âme de ses protagonistes.

Second film en couleurs, Mizoguchi n'exploite cette procédure que par obligation de ses producteurs de la Daiei. Correctement éclairé, le film ne fait pourtant pas preuve d'une riche recherche visuelle en matière de couleurs dans les décors ou dans les costumes - bien loin des exploits d'un Akira Kurosawa sur ses futurs films, par exemple - et le maquillage des acteurs est particulièrement mal adapté à un film en couleurs.

Une belle réussite de Mizoguchi dans un genre auquel il est peu habitué, mais respectant ses interrogations habituelles, Le Héros Sacrilège demeure certes bien en-deçà de ses meilleurs chef-d'œuvres, mais témoigne d'une nouvelle approche intéressante. Malheureusement, sa mort prématurée privera de rendre compte de l'exploitation de ses nouveaux acquis sur de futurs métrages du coup jamais tournés.
 
Bastian Meiresonne