.Kaza Hana
 
Titre original:
Kaza Hana
   
Réalisateur:
SOMAI Shinji
Année:
2001
Studio:
CINE CANNON
Genre:
Drame
Avec:
ASANO Tadanobu
KOIZUMI Kyoko
TAKAHASHI Choei
EMOTO Akira
 dre
A road to the past

Cinéaste assez peu reconnu en Occident hormis son superbe Typhoon Club (84), Shinji Somai n'en reste pas moins un des auteurs phares à avoir émergé de la difficile période des années 80. Peintre de l'adolescence, sa sensibilité et sa pudeur lui permirent de dresser de beaux portraits de jeunesse en écho à notre société contemporaine. Malheureusement trop tôt décédé en 2001, Kaza-Hana en constitue son ultime témoignage. Une réussite mineure plombée par certains tics auteurisant qui surnage pourtant sans peine dans le morne paysage cinéphilique nippon actuel. Si Somai se sépare ici de ses figures juvéniles, ses protagonistes en constituent le reflet mature. Une évolution qui à travers les ans perpétue les mêmes interrogations et ressassements sur l'essence de la vie. Kyoko Koizumi et Tadanobu Asano incarnent ici un couple d'infortune dont la rencontre est le fruit du hasard. Après une nuit alcoolisée, la prostituée et le salariman se réveillent engourdis au pied d'un cerisier en fleur perdu dans un coin de verdure étrangement isolé du centre-ville Tokyoïte. Cette séquence d'introduction mise en valeur par de lents mouvements de grues et un décorum esthétisant ancre dès lors l'histoire dans la tradition des romances classiques. Plus tard, le film divergera vers le road-movie existentiel pour imperceptiblement glisser vers une histoire de shinju (suicide amoureux) dont Somai reprend les codes esthétiques et thématiques tout en y apportant un éclairage contemporain moins dramatique. Si Kaza-Hana pèche à trop s'étirer dans le temps, quelques ellipses auraient sans doute avantageusement densifié le résultat, sa structure classique et son rythme lénifiant embrassent la teneur introspective de l'ensemble.

Le regard distant que porte le cinéaste confère au film un caractère évanescent, les clés du drame étant parcimonieusement dévoilées ou tout simplement laissé irrésolues. Le thème de la mémoire témoigne de nombreuses résurgences qui se font échos l'une à l'autre. De cette nuit d'amour où Asano ne dit se souvenir et dont la teneur sera par la suite seulement dévoilée par brides, Somai trace les trajectoires de personnages qui se côtoieront, s'éviteront mais sans jamais vraiment s'unir in fine (voir cette scène finale 'ouverte'). L'entame de film procède d'un séduisant découpage mettant en parallèle les vicissitudes de ces deux êtres. Elle, une prostituée qui s'exile a Hokkaido pour se ressourcer. Lui, un homme ivre, qui de retour dans le monde réel se met a chaparder par réflexe éthylique pour finalement se faire mettre à pied par son entreprise. De cette nuit trop arrosée, de graves faits lui sont reprochés. Que cache donc vraiment cet homme? Somai n'en dit mot et insuffle de ce fait une aura inquiétante à son personnage. Ce doute qui contamine toute la première partie se révèle un efficace moteur dramatique qui entretient une tension sous-jacente contrastant avec l'apparente normalité du monde urbain (l'entame) ou avec les vastes paysages enneigés de l'île d'Hokkaido (le cœur du film où Asano ira rejoindre la prostituée à sa demande). Loin du Tokyo triste habituellement décrit, Somai nous dépeint une ville étrangement apathique et embrumée. De chaudes couleurs pénètrent le cadre (souvent via des éléments décoratifs anodins), les scènes étirées filmées en plan-séquences nous livrent l'anodin dans tout ce qu'il a de rassurant. Par la suite, le film conservera cette veine presque éthérée qui tendra par moment vers l'onirisme lors de passages introspectifs (ces scène de bar irréelles) ou tragiques (cet étrange ballet prélude à un suicide romantique). L'attention portée à l'environnement sonore converge lui aussi en ce sens, d'une ville quasi-silencieuse aux paysages déserts, l'ambiance pesante qui en découle produit un contexte propice au relâchement et à la confidence. De belles notes cristallines accentuent encore la tendance malheureusement parasitées par des nappes mélodiques 'commerciales' plus quelconques.

Si le procédé du road-movie n'est pas neuf, Somai lui confère un sens métaphorique. A bord de leur voiture, le couple remonte la route de leurs souvenirs. Une vie/chemin parfois banale (des grandes lignes droites où les personnages se prostrent dans leur mutisme) ou plus inattendue (une route de foret tortueuse qui finira par mettre à nus les protagonistes). Le personnage d'Asano accapare tout d'abord l'attention. Son air d'adolescent attardé, son passé flou (que s'est t'il passé cette nuit là?) apportent des gammes de variations à un personnage atrabilaire. Un caractère qui dépareille avec celui de la prostituée qui se morfond d'être encore tombée amoureuse d'un homme qu'elle découvre trop tard sous son vrai jour ('tu étais si mignon quand tu étais ivre !'). D'une histoire d'amour attendue, Somai ne comble jamais le fossé qui sépare ces personnages. Parfois tendre (Asano ivre) ou plus distant (Asano sous son apparente normalité), leur relation reste constamment fluctuante. Si l'homme paraît être le cœur du film, Somai effectue un glissement progressif vers le personnage féminin qui par jeux de miroirs révélera un Asano plus fragile qu'il n'y paraît, plus lâche aussi. Par des empilements de moments creux et par petites touches successives, des allusions ou des flashbacks judicieusement intégrés, Somai sonde de plus en plus loin dans le passé de cette femme. Le drame passé de la prostituée est ici progressivement dévoilé dans son sens anti-chronologique (le résultat puis enfin la cause), un procédé synchrone au dispositif linéaire qu'empruntent les protagonistes sur la route du souvenir. Recourant systématiquement au plan-séquence, Somai scrute ses personnages dans la durée. Cette recherche du geste, du détail, de l'anodin ou du tragique soudain évident procède d'une même approche pudique. Un vernis classique qui s'il se complait par moment dans une confortable normalité parvient souvent à brosser des portraits attachants et humains sans lourdeur démonstrative. En une seule scène désarmante de simplicité, Somai livre tout l'ambiguïté du personnage d'Asano. En renvoyant par pur orgueil sa compagne à son passé de prostituée, il la blessera à vif et réalisera trop tard l'égoïsme latent dont il faut preuve. La scène 'tragique' dépareille de cette tonalité d'ensemble. La retenue alors de mise fait place alors à un pathos prononcé typique des romances du genre. On retiendra aussi l'attachement que porte Somai aux petites gens du peuple. En contrepoint du duo, le réalisateur brosse le portrait en creux de figures périphériques comme ces prolétaires s'adonnant à des jeux enfantins pour noyer leur lassitude. Un petit monde ritualisé dans lequel le couple pénètre comme par effraction.

Sous son vernis classique mille-fois vu, Kaza-Hana contient pourtant une intéressante mise en abyme de ses personnages, un refus du romantisme au profit d'une introspection plus terre à terre. Un sens de la durée et du détail qui insufflent une épaisseur dramatique souterraine à un canevas peu original. L'ambiguïté sous-jacente n'est ici jamais tout à fait levée et participe au sentiment diffus qui émane de cette union de passage jamais foncièrement désirée. Si la lenteur de l'ensemble et certains passages routiniers affadissent trop souvent le propos du cinéaste, le film témoigne au final d'une belle sensibilité qui le distingue aisément des autres productions du genre.

 
Martin Vieillot