.Kiru
 
Titre original:
-
   
Réalisateur:
Okamoto Kihachi
Année:
1968
Studio:
Toho
Genre:
Chambara
Avec:
Nakadai Tatsuya
Takahashi Etsushi
Tono Eijiro
Tono EijiroTsuchiya Yoshio
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Chambara-Macaroni 

Si les films d'Akira Kurosawa tels Sanjuro ou Yojimbo ont longtemps été tenu comme les seuls exemples de chambara parodiques, d'autres oeuvres telles Kiru réalisée par Okamoto Kihachi sont bien moins connues. Grande injustice lorsque que l'on découvre l'excellence d'un tel film, à la fois pur chambara tragique mais aussi relecture ironique et distanciée de la condition du samouraï. Au contraire d'un Kurosawa qui a toujours abhorré le genre, Okamoto est lui un pilier du chambara et nombres de ses œuvres font figures de classiques (Sword of Doom, Samurai Assassin). Aussi lorsqu'il s'attaque à une relecture du genre, il en détourne les codes sans pour autant le dénigrer.

La filiation avec les westerns italiens est frappante tant le traitement et l'approche sont similaires. Kiru présente un canevas que l'on jurerait tout droit tiré d'un western transalpin (sans parler de la musique à base de guitares et de trompettes). Deux camps hostiles se jaugent dans un conflit larvé jusqu'au jour où l'arrivée de deux éléments étrangers va modifier la donne. D'un coté, Tabata, un jeune paysan naïf désireux de devenir samouraï, de l'autre, Genta, interprété par un Nakadai impérial, un vagabond, ancien samouraï, désabusé depuis le jour où on lui a ordonné de tuer son meilleur ami. Espoirs contre désillusions, Kiru se construit en suivant le parcours de ces deux hommes dépassés par des situations qu'ils ne maîtrisent pas. Tour à tour amis ou ennemis, les alliances et manigances des clans leur feront comprendre que le samouraï n'est qu'un simple pantin dans la guerre sans merci que se livre les clans. L'honneur et le prestige du statut de samouraï ne sont que des leurres destinés à les empêcher de prendre conscience de leur peu enviable condition. En apparence bien moins radical qu'un Hara-kiri, le constat est le même.

Le traitement tragico-comique est la grande particularité de Kiru, sa grande réussite aussi. Exercice extrêmement périlleux s'il en est, Okamoto parvient à insuffler de la dérision, de l'ironie noire tout au long du récit. Ce ton décalé, où la mort rode sournoisement, s'intègre parfaitement puisqu'il est le constitutif même du projet de distanciation ironique. Les fiers samouraïs en sont réduits à mendier une nourriture que même les paysans refusent, les samouraïs sont présentés comme de pathétiques pantins incapables de se remettre en question. Manipulés, se disputant comme de grands enfants, les incessants conflits craquellent inexorablement le fragile vernis des apparences. Dans Kiru, on meurt en nombre, souvent sans raison valable, dans des combats sauvages où les sabres transpercent et font tomber les corps lourds dans la poussière. Okamoto en profite aussi pour railler certains combattants, les samouraïs trop sur de la puissance de leur sabre tombent comme des mouches sous les fusils de l'ennemi. Le duel final, bien loin des conventions, se déroule dans une pièce exiguë où l'on se bat avec des baguettes et un fer rouge!

S'il est pour habitude de louer la perfection technique des productions nippones de cette époque, on ne perdra pas de vue que tant de maîtrise découle d'une véritable culture de l'excellence. La mise en scène moderne et dynamique accompagne le récit, quelques expérimentations visuelles participent à la singularité du film : très gros plan sur des visages hystériques, inserts visuels sur des jets d'armes (ou de baguettes !). La photographie en noir et blanc absolument terrassante participe à la gravité souterraine de l'histoire. L'interprétation des deux héros est du même acabit, leur confrontation tragique irriguant en profondeur la thématique du film.

Pur chambara de haute tenue associé à une approche distanciée pour le moins inhabituelle, Kiru est l'exemple même de ce que le cinéma de genre a de plus noble. Film d'action mais aussi de réflexion, film drole et tragique, voici un sommet du genre qui ne restera pas très longtemps dans l'ombre.
 
Martin Vieillot