Titre
original:
Kaidan Ikiteiru Koheij |
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Réalisateur:
NAKAGAWA Nobuo |
Année:
1982 |
Studio:
ATG
Genre:
Kaidan-eiga |
Avec:
MIYASHITA junko
ISHIBASHI Shoji
FUJIMA Fumihiko |
dre |
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Spectral
Treize ans après le tournage de son dernier film (Quick-Draw Okatsu en 1969), le réalisateur Nobuo Nakagawa se voit invité par la société de production indépendante A.T.G. (Art Theater Guild). Le cinéaste accepte, choisissant d'adapter Ikiteiru Koheiji, une pièce de théâtre de Senzaburou Suzuki tirée de prétendus faits réels. En résulte un film testament (son 96ème et dernier), hommage lucide sur ce qui a fait la renommée du réalisateur (le kaidan eiga, film de fantômes), mais développant finalement des thèmes bien plus personnels. Un pur exercice de style difficilement abordable, mais témoignant de toute la maîtrise du cinéaste.
Koheiji, Takuro et Ochika sont des amis de longue date. Acteurs de kabuki itinérants à l'ère Edo, ils traversent le pays pour donner des spectacles. Ce qui n'était d'abord qu'une simple chamaillerie devient une passion enragée, quand Koheiji avoue son amour pour Ochika. Lorsqu'il prie Takuro de bien vouloir se séparer de sa femme pour pouvoir l’épouser, ce dernier le tue dans un accès de rage; mais Koheiji avait juré d'obtenir la main d'Ochika, même s'il lui fallait revenir d'entre les morts.
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De cette relation triangulaire amoureuse ayant fait l'objet de maintes adaptations sous différentes formes, dont la célèbre nouvelle Revenge at Asaka Pond par Santou Kyouden ou encore la pièce kabuki Colored Fantastic Book par Tsuruya Nanboku; seul le cinéma semble avoir fait l’impasse sur ce récit populaire. Nobuo Nakagawa rétablit ce tort et sort de sa retraite forcée en acceptant l'offre de la société de production indépendante ATG de réaliser une oeuvre de son choix. L'Art Theater Guild fut tout d'abord une société de distribution de films étrangers au début des années soixante avant de sauter le pas et de s'investir également dans la production de long métrages japonais. En opposition aux majors, l'ATG se distinguait par une entière liberté artistique accordée aux réalisateurs et la promotion d'un cinéma plus radical ou expérimental. Refuge des cinéastes dits de la "Nouvelle Vague Japonaise", l'entreprise permit à des personnes telles que Shohei Imamura, Nagisa Oshima, Shuji Terayama, Seijun Suzuki ou Kon Ichikawa d'assouvir leurs folles affirmations créatrices. En fait financé par les studios de la Toho, l'ATG a su résister jusqu'au bout aux pressions financières et était toléré par les autres majors, qui puisaient eux-mêmes l'inspiration de nouveaux procédés ou dégottaient des jeunes réalisateurs, auxquels ils n'avaient pas voulu donner une première chance. Nakagawa pouvait donc prétendre à une entière liberté artistique et il opta pour une singulière approche stylistique austère. Se restreignant à un budget réduit de 10 millions de yens (ca. 65000 Euros), il refusait tout acteur en-dehors des trois principaux protagonistes de l'histoire ; allant même jusqu'à ne pas vouloir voir apparaître autre âme qui vive sur la pellicule et stopper le tournage au moindre malheureux papillon traversant le champ. Les décors étaient dépouillés au possible et les scènes de théâtre (pour les inserts des représentations kabuki) étaient voilées d'un drap noir. Cette approche austère revêtait plusieurs significations. D'une part, Nakagawa, réalisateur vétéran, reconstituait les difficiles conditions de tournage de ses débuts au cinéma des années '20s mais il souhaitait également focaliser l'attention sur le drame et ses protagonistes et ne pas distraire le spectateur par des éléments envahissants superflus, tels des figurants ou des décor somptueux.
Ce parti pris sert parfaitement l'histoire : à l'intérieur du trio d'amis, peu de place n'est accordé au monde les entourant. Takuro est incontestablement le chef du groupe. Musicien, il passe ses nuits à tenter d'écrire des pièces, qui ne sont jamais publiées. Epoux d'Ochika, il ne vit que pour son métier. Ochika est la femme soumise à Takuro. Subissant les accès frustrés de violence de son mari, elle le soutient néanmoins dans sa quête de réussite. Elle apprécie Koheiji, mais le voit plutôt comme un petit frère. Ce dernier ne vit plus que par amour pour Ochika. N'en étant apparemment pas à sa première déception amoureuse, sa passion est de nature douteuse, mais jusqu'au-boutiste. Jurant de conquérir le cœur de son bien-aimée, même s'il lui faut revenir d'entre les morts, il semble tenir ses promesses...Tous trois sont des amis de longue date et entièrement dévoués à leur métier. Quand ils ne se chamaillent pas, ils communiquent par intermédiaire de petites scènes de leur répertoire, qu'ils répètent parfois même au détour d'une conversation normale. Nakagawa réussit à entremêler habilement scènes du quotidien et représentations pour finalement basculer dans une véritable tragédie, elle-même semblant toute droite sortie d'une pièce kabuki.
La mise en scène accompagne le dépouillement stylistique. Sur conseil de son vieil ami Takizawa Osamu, Nakagawa filme uniquement de courts plans fixes, donnant au film un cachet statique. Même les longues heures de route – donc de mouvement – ne sont traduites que par une succession de plans fixes d'une roue de chariot roulant sur un sentier (éclipsant également les visions d'un éventuel conducteur ou d'un cheval, fidèle à l'intention du réalisateur de ne montrer aucune âme en-dehors des trois acteurs principaux). Cette expérimentation visuelle est pourtant parfaitement en phase avec l’œuvre de Nakagawa et pourrait être vue comme un condensé de sa longue carrière. Réputé pour ses kaidan eiga (film de fantômes), dont notamment la célèbre adaptation du Fantômes de Yotsuya, il s'est toujours défendu d'être un réalisateur touche-à-tout; sa carrière prolifique témoigne d'ailleurs des nombreux autres genres abordés. Koheiji est vivant lui donne l’occasion d'illustrer son propos. En apparence film de fantômes, le véritable propos est plutôt à chercher du côté de la tragédie humaine. Le triangle amoureux étant forcément invivable, les personnages se réfugient dans un monde imaginaire (la représentation) pour ne pas avoir à avouer leurs véritables sentiments. L'être et le paraître, tout comme Nakagawa (ou un actuel Hideo Nakata) se devant d'assumer l'attribution d'un statut donné (réalisateur de films d'horreur).
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Pourtant peu de réalisateurs japonais ont su maîtriser les codes du genre tels que Nobuo Nakagawa. Avec des moyens restreints, il réussit une nouvelle fois à instaurer un climat trouble et menaçant. Grand amoureux de la nature, il détourne la représentation d'un lieu (étang, cascade, forêt, ...) apparemment calme et paisible pour en montrer le côté étonnamment noir. Une partie de pêche à l'aurore se transforme subitement en lieu de crime, que même la surface plate de l'eau ne pourra pas troubler (voir le dernier plan de la scène de pêche). La beauté d'une cascade se transforme en une arme mortelle. Détournant des lieux idylliques de leur fonction première, impossible d'apprécier la beauté naturelle d'un lieu sans une petite arrière-pensée après avoir vu les films de Nakagawa. A l'instar des Fantômes de Yotsuya et pour en avoir détourné le genre, les apparitions fantomatiques restent éparses et se limitent – la plupart du temps – qu'à de simples cauchemars du personnage principal torturé par le ressentiment de culpabilité. S’ils n’égalent pas les visions impressionnantes de son Fantômes de Yotsuya, les rares inserts horrifiques n’en dégagent pas moins une puissance intensité surnaturelle. Seul bémol : au-delà de l'austérité stylistique de l’œuvre, le film pêche parfois par quelques longueurs ou des redites inutiles – telles les accès de colère de Takuro envers sa femme lorsqu'il commence à perdre raison. Le stoïcisme de la belle Ochika face au déchirement des deux hommes renvoie directement à ses véritables sentiments, mais peut également surprendre.
Résurrection d'un genre passé, Nakagawa délivre un très bel exercice stylistique en guise de film testament. A l'instar d'un peintre en fin de carrière, affirmant que le vrai art est de réussir à peindre un tableau en quelques coups de pinceau, le cinéaste semble uniquement vouloir se concentrer sur l'essentiel. Parfois un brin trop longuet et répétitif, la maîtrise et le savoir-faire de l’œuvre témoigne d’un cinéaste vétéran encore en pleine possession de ses moyens. |