Titre
original:
Kusa Meikyu
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Réalisateur: TERAYAMA Shuji |
Année: 1979 |
Studio: · Jinriki
Hikoki Sha Genre: Avant-garde |
Avec:
MIKAMI Hiroshi WAKAMATSU Takeshi
NITAKA Keiko ITAMI Juzo |
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Essence poétique
Après
l'échec injuste du touchant Boxeur en 1977 , seul
film commercial de Shuji Terayama tourné au sein des
studios en l'occurrence ici la Toei, le réalisateur se
voit contacter par Pierre Braunberger afin de participer au
film omnibus Collections Privées, variations libres
sur le thème de l'imaginaire. Sans doute plus intéressé
par l'érotisme exotique propre à l'auteur que
sa thématique et démarche artistique, le moyen-métrage
Labyrinthe d'herbes se voit complété des
faibles segments L'Armoire de Walerian Borowczyk et L'île
aux sirènes de Just Jaeckin (Labyrinthe d'herbes
aura d'ailleurs droit à une sortie autonome et posthume
à l'occasion de la mort de Terayama en 1983).
Librement
adapté de la nouvelle éponyme de Izumi Kyoka dans
laquelle Terayama retrouvait l'essence même de ses obsessions,
Labyrinthe d'herbes est une réussite marquante
qui évite l'écueil des belles images en insufflant
un puissant sous-texte freudien et introspectif. En ce sens,
Terayama se retourne vers ses uvres précédentes
dont notamment le superbe Cache-Cache Pastoral (1974)
et tout la série de courts-métrages de la période
74-77 (Chofukuki, Keshigomu, Nito Onna,..)
qui n'auront de cesse d'explorer les pistes ouvertes par cette
uvre emblématique, véritable film-monde
avec lequel Labyrinthe d'herbes entretient de forts liens
souterrains.
L'histoire,
courte mais complexe, mêle différents niveaux de
réalités. Abondance de métaphores et fantasmes,
autant de niveaux d'interprétations. Plongée directe
au cur du subconscient d'Akira, le personnage central
du récit, où se déroulent séquences
mêlant rêves, souvenirs et fantasmes, Labyrinthe
d'herbes est une variation libre sans structure narrative
bien définie, autant de scènes et visions s'enchaînant
sans liens apparents mais dont les résurgences thématiques
se croisent, se mêlent, se complètent pour former
un ensemble cohérent mais néanmoins hermétique.
Principale limite de l'uvre, cet univers intime de l'auteur
étalé sur la toile pourra laisser de marbre, certains
n'y trouvant d'une prétentieuse et vaine fable esthétisante.
Récit
monocentré donc, Akira représente le pivot de
monde autour duquel s'articulent rêverie et introspection
poétiques. L'intemporalité du récit frappe
tout d'abord, un curieux et disparate brassage d'éléments
traditionnels et modernes qui confirme la portée universelle
du propos. Le décor singulier fait beaucoup dans la singularité
de l'uvre. Réminescent de ces lieux-métaphores
qui pullulent dans la littérature japonais tel l'étrange
désert de sable de La Femme des sables de Abe
Kobo, Terayama dépeint un monde où l'irréalité
règne en maître. Village accolé à
la mer, entouré d'hautes herbes, au sein duquel vit un
microcosme étrange hautement symbolique où éléments
religieux et profanes dessinent un univers fantastique catalyseur
de déviances artistiques ou sexuelles en tout genres.
Autant de maisons qui abritent des mondes fantasmés tels
des théâtraux cabarets érotiques, temples
et leurs cohortes de processions religieuses, autant de représentations
directes du subconscient du personnage central dans lequel le
spectateur est invité à se perdre dans une luxuriance
de couleurs, de sons et de sensations.
Comme
toujours chez Terayama, la figure maternelle occupe une place
fondamentale dans la psychologie de ses personnages. Une mère
adoptive, veuve, possessive et jalouse protégeant son
fils tel un oiseau en cage, l'empêchant de découvrir
le monde et d'y libérer sa libido. Véritable figure
castratrice, la mère vit recluse avec sa progéniture
dans une relation quasi-incestueuse. Aussi lorsque qu'elle apprend
que son fils a osé pénétrer dans une maison
attenante, celle d'une jeune fille devenue folle et nymphomane
à force d'attendre un mari qui n'est jamais venu, elle
l'enchaîne littéralement à un arbre, lui
écrivant des soutras sur le corps 'pour le protéger
du démon'.
A cet
érotisme refréné se mêle le thème
du souvenir et de la mémoire, autre obsession de l'auteur.
Cette quête d'un souvenir disparu se matérialise
par le motif d'une comptine (sur le thème d'un jouet
d'enfance : le ballon) que lui chantait sa mère suicidée
d'amour, chanson dont le héros recherche désespérément
les paroles comme pour trouver la clé d'accès
vers un monde malheureusement perdu. Akira errera donc de campagnes
en campagnes à la recherche des précieuses paroles.
Motif du ballon qui se retrouve dans quasiment chaque plan (un
ballon coulant au grès du fleuve, un ballon-géant
porté tel une icône religieuse lors d'une procession,
un ballon matérialisé en pierre) , échappant
sans cesse au héros comme pour mieux signifier une course
perdue contre le souvenir, l'adieu définitif à
l'enfance vers laquelle il courra sans fin dans une symbolique
scène de clôture.
Terayama
illustre donc le repli forcé sur soi d'un héros
incapable de s'émanciper de sa mère. Comme toujours
avec l'auteur, la libération est intimement lié
au viol symbolique de la figure oppressive. Si dans Cache-Cache
pastoral, lé héros se montrait incapable de
passer à l'acte, ici le héros surmonte ce rite
initiatique condition sine qua non à son émancipation
et sa maturation. Sauf que Terayama brouille encore les cartes
sans que l'on puisse distinguer le fantasme du fait avéré,
en effet Akira assistera à cette scène depuis
une fente d'une fenêtre (omniprésence du thème
du voyeurisme) qui verra sa mère au prise avec un homme,
en l'occurrence Akira adulte. Terayama complexifiera d'ailleurs
la suite son récit en invertissant à d'autres
reprises la figure Akira-enfant/Akira-adulte donnant ainsi différentes
grilles de lectures à l'uvre.
Reste
que si la thématique est riche en interprétation,
la réussite artistique de Labyrinthe d'herbes
tient aussi et surtout à la beauté viscérale
de ses images. Dans la lignée de son Cache-Cache pastoral,
Terayama fait de nouveau appel au célèbre Tatsuo
Suzuki, le talentueux chef-opérateur attitré de
Masahiro Shinoda, pour mettre en image ses fulgurantes visions
poétiques. Le village tel un étrange îlot
perdu est prétexte à une débauche d'expérimentations
formelles appuyant la déréalisation du récit.
Remarquables lumières qui nappent d'un voile diffus ce
bout de monde, vifs contrastes couleurs qui éclatent
dans un carnaval visuel. Terayama surcharge son cadre de d'objets
et rituels bouddhiques, de performances théâtrales
surréalistes, abolit les frontières scéniques
avec de beaux effets d'escamotage du décor tel cette
cloison qui tranchée, fait passer d'un théâtre
absurde et grotesque (nains, femme sumo et tête coupée)
à une paisible campagne. Les personnages se meuvent et
disparaissent sans raisons apparente renforçant ainsi
la veine fantasmatique de l'uvre. La caméra apaisée
et contemplative prend le temps de s'attarder sur cet univers
étrange, le montage et découpage fluides lient
les séquences avec nonchalance. La bande-son de J A..Caesar
le plus souvent atmosphérique et traditionnelle laisse
place à de surprenants thèmes aux sonorités
modernes et agressives accentuant l'intemporalité d'un
récit situé dans une époque indéfinie.
Labyrinthe
d'herbes convoque donc avec succès une esthétique
et un sens artistique remarquables renforcés par un riche
sous-texte. Un film-monde où la modernité du propos
propre à la nouvelle vague nippone rencontre un brillant
classicisme technique, chacun se renforçant au contact
de l'autre. Fable universelle, réussite qui doit autant
à la littérature, au théâtre qu'au
cinéma, Terayama s'imposait alors définitivement
comme un réalisateur atypique et talentueux, un homme
qui avait su canaliser la stimulante énergie brouillonne
de ses début pour accoucher d'une uvre phare du
cinéma japonais. |