.Lady Snowblood (1973-74)
 
Lady Vengeance

Lady Snowblood - Blizzard from the Netherworld (Shurayukihime) 1973

De : FUJITA Toshiya Avec: KAJI Meiko, KUROSAWA Toshio, DAIMON Masaaki, AKAZA Miyoko

Après son exemplaire réussite sur la série des  "Baby Cart " et bien d’autres contributions (Hanzo the Razor, Bohachi Bushido,..), le génial mangaka et scénariste Kazuo KOIKE imagine le fascinant personnage de "Lady Snowblood". Sous couvert d'une simple histoire de vengeance, l'auteur est beaucoup plus intéressé par la trouble période politique. Une curieuse fascination qui trouvera son aboutissement dans le second volet.

Durant la trouble période de la fin du long règne de la féodalité, des pauvres villageois manipulés tuent de sang-froid un professeur et violent sa femme. Cette dernière est inculpée pour le meurtre d'un de ses agresseurs. Pour assouvir sa soif de vengeance, elle décide de concevoir un enfant et de lui confier pour mission de tuer ses bourreaux.

Sans doute le personnage interprété par l'actrice KAJI Meiko dans la série contemporaine des "Joshuu Sasori" a-t-il été d'une grande influence pour le scénariste Kazuo KOIKE, tant sa "Lady Snowblood" ressemble à une dérivée de la prisonnière Nami Matsushima. Conçue pour tuer / venger, elle est le résultat des nombreuses coucheries de sa mère avec les gardiens de prison. Une enfant bâtarde, de père inconnu et d'une mère morte en lui donnant la vie. Elevée par d'autres, elle ne perdra pourtant jamais de vue la dernière volonté de sa mère : venger les responsables de leur mort. A l'adolescence, Yuki est formée aux anciens arts de combat par un moine bouddhiste. Une fois prête, elle entame sa sanglante route pour éliminer les bourreaux de ses parents. Yuki n'est pas pour autant qu’une simple machine à tuer : à plusieurs reprises, elle laisse éclater ses sentiments de culpabilité et de chagrin. L'impassibilité sur son visage cache un torrent d'émotions. Pour corser le tout, son anonymat – la meilleure arme pour approcher ses victimes sans éveiller leur soupçon – est vite dévoilé par un impertinent mangaka relatant ses aventures en un best-seller populaire; sans aucun doute un plaisir tout personnel de KOIKE de projeter un alter ego au cœur même de la période historique qui le fascine tant. Tout en recherchant les coupables, Lady Snowblood emprunte également le chemin de sa propre découverte. Jusqu'à présent "entourée" (sa famille d'accueil), voire "conditionnée" (son entraînement avec le vieux maître), Yuki est finalement prête à partir à la réalisation de ses objectifs. Son entraînement sera pour la première fois réellement mis à l'épreuve et elle ne pourra compter plus que sur elle-même pour aller au bout des choses. La dernière scène du bal masqué est tout à fait caractéristique de cette fausse identité endossée jusqu'à présent pour finalement "tomber le masque" et accomplir l’ultime étape. Magnifiquement mis en scène, la courte course-poursuite devient un chassé-croisé à l'instar des voies différentes empruntées par les deux protagonistes principaux pour rattraper le méchant.

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Mais derrière cette représentation déjà totalement réussie grâce au savant suspense entretenu et les nombreux rebondissements impossibles à prévoir au cœur d'un schéma plutôt classique de film de vengeance, se cache une savante lecture sous-jacente : celle de la représentation d'une période historique. Yuki est née durant la fin d'un règne féodal particulièrement trouble. Le Japon était sur le point d'entrer de plein pied dans la révolutionnaire ère moderniste, créant de profonds clivages entre catégories sociales et laissant beaucoup de personnages dans une pauvreté absolue. Après un repli ultranationaliste durant des siècles, la soudaine intrusion étrangères pour nouer des relations internationales était difficilement vécue. Ces hommes en costume blanc étaient rapidement apparentés au "mal". La mort du "vrai" père de Yuki est occasionnée par la manipulation de malfrats tirant profit du trouble ambiant. Pour gagner quelques yens en causant la mort d'un "indésirable", ils manipulent une foule anonyme à tuer un pauvre innocent. Ambition et opportunisme annoncent l'arrivée d'une ère nouvelle. A l'opposé, les parents de Yuki semblent d'un conservatisme plus traditionnel; d'ailleurs, la jeune fille sera éduquée dans cette même voie, notamment en acquérant une formation des arts anciens du combat. Elle affrontera ses ennemis selon un certain "code d'honneur" ayant en quelque sorte juré allégeance à une vengeance à assouvir : elle se doit d'exterminer ses ennemis pour pouvoir rendre honneur à ses parents défunts. Une symbolique appuyée lorsque Yuki affronte des adversaires d'un nouvel âge; notamment en la personne de son dernier adversaire. Un homme qui a su tirer plein profit des troubles passés et se bat avec des armes à feu, une façon totalement indigne envers son adversaire simplement armé d'une sabre. Capable de tuer à distance, il refuse de se mesurer à la véritable force de son adversaire.

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Lady Snowblood est tel un vestige : enfant bâtarde issue des forts troubles de la fin d'une époque, elle perpétue la rancune éprouvée par ses parents lors de leur mort. En revanche, elle n'est pas en phase avec son époque ce qui risque de lui coûter sa vie. Elle viendra bien évidemment au bout de ses adversaires mais la mort de sa dernière victime est encore plus parlant que tout le reste : dans sa chute d'un balcon, le meurtrier arrache deux drapeaux sur son passage : celui du Japon et celui des Etats-Unis… "Lady Snowblood" vaut donc bien plus que sa seule réputation de produit d'exploitation. KOIKE et le réalisateur FUJITA profitent justement de leur relative liberté d'expression dans le cadre du film de genre pour glisser un fort message politique. Bien plus intelligent que la moyenne, "Lady Snowblood" gagnerait – à raison – de jouir d'un fort succès populaire et de devenir un classique. A noter le troublant "pillage" du film de Quentin Tarantino pour son "Kill Bill 1" : outre la chanson de générique "Shura no Hana" ("The Flower of Carnage") interprétée par la chanteuse / actrice KAJI Meiko, jusque dans son intrigue étrangement similaire et découpée en (quatre) chapitres, Tarantino s'inspirant de nombreux cadrages et de dialogues repris à la virgule près…

Lady Snowblood - Love Song of Vengeance (Shurayukihime - Urami Renga) 1974

De : FUJITA Toshiya Avec: KAJI Meiko, HARADA Yoshio, YOSHIYUKI Kazuko, KISHIDA Shin

Surprenant retour sur le devant d’une "Lady Snowblood" ayant pourtant épanché de sa soif vengeresse. Face au succès populaire, les producteurs ne pouvaient résister longtemps avant de donner une suite aux aventures de la jeune femme. Au lieu d'une simple resucée du premier volet, "Love Song of Vengeance" approfondit encore davantage le contexte historique durant laquelle prend place la complexe intrigue, reléguant carrément au second plan le personnage de la vengeresse. Cette suite n'en demeure pas moins passionnante. 

Capturée par les forces de l'ordre pour avoir assassiné les bourreaux de ses parents dans le précédent volet, Lady Snowblood est condamnée à mort; mais au cours de son transfert elle est secouru par – ce qui s'avère être – une brigade de la police secrète. En échange de sa liberté, la jeune femme doit infiltrer le domicile de l'anarchiste Ransui TOKUNAGA pour rendre compte de ses activités politiques jugées illégales. Lady Snowblood accepte sans se douter qu'elle deviendra le témoin privilégié de la tourmente japonaise au seuil d'une nouvelle guerre.

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Alors que le précédent film se concentrait davantage sur la difficile transition d'un Japon traditionnel au modernisme, ce nouvel épisode aborde de plein pied l'imminent conflit russo-japonais. Suite à l'ouverture des frontières aux occidentaux à l'instauration de l'ère Meiji, le Japon comblait en quelques années le retard considérable accumulé lors de trois siècles d'ultranationalisme. Ils assimilèrent rapidement l'esprit occidental et les "valeurs" du modernisme et devenaient ainsi le premier pays asiatique (non-colonisé) à pouvoir se mêler aux affaires internationales. Dans une période imprégnée par les rapports de force, le Japon commençait à imiter les colonisations occidentales et envahissaient ainsi la Corée et une partie de la Chine. Lors d'un bras de fer concernant quelques îles entre le Japon et les alliés Russie, France et Allemagne, le Pays du Soleil Levant cherchait le soutien des îles britanniques, très enclins à voir leur ennemi juré – la Russie –s'engluer dans une guerre en Asie. L'ère était donc à un rapport de force d'un nouveau type, des hauts fonctionnaires tirant des ficelles afin d'asseoir leur pouvoir et de tirer un profit bien personnel de leur situation. Le responsable de la police secrète KIKUI incarne ces forces de pouvoir corrompus de l'époque. Forcément, l'activiste politique Ransui TOKUNAGA constitue une menace potentielle aussi bien pour le pays (ses idées politiques fortement empreintes de communisme, parfois même d'anarchisme) que pour les instances en place (il détient une lettre accusatrice).

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Entraînée malgré elle dans cette sombre page de l'histoire nippone, Lady Snowblood repart sur le chemin de la vengeance – non pas par conviction politique, mais pour rétablir la justice à sa manière. Au cours de son périple, elle découvre également un autre aspect mal connu de la société de l'époque : alors que la politique oppressive assure profit et enrichissement, une importante partie de la population reste en marge. Perdus dans une société en plein changement, privés de travail (anciens samouraïs ou métiers artisanaux remplacés par le travail à l'usine; monde paysan dévasté par le départ massif vers les nouvelles villes,…), des couches populaires  sont souvent regroupées dans d'étroits bidonvilles aux abords des villes. Lady Snowblood y trouve refuge après avoir été blessée et y retrouve le frère de son ancien employeur assassiné. Description (toujours actuelle) d’un pan d'une nation forcément sacrifiée dans la course aux profits, Lady Snowblood devient à nouveau le témoin privilégié d'une page de l'Histoire. Curieusement, les forces de l'ordre tentent d'exterminer ses "sous-couches populaires" par une maladie typiquement féodale : la peste (une démarche qui évoque également les futures armements biologiques). Le bidonville finira consumé par le feu; l'idéologie anarchiste aura eu raison de ses instigateurs. En même temps, les paroles d'un villageois errant dans les décombres ne pouvaient être plus explicites ("Au boulot ! Au boulot !") : L'anarchie aura occasionnée une destruction totale; la nation peut désormais (re-)construire un monde meilleur…ou rebondir sur des bases plus bassement économiques.

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Une intrigue linéaire plus riche encore en interprétations politiques qui parachève de faire du film une honorable et intelligente séquelle . Le réalisateur FUJITA ne possède pas le recul personnel suffisant pour accompagner avec justesse l'exigeant scénario; il cède, au contraire, à quelques purs moments d'exploitation absents du premier, comme quelques scènes dénudées assez dispensables. En même temps ce décalage entre l'image et le véritable propos résulte en un curieux mélange des genres fort intéressant. La série de "Lady Snowblood" allait malheureusement s'arrêter là – l'Histoire Japonaise à venir (Première Guerre Mondiale, Conflit Sino-japonais,…) comportait encore suffisamment de thèmes forts pour prolonger son étrange ballade au cœur de la politique historique nationale. L'exemplaire réussite des deux épisodes de la courte série justifient un statut culte largement mérité.

 
Bastian Meiresonne