.Liens de sang
 
Titre original:
Mabuta no haha
   
Réalisateur:
KATO Tai
Année:
1962
Studio:
Toei
Genre:
Matatabi no mono
Avec:
NAKAMURA Kinnosuke
MATSUKATA Hiroki
KOGURE Michiyo
OKAWA Keiko
dre
Mal de mère 

Après son Ghost of O-Iwa de 1962, Tai KATO adapte la même année une autre nouvelle du célèbre écrivain Nanboku TSURUYA (1755-1829). Une histoire classique, déjà portée à l'écran par Hiroshi Inagaki en 1931, à la structure atypique : débutant comme un classique yakuza-eiga médieval, le personnage campé par un monolithique Kinosuke NAKAMURA se trouve bientôt contraint à l'exil pour échapper à ses pourfendeurs, il en profitera pour se lancer en quête d'une mère qu'il n'a jamais vu. Cette fuite sera dès lors prétexte à un curieux glissement narratif, Liens de Sang sera bientôt un matatabi no mono (histoire de yakuza errant) pour finir par un pur mélodrame d'époque. Ce canevas singulier comporte malheureusement trop de faiblesses et maladresses pour relever l'esthétique de studio terne et sans relief et les compositions surjouées des comédiens. La linéarité exaspérante tout d'abord, la recherche de la mère ne se fera que par d'anodines rencontres et non via une quête introspective mûrement réfléchie. Ces déambulations sont l'occasion de remarquer l'affection toute particulière que porte le réalisateur aux gens des basses classes d'un Edo populaire. Les figures garantes de l'autorité ou de la loi y apparaissent comme des êtres superficiels dépourvus d'humanisme, les pauvres comme d'humbles humains à la dignité bafouée. Si l'entame du film introduit le questionnement de la fraternité entre gens du même rang, cette thématique se retrouve bientôt totalement éludée jusqu'à ne plus avoir étonnamment aucun écho dans la conclusion du film. Remarque aussi valable concernant la vendetta (lancée contre le héros) qui ressurgira de façon bien maladroite lors du final.

La structure narrative se délite pour ne plus finir par se concentrer que sur NAKAMURA et celles qu'il croit être sa mère. Rencontres avec une musicienne aveugle, une prostituée hors d'âge et finalement sa vraie mère, patronne d'une auberge ; KATO dépeint un spectre de dignes figures de mères vivant dans le plus complet dénuement ou dans le confort (ici synonyme de relâchement et d'oubli) . Sans profondeur ni ambiguïté, ces confrontations exhalent malheureusement un humanisme bien fade. Le long face à face final avec entre mère et fils illustre de façon patente la dérive mélodramatique dans lequel s'enfonce le récit. NAKAMURA en fait littéralement des tonnes devant une mère qui le renie avant de finalement céder. Dans ce torrent de bons sentiments, quelques moments touchants et sincères se démarquent pourtant : le héros ne pouvant cacher ses larmes en sentant la chaleur d'une vieille femme collée un peu trop près de lui ou encore ce quiproquo tragi-comique où une prostituée hors d'age croit encore susciter le désir chez son jeune partenaire.

Au niveau de la réalisation, si KATO se détache quelque peu du tout venant des autres artisans de la Toei, son style est encore loin de la maîtrise dont il fera part dans ses ninkyou les plus célèbres tels ceux des séries Meiji kyokyakuden ou Hibotan Bakuto (en particulier les faibles combats à l'exécution plus qu'approximative et brouillonne). Liens de Sang témoigne d'un attrait immodéré pour le plan fixe dont le systématisme finit par lasser puis agacer. Un procédé que KATO saura plus tard transcender grâce à un montage moins monotone et académique. En l'état, Liens de Sang est un manifeste pour le plan séquence fixe, un moyen d'inscrire les personnages dans la durée pour en faire ressurgir les sentiments enfouis, un moyen bien commode aussi pour faire défiler la pellicule sans grand effort. KATO s'essaie à de curieux mouvements d'appareil tel ce long plan séquence sur une musicienne aveugle jouant de son instrument, mouvement se poursuivant par un long traveling qui finalement reviendra, en marche arrière, à son point de départ pour enchaîner dans la foulée un autre long dialogue. Plus intéressant, cette scène cruciale où la caméra filme un décor littéralement vide accentuant ainsi la dramatique tension qui émane de derrière les paravents. Bel exemple aussi de modernité au sein de cette même scène où une caméra circulaire tournoie autour de mère et fils comme pour signifier la confusion des sentiments, brusque et fluide mouvement qui brise le cachet d'immobilisme de l'ensemble tout en appuyant la tension dramatique. Enfin, on remarquera inévitablement le recours systématique à ces caméras littéralement enfouie dans le sol offrant des perspectives inhabituelles mais ici malheureusement purement gratuites.

Curieux exemple de film de genre sombrant dans le pur mélodrame, Liens de Sang souffre d'une trame maladroite et d'une approche psychologique simpliste. Les inhabituels effets de mise en scène s'épuisent à la longue sans donner le soutien nécessaire à l'intrigue. Typique de l'académisme qui rongeait les jidai-geki de la Toei à cette époque, le film n'en apparaît que plus daté lorsque qu'on le compare aux aventures d'un célèbre yakuza aveugle qui, démarrant la même année chez la Daei, firent rebondir le genre en faisant cohabiter mise en scène moderne et approche psychologique plus poussée.
 
Martin Vieillot