.Lolita Vibrator Torture
 
Titre original:
Rorita Baibu Zeme
   
Réalisateur:
SATOU Hisayasu
Année:
1987
Studio:
Nikkatsu
Genre:
Pinku-eiga
Avec:
KIMURA Sayaka
SUWANO Yuko
ITOU Kiyomi
ITOU Takeshi
 dre

Fantasmes

Lancée en 1972, la vague roman-porno de la Nikkatsu connu bien des dérives les années passant. Aux chroniques érotiques d’un Tatsumi Kumashiro ou fables esthétiques d’un Noboru Tanaka succédèrent bientôt une forte dominante S&M centrée sur les adaptations du romancier pornographe Oniroku Dan. Entraînée dans une spirale décadente au milieu des années 80 (les séries Serial Subway Rape, Za Ikenie, Za Goumon,..), la Nikkatsu agonisante crache ses derniers yens dans des formules hybrides novatrices telle celle des Guts of Virgin mêlant apologie de l’humiliation et débordements gores. Dans son sillage, nombres de productions indépendantes reprirent la formule en la pervertissant sensiblement : les Guinea Pig offrent une variation sanglante et morbide du schéma classique de la séquestration, le label Kinbiken associe l’héritage du seppuku au fétichisme de l’uniforme.

Au vu de ces dérives cinématographiques, le cas Hisayasu Satou se démarque aisément tant une continuité thématique et esthétique ne tarde à émerger de sa pléthorique filmographie. Issu du petit monde de ces productions décadentes, Satou trouve dans cet univers décrépît de béton triste le terreau fertile à l’exploration de ses obsessions et fantasmes. D’œuvre en œuvre, il ne cesse de dépeindre un univers angoissé où se croisent des êtres errants trouvant leur catharsis dans la violence ou l’automutilation. Remarqué par son célèbre Wife Collector (85), un récit tendu et urgent sur un violeur en série évoluant dans un univers urbain cannibale, Satou signe avec Lolita Vibrator Torture (1987) un film qui sous son titre ronflant affiche clairement les spécificités de son géniteur et dévoile des voies thématiques qui seront par la suite explorées sans relâche. Un des derniers roman-porno produits avant l’arrêt définitif de la franchise en chute libre, le réalisateur se vit pour l’occasion donné carte-blanche quant à l’orientation de son récit. Loin d’éluder les finalités commerciales du projet, Satou prend son sujet à bras le corps pour lui donner in-fine une orientation plus subtile qu’il n’y paraît. Car sous le couvert peu glorieux de film de séquestration se dessine un portrait froidement anti-érotique d’un couple unis dans la perversité, une fuite en avant devant l’angoisse du lendemain. Sur le thème de la Lolita qui n’est pas nouveau pour le réalisateur  (Charge ! Lolita Poaching en 1985), Lolita Vibrator Torture joue la carte de la surenchère tout en offrant en sous-texte une parabole sur le passage à l’âge adulte. S’il décevra les cult-addicts à la recherche d’effets gore outranciers ici peu présents, c’est surtout par sa peinture d’un monde apathique et engourdi que le film se distingue fondamentalement d’autres produits similaires.

Le prologue inscrit clairement le sujet en montrant des figures d’écolières évoluant de nuit dans une artère commerciale  grouillante. Dans un style documentaire (caméra portée à l’épaule, pellicule sous exposée, prise de son directe), l’héroïne vulnérable est soudain détachée de son cocon scolaire et transposée dans un univers d’adulte. Le réalisateur utilise ainsi son dispositif pour supprimer la distance fictionnelle entre ses personnages et un environnement urbain brut et familier, il ne cherche d’ailleurs en aucune façon à gommer les réactions des passants (regards intrigués, passages devant l’objectif, jeunes actrices interpellées à hautes voix). S’en suit une succession de photographies  monochromes et blafardes scrutant le regard las de son héroïne sur lequel se plaque une comptine mélancolique. Pourtant derrière cette entame sensible auquel le final fera écho, le récit empruntera une allure plus linéaire et paresseuse avec l’introduction de l’homme par qui arrive le drame sexuel. Sous les traits d’un professeur confident se cache en fait un adolescent attardé n’ayant encore jamais consommé une relation normale avec une femme. Le film se mut alors définitivement en un quasi-huit clos dans l’antre d’un bourreau violant des jeunes filles avant de les dissoudre dans un bain d’acide. Le fameux ‘Vibrator’ du titre, c’est l’instrument substitutif qu’utilise l’homme pour maltraiter et souiller ses victimes. Un symbole apparent de domination qui reflète en fait en plein visage sa propre  impuissance sexuelle, et par extension son inadéquation a côtoyer l’autre (scène pathétique où il tente maladroitement d’accompagner de son corps le va et vient de son instrument). D’où une remise en question qui s’impose lorsqu’il découvre que sa seconde proie cache une jeune fille sexuellement perturbée (courte scène symbolique où elle dort recroquevillée avec un phallus en plastique) qui loin de se refuser à ses exactions va littéralement l’apprivoiser, lui et ses questionnements sexuels. Satou se focalisera progressivement sur cette figure féminine qui renversera les schémas classiques de dominant/dominé. Par la suite, ils s’uniront dans l’acte criminel (la jeune fille piège une camarade dans son repère et la ‘viole’) puis s’essaieront à une union ‘amoureuse’ qui se retournera tragiquement vers son initiateur. Les rituels sadiques se voient comme la fuite en avant d’un homme ne sachant apprivoiser ses phobies, au contraire de la jeune fille pour qui l’acte sexuel marque un rite de passage dont l’instrument est son symbole (la pénétration y vu sous l’unique optique de la douleur sanglante voire de l’(auto)mutilation). Par ses figures d’écolières esseulées et apathiques se dessinent les premiers germes d’une approche thématique sur l’implosion de la cellule familiale. Les pulsions suicidaires suggérées en début de film par une brève vue subjective tanguant sur le toit d’un immeuble trouvent leurs échos dans la défenestration de l’écolière. L’angoissante sonnerie téléphonique résonnant dans le vide de son appartement déserté est alors mise en parallèle avec la ‘renaissance’ de la jeune fille qui, allongée en plein carrefour de Shinjuku, se lève et se fond dans la foule anonyme en abandonnant derrière elle un vibromasseur ondulant sur le bitume sous l’œil médusé des passant (un effet de cinéma guérilla typique du réalisateur) …

Ce long tunnel glauque d’érotisme déviant s’accommode avantageusement du format court du pinku (une heure au compteur) se refusant à suivre une trame construite pour mieux s’abandonner dans une digression déréalisée sur fond de psyché perturbée.  Se reposant sur une description psychologique sommaire d’un couple atypique, Lolita Vibrator Torture tire son intérêt majeur de son traitement graphique expressionniste et de ses sonorités inquiétantes, une pure expérimentation sensorielle et visuelle à rapprocher des happenings d’art extrême aux propos nébuleux mais à la force d’attraction voyeuriste bien vivace. Le rythme lent se fait l’écho de l’ennui des personnages, les plans-séquences sexuels statiques sont étirés sur la durée et apportent un froid cachet réaliste désacralisateur appuyant  la voie de non-retour dans laquelle ils se sont engagés. Tendant en permanence dangereusement vers le simple porno underground blafard, c’est dans ces amplitudes incontrôlées autour de la frontière qui lie fétichisme clinique et thématique d’auteur que se trouve tout le paradoxe du réalisateur. De séquences engourdies émergent des fulgurances fantasmagoriques aux atours expérimentaux : assemblage composite d’angles déformés par des reflets, de bandes VHS altérées, d’insertions de photographies, de neige télévisuelle filmée en gros plan, le cachet visuel du film se fait alors métaphore d’un chaos déréalisé, délire artistique  narcissique et thérapeutique. Si Satou a par la suite fait beaucoup plus gore et violent dans une escalade sans fin, le soin maniaque qu’il apporte à souiller et humilier ses victimes témoigne directement d’une fascination pathologique. La force dérangeante du film venant finalement plus du dispositif maniaque et esthétique que de ses débordements somme toute classiques pour l’habitué du roman-porno 80’s.

Point d’ancrage de la déréalisation du récit, le lieu des exactions se trouve en fait être le container d’un camion comme le dévoilent tardivement ces étranges plans du véhicule littéralement perché en haut de grattes-ciel (une ville désertée ici présente en arrière fond, dépeinte avec angles en contres-plongée et filtres bleutés qui sauront durablement influencer Shinya Tsukamoto). Véritable repaire morbide, les parois du camion sont tapissées de photomontages géants, des collages abstraits figeant la terreur de ses victimes qui exhalent une force expressive dérangeante, l’œil du spectateur se trouvant littéralement happé dans cette cage dégénérée où la confrontation avec ces visages terrifiés ne cesse de l’interroger sur sa position de voyeur (on y voit d’ailleurs une courte scène ironique où ce lieu sinistre est présenté comme une œuvre d’art à des journalistes sensationnalistes). Ce théâtre érotique et grotesque fait défiler tortures paresseuses et visions graphiques fortes : vibromasseur rampant sur sa victime tel un serpent lugubre entouré d’un halo blafard le détourant de l’obscurité, flashs lumineux stroboscopiques allant crescendo avec la syncope de sa victime, la potion blanchâtre ingérée ressortant et virant au rouge sanglant pour se répandre sur les pupilles hallucinées de la victime et son corps  à moitié dénudé. La bande-son en accord avec le travail visuel recourt à des échos industriels et cris lointains perçant un silence pesant d’où émerge le ronronnement inquiétant de l’instrument, le son en prise directe brise la distance fictionnelle et renforce encore plus la veine immersive du métrage.

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Film profondément controversé sur un sujet douteux récurrent du monde pinku, Lolita Vibrator Torture garde malgré sa posture désespérement figée tout la force clinique et la teneur claustrophobe qui firent la marque de fabrique du réalisateur. Depuis Wife Collector, on remarque l’épaississement de la dimension psychologique du récit ainsi qu’un recours plus marqué aux expérimentations visuelles composites. Autant d’éléments que Satou ne cessera dès lors de ressasser dans une inflation perpétuelle pour des résultats inégaux mais toujours remarqués. Entre simili-porno vulgaire et  tentations auteurisantes, le symbole de la déliquescence complète d’un système mais aussi l’émergence d’une personnalité définitivement en marge… tout un paradoxe.

 

Martin Vieillot