.Love song for a rapper
 
Titre original:
Rappaa Bojou
   
Réalisateur:
FUJIWARA Sho
Année:
2003
Studio:
-
Genre:
Drame
Avec:

KAWASUMI Yoshimi
SHIBUYA Takuo
UTAKA Shiho
KAWASUMI Naoki

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Frères et mère

Au cours des dernières années, le progrès technologique et la généralisation des caméras légères (dont la très appréciée ou décriée DV) ont contribué à redonner un sursaut à tout un pan du cinéma indépendant nippon (voir la série des Love Cinema ou plus récemment les concept Eros Bancho/ Horror Bancho). Plus attaché à une certaine aisance technique qu’à une image léchée, des réalisateurs bien décidés à éviter  le triste écueil du V-cinema réussissent à s’extraire de la masse en livrant des travaux atypiques. Love Song for a rapper est à ce titre un parfait exemple de film en marge bouclé avec la fougue de la jeunesse. Si le titre du film peut laisser craindre une romance mielleuse et branchouille ; le résultat est heureusement tout autre, quelque part entre l’univers d’un Korine (Gunmo) ou d’un Larry Clark. Si le thème de la famille constitue le socle d’un tout un cinéma populaire, ses variantes déjantées comptent aussi parmi les plus intéressants essais (le début des années 80 avec Family Game, Crazy Family ou Abnormal Family mais également la fin des années 90 sous l’impulsion thématique de Takashi Miike).

Love Song for a rapper qui s’inscrit dans cette filiation directe cherche heureusement autre chose qu’une provocation toc. S’il reflète un univers décalé comme vu au travers d’un prisme déformant, c’est pour mieux prendre ses distances avec l’univers dépressif qu’il dépeint. Situé dans une petite ville industrielle de province bien loin des fantasmes de la mégalopole, Fujiwara nous livre une vision réaliste et acerbe d’une certaine société nippone des laissés pour compte. Centré autour d’une famille monoparentale (le père s’est suicidé), la trame s’attache aux pas de deux frères refusant de sortir de l’adolescence et se morfondant dans l’image écrasante de leur aîné prodigue engagé sur les rails d’une carrière de rapper. Ken, jeune homme sans compétences se réfugiant dans l’espoir d’une hypothétique  carrière de mangaka. Ma-kun, son frère aspirant star de baseball malgré son embonpoint prononcé et son inaptitude manifeste. Sur un canevas composé d’une accumulation de tranches de vie,  Fujiwara se focalise sur la vérité de l’instant plutôt que de creuser une psychologie complexe. Si la superposition d’éléments disparates arrivent à construire des personnages (celui de la mère très bien rendu en quelque plans) d’autres éléments n’en restent qu’aux prototypes d’êtres à l’étrangeté de surface (le locataire suicidaire, le clochard prodigueur de conseils à 100 yens). La peinture du duo de frères souffre aussi d’un flagrant déséquilibre. Ainsi Ma-kun ne constitue qu’un rôle satellite à Ken qui occupe la majeure partie du métrage. Le dernier tiers verra d’ailleurs leur réunion, le manque d’approfondissement de Ma-kun contribuant à l’appauvrissement dramatique du surprenant final. C’est d’ailleurs ce dernier tiers déclinant qui fait prévaloir un sentiment mitigé devant le résultat, la faute à un script insuffisamment construit ne tenant pas la (courte) longueur. Pourtant plus qu’une cohérence scénaristique, c’est dans ce ton doux-amer qu’on trouve quelque belles brides de cinéma. En mettant en exergue la frustration sexuelle de Ken dans une amourette trop vite avortée, Fujiwara insuffle une veine légère qu’il contrastera avec la pathétique scène où Ma-kun crie littéralement sa misère sexuelle. En fin de compte, ces passages ne servent qu’a mettre en évidence les liens familiaux indéfectibles, seuls défenses d’individus désœuvrés sentimentalement et mis à l’écart de toute synergie sociale. La scène du repas où la mère et ses deux fils célèbrent l’anniversaire de leur père suicidé fait à ce titre bien ressortir une certaine sensibilité peu évidente au départ. Une approche complétée par des curieuses digressions fantasques offrant une réalité alternative comme un nécessaire échappatoire. Un sens certain de l’autodérision qui déroute le spectateur sans pour autant verser dans le froid détachement et autre provocation gratuite.

Le dispositif de mise en scène qui s’inspire des codes du documentaires (images crades, lumière crue, voix directes) mêle différents procédés sans pour autant qu’un point de vue cohérent arrive à se dégager. La présence d’une caméra ‘témoin’ qui suit le personnage de Ken vaut de beaux moments capturés sur le vif lors de l’errance des personnages dans les rues. Par la suite, cette posture documento-réaliste glisse par intermittence vers l’omniscience (le choix du format scope est là aussi pour témoigner de la dualité de l’approche). En substituant la peinture extérieure d’un univers à la vision propre des personnages, le réalisateur avalide le cachet réaliste de son œuvre et les tics visuels récurrents d’une approche brute viennent parasiter et amoindrir la force des situations. Si le surprenant  final onirico-gore (un frère se fait arracher les membres puis la tête) évite les dérives hystérico-cultes, le caractère brouillon et le manque de recul échoue à transmettre tout le potentiel de la situation. Reste que dans le concert des fades œuvres artisano-numériques Love Song for a rapper se détache en compensant ses nombreux défauts par une énergie sincère et une vision singulière dont l’on ne sait distinguer la naïveté de l’humour noir. Une œuvre brute et imparfaite dans un univers qui ne demande qu’a être approfondi.

 
Martin Vieillot