Titre
original:
Hadaka no
shima |
|
|
Réalisateur: SHINDO Kaze |
Année: 2000 |
Studio: Cine
Bazar Genre: Drame |
Avec:
OKUNO Mika FUJIMURA Chika NAGASAWA
Toshiya NISHIJIMA Hidetoshi |
dre |
|
Sex(d)ualité
Portant sur ses épaules le
lourd héritage de son génial grand-père réalisateur
et scénariste Kaneto SHINDO et de son influent père producteur
Jiro SHINDO, la jeune Kaze fait preuve d'un réel talent prometteur dans
son premier long métrage. S'attaquant au difficile et tabou sujet du
lesbianisme, elle signe une première œuvre sensible et aboutie.
Chinatsu et Kyoko sont deux amies
inséparables, logeant sous un même toit et partageant jusque le
même lit. Vivant au jour le jour en gagnant quelques yens en travaillant
dans des bars de nuit, leur amitié sera mise à rude
épreuve le jour où Chinatsu tombe amoureuse de sa co-locatrice.
 |
 |
Née en 1978, Kaze SHINDO
intègre la prestigieuse école de cinéma Visual Shooting
and Lighting Course of Nihon Eiga Gakko créée par Shohei Imamura.
Se spécialisant dans la réalisation et l'éclairage, elle
attire une première fois l'attention en réalisant un fort
remarquable documentaire (Oji-Chan / My Grandfather) concernant son
illustre grand-père durant ses années d'études.
Après quelques travaux d'assistanats, elle signe le scénario et
la réalisation de son premier long métrage, tourné avec un
budget très peu élevé. Si sa famille a certainement pu
jouer un rôle important dans son parcours personnel, SHINDO en
démontre pourtant aux plus envieux détracteurs. S'imposant comme
la plus jeune réalisatrice actuellement en activité au Japon,
elle ose également relever le défi de s'attaquer à un
sujet particulièrement épineux au sein de la communauté
japonaise : l'homosexualité des femmes. Suivant les traces de Ryosuke
HASHIGUCHI, qui compte parmi les rares cinéastes à s'être
ouvertement attaqué au sujet à travers ses Grains de Sable
et Hush !, elle aborde le thème avec une
légèreté et un naturel déconcertants ; pourtant
l'homosexualité est peu admise au sein de la population japonaise et
seules les représentations caricaturales ou faussement
exagérées trouvent quelque grâce aux yeux des spectateurs.
Love / Juice est un drame
intimiste très simple. A travers le quotidien de deux amies
inséparables, passablement fêtardes la nuit tombée et
souvent fauchées, elle brosse le sensible portrait criant de
vérité de tout un pan de jeunes de ces dernières
années. Elle réussit en quelques plans à esquisser une
juste représentation d'une génération bien trop mal
assimilée dans de nombreux films par ailleurs. Fêtardes,
glandeuses, les deux amies n'en sont pas moins des jeunes tout à fait
normales, en pleine transition entre une adolescence s'achevant et le monde
adulte les guettant.
 |
 |
L'homosexualité de Chinatsu
est abordée sans fausse pudeur dès la séquence d'ouverture
du film. Les filles sortant en boîte, la lesbienne se plaint de ne
trouver chaussure à son pied parmi les filles présentes et de
regretter de ne pas être née garçon. Cette frustration sera
un véritable leitmotiv tout au long du film et démontre
l'admission d'une sexualité encore fragile : Chinatsu souffre
véritablement de ne pas être un garçon. Sa coupe, son
visage poupin, ses habits et ses attitudes trahissent de véritables
manières d'un garçon manqué ; mais moins aspirant à
changer véritablement de sexe, son comportement trahit une
identité encore mal assimilée. Kyoko, de son côté,
subit la phase de sa propre recherche sexuelle. Plutôt attirée par
les garçons, elle est curieuse de la sexualité de son amie. Elle
ne ressent aucune répulsion à l'embrasser et n'exclut - du moins
au début - de coucher un jour avec elle. Déçue par ses
expériences sexuelles passées, elle demande même conseil
quant à comment avoir un orgasme et sera irrémédiablement
excitée par une démonstration d'onanisme de la part de sa
co-locatrice.
Toutes ces annotations sexuelles
ne sont jamais exploitées de manière spectaculaire ou voyeuriste
par la réalisatrice, mais témoignent - au contraire - d'une rare
sensibilité et d'un respect particulier. Au-delà de la
simplicité de l'histoire, SHINDO intègre quelques
éléments parfaitement auteurisants. Le besoin régulier de
prendre Kyoko en photo démontre un certain côté possessif ;
au contraire, les clichés pris par Kyoko ne représentent qu'un
jeu pour la jeune fille, mais est mal vécu par Chinatsu. Tel un homme,
elle cherche à dominer dans une relation où elle est autrement
soumise par ses sentiments amoureux non retournés par son objet de
désir. Elle est tel un prédateur, cherchant sa proie, tel que
représenté par les nombreuses séquences de poissons rouges
dévorés : dès qu'ils sont mis dans un même bocal
avec un poisson d'une autre espèce, ils se font dévorer tout
crû. Poissons rouges, qui servent également de métaphore
à la relation même des deux filles : mis dans un étroit
verre (aussi petit que l'appartement partagé par les filles), l'un meurt
au moment de la ''rupture'' de deux amies et de la menace du suicide de
Chinatsu. Métaphore certes facile, mais une nouvelle fois juste et
étonnant pour un premier métrage réalisée par une
jeune femme de 22 ans.
 |
 |
Métrage centré tout
entier autour des deux filles, la gente masculine n'a que peu de place dans
leur univers ou est représentée de façon médiocre :
un vendeur de poisson exotique renfermé et indécis, un barman
rendant visite avec force alcool et un patron violeur. D'après l'aveu de
Kaze SHINDO elle-même, elle a cherché à décrire un
univers qui lui était intimement familier et proche ; elle ne semble en
tout cas pas porter beaucoup d'affection pour la gente masculine.
Premier
film tout à fait réussi, ne souffrant que d'une
fin par trop démonstrative et appuyée, le talent
de Kaze Shindo est très prometteur. Disposant de la même
fraîcheur que les premiers métrages de Sofia Coppola,
son premier métrage mérite d'être découvert
par un large public et donne envie de suivre ses futurs pas
derrière la caméra. |