Titre
original:
Borei kaibyo
yashiki |
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Réalisateur: NAKAGAWA Nobuo |
Année: 1958 |
Studio: Shintoho
Genre: Bakeneko
eiga |
Avec:
HOSOKAWA Toshio CHIKUMA Midori EJIMA
Yuriko WADA Keinosuke |
dre |
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Cat Woman
Au plus fort de la
popularité des kaidan eiga (film de fantômes), Nobuo NAKAGAWA va
apporter sa pierre au sous-genre du bake neko (film de chats-fantômes)
recelant pourtant de très nombreuses adaptations (toujours invisibles en
Occident). Bénéficiant d'un budget serré, il va redoubler
d'inventivité pour palier au manque de ressources et donner ce qui sera
incontestablement l'un des plus beaux films d'horreur de cette époque.
Un docteur décide
d'emménager dans une vieille maison abandonnée à Kyushu.
Sa femme, atteinte de tuberculose, est rapidement sujet à des
troublantes visions d'une vieille dame, qui apparaît finalement pour
tenter de l'étrangler. Un moine apprend alors au couple, qu'une terrible
malédiction pèse sur la maison suite à un meurtre survenu
un siècle plus tôt. L'âme du défunt n'aurait pas
encore trouvé le repos et un chat-fantôme rôderait dans les
parages pour se venger.
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1958 marque une nouvelle
année faste en ce qui concerne la popularité des kaidan eiga
(film de fantômes). Menée par les productions de la Shintoho pas
encore inquiétée par ses problèmes financiers, une
ribambelle de long métrages envahit les salles japonaises pendant
l'été. Période d'O-Bon (fête des morts),
cette tradition de sortir des films d'horreur à ce moment précis
de l'année remonte aux représentations kabuki, dont les plus
fantastiques étaient toujours jouées par temps de grandes
chaleurs pour assurer des agréables frissons à leurs spectateurs.
Un sous-genre du kaidan eiga est alors très populaire : celui des
bake neko (eiga), les films de chats-fantômes. Produits par
dizaines, ils se réfèrent à la méfiance naturelle
des japonais envers les félins. Animal importé de Chine au XIIe
siècle, il serait doté pouvoirs maléfiques. Les
drôles de maniki neko, chats-qui-te-saluent, qui pullulent
dans les magasins de tous les pays asiatiques servent d'ailleurs autant de
porte-bonheurs, que de remède superstitieux à l'encontre de leur
prétendu pouvoir maléfique. La trame des bake neko est
généralement indissociable d'un métrage à l'autre :
un chat domestique prend possession du corps d'une femme, dont le mari ou un
parent proche a été assassiné. Vengeant le méfait,
la rancœur prévaut la raison et le chat-fantôme se met
à décimer tout l'entourage à tort et à travers
avant d'être tué à son tour.
Des nombreux films à
sortir, un seul va se détacher du lot, même si sa véritable
reconnaissance n'aura toujours pas au lieu à ce jour; il s'agit du
"Mansion of Ghost Cat" de Nobuo NAKAGAWA. 69ième long
métrage réalisé, cette production est donc une
énième variante du bake neko à sortir à la fin des
années cinquante. Les studios de la Shintoho ne disposant plus de
beaucoup de ressources et les films d'horreur produit à la chaîne
ne se voyant de toute façon pasattribuer un large budget, les
exécutifs préviennent NAKAGAWA qu'il ne disposerait ni de
beaucoup de temps, ni de beaucoup de ressources. Un métrage
tourné en couleurs dans son intégralité revenant trop
cher, il devrait même assurer une bonne partie en pellicule Noir et
Blanc. Le réalisateur a alors une idée particulièrement
audacieuse, allant complètement à l'encontre de ses propres
structures temporelles linéaires. S'entourant d'une fine équipe
technique à l'origine de ses plus beaux chef-d'œuvres à
venir - Haruyasu KUROSAWA à la décoration, Tadashi NISHIMOTO
à l'éclairage et Chumei WATANABE à la musique - il adapte
une nouvelle de Sotoo TACHIBANA en trois parties visuelles très
distinctes. Histoire démarrant au présent et effectuant deux
retours consécutifs dans le passé, le dernier - et donc
chronologiquement plus ancien - segment est tourné en couleurs.
Contraire à ce qui est une règle cinématographique bien
établie, le souvenir d'événements passés n'est donc
pas en noir et blanc, mais en un flamboyante Shintohoscope aux couleurs
pétaradantes.
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Cette inventivité
créatrice née du besoin de pallier à l'insuffisance
budgétaire n'est pourtant pas la seule; NAKAGAWA va redoubler
d'imagination. Tout le film est ainsi parcouru de géniales idées,
posant de larges bases pour ses réputés chef-d'œuvres
à venir. La première partie - au présent - est ainsi la
plus chiadée au niveau de l'éclairage en noir et blanc et de la
mise en scène remplie d'élégants mouvements de
caméra. Démarrant le générique (animé, ce
qui est assez rare pour les films d'époque) sur un chat noir, NAKAGAWA
entame dans un même plan un très long plan-séquence fluide,
qui fait sa caméra longer une muraille, pénétrer
l'intérieur d'une clinique, avancer dans de sombres couloirs, avant de
monter un étage - sans suivre les marches de l'escalier - pour arriver
devant des doubles battants fermés. Reprise à l'intérieur,
la prétendue vue subjective (vue à la première personne)
se transforme en vue à la troisième personne avec l'entrée
dans le champ d'un personnage; mais la maîtrise du mouvement fait douter
à ce que le spectateur ne soit "mis à la place" d'un personnage
secondaire. Ce ne sera pas le cas; en revanche, un persistant bruit de pas
n'était pas celui du personnage à l'écran, mais de
quelqu'un s'approchant au beau milieu de la nuit dans les couloirs
déserts de la clinique. Une coupure d'électricité plonge
les spectateur dans le noir et l'abrupt premier flash-back donne un
agréable sentiment d'angoisse et de malaise de délaisser ainsi le
professeur de la clinique face à l'inconnu approchant.
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Le premier flash-back est
tourné en un Noir et Blanc un brin plus granuleux que celui du
précédent segment. Un couple visite leur futur domicile, une
maison abandonnée. Non seulement NAKAGAWA réussit à
instaurer immédiatement une atmosphère angoissante de par son
seul décor magnifique, mais il désamorce en quelques minutes tous
les poncifs du film d'horreur typique de l'époque : l'archétype
même de la maison hantée, la protagoniste principale pas dupe de
la présence maléfique, l'apparition furtive du spectre d'une
vieille dame et des traces de pas dans la couche de poussière de la
maison s'arrêtant brusquement. Tous les clichés horrifiques de ce
qui assure normalement le quota d'un film d'horreur traditionnel entier se
retrouvent balancés dès les premières minutes. Le climat
d'angoisse est donc poussé à son comble et le spectateur craint
de ne connaître une suite qu'il s'imagine d'autant plus forte. NAKAGAWA
ne s'embarrasse d'ailleurs pas d'explications plus longues, mais ose un
flash-forward osé à l'intérieur de sa structure
déjà chamboulée, renvoyant directement au moment où
le couple s'est installé dans la demeure. La mystérieuse vieille
femme apparue furtivement en début du film fait son retour et tente
à plusieurs reprises de tuer la matrone. NAKAGAWA fait de chacune de ses
apparitions un pur moment d'horreur par sa simple mise en scène, la
beauté des décors et une tension difficilement soutenable. Parmi
ses géniales trouvailles - aujourd'hui un standard du film de
croquemitaine fantastique - celle où la vieille femme emprunte la voix
du mari de la victime pour se faire ouvrir la porte.
L'explication d'un moine renvoie
à la troisième partie. Retournant un siècle en
arrière, le film bascule dans un pur jidai geki (film en
costumes). Désormais en couleurs, NAKAGAWA adapte également une
mise en scène plus statique et composée de plans larges,
permettant aux protagonistes de reconstituer une véritable pièce
kabuki. La trame est davantage celle d'un kaidan eiga plus traditionnel,
rappelant les adaptations de la Légende de Yotsuya.
Bénéficiant certes d'un budget moindre, l'inventivité
n'est pas en reste, accumulant surimpressions, expérimentations
visuelles (superbe idée de surcadrage où le personnage est
détouré comme vu à travers l'iris d'un chat) et
références multiples, comme l'œuvre d'Allan Poe
(L'emmuré vivant) ou le film de Jacques Tourneur (La
Féline). Le personnage du chat fantôme est tout simplement
irrésistible et son combat contre la pauvre Yae est un moment
d'anthologie de "kabuki sportif". Le premier retour au présent conclut
parfaitement la malédiction avec notamment la découverte du corps
momifié dans le mur, simplement éclairé par un orage
enragé.
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Seul point noir, le dernier retour
au présent, qui termine le film sur une note outrageusement positive.
Comme si la production avait imposé un happy-end, NAKAGAWA met en
scène une sorte de parodie des publicités ou des soap-operas
américains de l'époque. Une nouvelle fois, NAKAGAWA ne met aucune
importance quant à la psychologie des personnages, qui ne restent que
peu dépeints et approfondis. Seul l'intéresse la mise en
scène et l'expérimentation visuelle, qui trouve
déjà là un premier paroxysme avant l'apogée
atteinte avec ses futurs Ghost of Yotsuya et Jigoku. Oeuvre
méconnue et peu présentée au grand public, Mansion of
Ghost Cat est pourtant un classique indéniable du film d'horreur
rivalisant sans aucune peine avec d'autres perles de l'époque, comme
celles des britanniques studios de la Hammer. Les contraintes d'un budget
serré auront permis au cinéaste de redoubler d'inventivité
et de créativité et le film réussit en tous points
à transmettre les efforts fournis. |