.Marebito
 
Titre original:
Marebito
   
Réalisateur:
Shimizu Takashi
Année:
2004
Studio:
-
Genre:
Fantastique
Avec:
Tsukamoto Shinya
Miyashita Tomomi
Nakahara Kazuhiro
Ninagawa Miho
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Contes de la folie ordinaire

Tourné en huit jours entre les post - et pré - productions des ses Juon-The Grudge et The Grudge (US) et doté d'un budget dérisoire afin de pouvoir garder une entière liberté artistique, Shimizu prouve finalement qu'il sait se détacher de ses maisons hantées déclinées à toutes les sauces. Ce qui n'empêche pas qu'il doit toujours faire ses preuves…

Depuis qu'il a filmé par hasard le suicide d'un homme s'enfonçant un couteau dans l'œil, Masuoka n'a de cesse de retrouver l'état d'extrême terreur dans lequel semblait se trouver l'inconnu. Retournant sur les lieux, le cameraman trouve un chemin qui le mène dans les souterrains situés sous Tokyo. Lieu de légende selon laquelle ces chemins obscurs auraient abrité d'importants fonctionnaires durant la seconde Guerre Mondiale, ils débouchent sur une mystérieuse cité souterraine. Dans ces ruines d'une ancienne civilisation disparue, Masuoka découvre une jeune femme nue et muette, qu'il surnommera F. La ramenant dans son appartement et la guettant par caméras interposés lorsqu'il est de sortie, il pense découvrir la véritable identité de la belle inconnue : elle est de la race des Deros, des robots humanoïdes se nourrissant exclusivement de sang humain…

Marebito signifie littéralement être venu d'ailleurs et désignait plus communément un visiteur dans l'ancien Japon. Au début du XXème siècle, le professeur en littérature Orikuchi Shinobu établissait les marebitos comme des entités spirituelles venant de la contrée de Tokoyo, un monde parallèle situé sous la Mer, rendant régulièrement visite à des communautés humaines pour leur apporter bonheur et bien être. Dans sa première partie, le film de Shimizu regorge de références telle que cette vieille légende. Première source d'inspiration revendiquée de la part du réalisateur est l'œuvre de H.P. Lovecraft, par le biais de la terreur indescriptible et surtout par l'évocation d'une prestigieuse civilisation disparue, renvoyant au gros de l'œuvre de l'auteur de Cthulhu. Il évoque également la théorie de la Terre Creuse - théorie d'Edmund Halley, selon l'intérieur de la Terre contiendrait un soleil, des constellations et un ciel intérieurs ; idée reprise par des auteurs tels qu'Edgar Poe ou Jules Vernes -, L'Enfer de Dante, T.S. Eliott et l'art graphique d'un Schuiten. Il aborde également directement l'œuvre d'un certain Richard Shaver, auteur de romans de gare de fantasy / SF ayant réellement existé et créateur des Deros (prononcez Day-ro) ; ces créatures foncièrement mauvaises, habitent dans les cavernes souterraines de notre planète, traquent les hommes à la surface et marchandent des pièces technologiques jadis abandonnées par les Titans (les premiers hommes sur Terre) avec des extra-terrestres de passage (!!!). Shaver avait tenté de convaincre ses lecteurs de la véracité des faits en décrivant régulièrement ses tournées souterraines et ses rencontres avec les êtres maléfiques.

Si Shimizu ne creuse pas d'avantage les théories de Shaver, comme il abandonne la chasse aux Deros pour une bonne partie de son film, il reprend au moins le principe de la relative brouille entre réel et fiction ; car tout son film porte entre distinguer le faux du vrai, la réalité de la fiction. A commencer par le contrôle absolu des médias. Masuoka est un passionné de l'image ; caméra au poing, il parcourt inlassablement la ville de Tokyo pour regarder tous ses enregistrements une fois rentré à la maison. Il ne connaît la ville que par le biais de l'image, soit en regardant par l'objectif, soit en se repassant ce qu'il a filmé durant la journée. Lorsqu'il enregistre par hasard le suicide d'un inconnu dans le métro, il fait une découverte majeure : en comparant sa version avec celle effectivement montrée dans les médias (visage de la victime flouée pour ne pas choquer le grand public), il se rend compte de l'absence émotionnelle de la version télévisuelle, puisque cachée par la partie brouillée. Il s'agit bien évidemment d'une émotion extrême, difficilement soutenable, mais Shimizu pointe de son doigt le fait que la télévision enlève toute émotion…ou incite à rechercher des extrêmes ; car dès lors Masuoka n'aura de cesse que de retrouver ce même état d'esprit qu'il n'aura jamais expérimenté. La suite démontre, qu'il est un cas extrême en étant dénué de la plupart des sentiments dits ''raisonnables'' ; mais sa recherche est tout de même motivée par la télévision.

Le thème de la manipulation d'image reste un thème central tout au long de son film, même si l'intrigue s'éloigne de son point de départ initial : Masuoka s'équipe d'un système d'installation ultra-perfectionné, afin de pouvoir surveiller à chaque moment l'objet de sa curiosité (F). Une nouvelle fois, l'image est au service d'un apprentissage : celui de la compréhension de l'autre. Masuoka observe faits et gestes de son marebito, afin de l'appréhender ; lorsque l'image présente une ''défaillance'' et que l'homme ne sait pas ce qui a causé le malaise de F, il panique et ne peut se représenter un quelconque schéma de conclusion propre, désemparé de ne pas avoir d'image. Au final, l'image ne devient plus qu'un avec Masuoka : lors d'une scène, les personnes l'entourant paraissent normaux à travers son objectif, mais floués dès qu'il les regarde ''en vrai'' (excellente scène soit-dit en passant). Intéressant rapprochement également que de voir que suite à son agression, le cadreur reçoit un coquard, en même temps que l'objectif (ou l'œil de la caméra) se brise. Avoir choisi Shynia Tsukamoto dans le rôle de Masuoka est bien évidemment un choix tout sauf innocent : l'image a toujours occupé une place de première importance dans la filmographie de son réalisateur. Malheureusement, Shimizu ne consacre pas toute son énergie sur la seule réflexion de l'image. Développant une seconde intrigue totalement imprévisible dès les quinze premières minutes passées, le réalisateur s'attache au thème de la chair et de l'affiliation familiale. Sans trop dévoiler de l'histoire, le vampirisme est ici métaphore de la consanguinité et du décalage qu'il peut y avoir dans une famille. Le père ne pouvant lâcher son enfant, alors que le dialogue semble impossible ; seul le sang lie les personnages.

Jusqu'à présent, Shimizu avait avant tout démontré, qu'il était un honnête faiseur d'images ; ce film rend d'avantage justice à son affiliation revendiquée d'avec Kieslowski et prouve que le réalisateur a énormément de choses à dire. Le fait d'avoir choisi de renoncer à un gros budget, afin de garder tout contrôle artistique est une honnête entreprise, mais Shimizu aurait gagné à être d'avantage cadré sur cet essai, afin d'éviter de se disperser de trop. Trop de choses à dire en trop peu de temps, il n'évite pourtant pas les longueurs et les temps morts au cours de son film supplantant largement les ambitions de son auteur et en faisant de Marebito un film bien trop lent.

 
Bastian Meiresonne