.Le Masseur Shiranui
 
Titre original:
Shiranui kengyo
   
Réalisateur:
Morii Kazuo
Année:
1960
Studio:
Daei
Genre:
Yakuza Eiga
Avec:
Katsu Shintaro
Nakamura Tamae
Kondo Mieko
Wakasugi Yoko

Le double maléfique de Zatoichi

Ce film révéla Shintarô Katsu au grand public japonais mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle son visionnage est indispensable à tout véritable fan de Zatoichi. L’histoire narre l’évolution sociale de Sugi-No-Chi (Shintarô Katsu), un aveugle de naissance dont nous suivons le parcours depuis sa jeune enfance. Il est recueilli par un maître d’école qui lui donnera l’instruction nécessaire afin d’exercer la panoplie des techniques généralement réservées aux aveugles, en particulier le massage. Jusque là rien à souligner, mais il se trouve que Sugi-No-Chi est une personnalité malfaisante qui ne reculera devant rien pour assouvir sa soif de reconnaissance et de pouvoir. La comparaison avec la série des (26 !) films mettant en scène Shintarô Katsu dans le rôle de Zatoichi est véritablement surprenante car il existe de nombreuses similitudes entre les deux personnages. Cependant pour l’essentiel le masseur Shiranui incarne une sorte de double maléfique de Zatoichi. Ce qui rapproche les deux personnages est bien évidemment leur infirmité mais aussi le charisme dont ils font preuve.

Ainsi trouve-t-on déjà dans ce Masseur Shiranui des éléments récurrents de la série des Zatoichi. En particulier la façon dont ils usent tous deux de leur cécité pour berner les gens, cachant sous une apparente fragilité une capacité d’analyse qui fonctionne comme un sixième sens leur permettant de tirer le meilleur d’une situation, et ceci avec une facilité dont seraient bien incapables les « non-aveugles ». On pourrait ainsi supposer que les deux personnages sont d’une certaine façon des cousins éloignés mais il n’en est rien. Il existe deux différences principales entre Shiranui et Zatoichi. D’abord le fait que Shiranui a quelque chose de démoniaque tandis que Zatoichi, avec l’humilité qui l’anime presque toujours, est clairement un chevalier des nobles causes. D’autre part (et un peu comme dans un jeu de miroir), là où Zatoichi a des capacités extrasensorielles l’apparentant parfois à un super-héros digne des comics américains, Shiranui reste quant à lui un simple humain ayant pour arme principale son redoutable machiavélisme.

Largement désavantagé par le fait qu’il n’apparaît que dans un film (dur ainsi de bâtir une légende du cinéma), Shiranui ne peut en aucun cas rivaliser avec son double. Il semble en effet difficilement concevable qu’une série aussi longue que celle de Zatoichi eut pu être consacrée à un « méchant ». Pour bon nombre des fans de Zatoichi, l’intérêt de visionner un des multiples épisodes de ses aventures ne réside pas tant dans la découverte d’une nouvelle thématique que dans le simple fait de partager la compagnie d’un gros ours sympathique redresseur de torts, presque un rituel, comme une visite à un bon ami, la qualité de la performance d’acteur de Shintarô Katsu n’étant pas étrangère à ce sentiment. Le Masseur Shiranui n’a pas cette dimension et la comparaison fait penser à la fameuse tirade (très cinématographique) qui veut que le bien l’emporte toujours sur le mal. Le film n’en reste pas moins une sympathique curiosité. Il serait sans doute très intéressant de connaître l’influence qu’a eu Le Masseur Shiranui dans la naissance de Zatoichi dont le premier film fut réalisé deux ans plus tard. Peut-être même que sans ce film Shintarô Katsu n’aurait pas eu l’opportunité de nous offrir la plénitude de son talent dans son plus célèbre rôle. Une bien curieuse genèse donc…
 
Cyril Descans