.Matango
 
Titre original:
Matango
   
Réalisateur:
Honda Ishiro
Année:
1963
Studio:
Toho
Genre:
Fantastique
Avec:
Kubo Akira
Mizuno Kumi
Koizumi Hiroshi
Tsuchiya Yoshio
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Champignons dangereux 

Plus connu pour ses kaiju-eiga poétiques, le créateur de Godzilla possède aussi une longue filmographie de films beaucoup plus classiques tel des mélodrames adolescents, des films policiers et même des films d'aventure en la personne Matango. Sauf que ce dernier, sous une apparente normalité de film de genre inoffensif et un peu kitsch, fait lui aussi ressortir les traumatisants souvenirs des tragédies nucléaires, doublant le tout d'un regard terriblement pessimisme sur la nature humaine. La filiation thématique souterraine avec certaines de ses œuvres plus personnelles (telles Godzilla ou l'Homme H) est frappante et témoigne des éternels questionnements d'un réalisateur profondément inquiet.

Une troupe de jeunes gens bien sous tout rapports s'en va voguer à bord d'un yacht le temps d'une croisière qu'ils croient idyllique. Bientôt pris dans une violente tempête, ils dérivent durant de longs jours dans un épais brouillard jusqu'à s'échouer sur le rivage d'une île déserte bien étrange. Un cargo nucléaire secret y est en effet échoué, vide de toute trace de présence humaine. A bord ils trouvent des documents mentionnant l'existence du Matango, un dangereux et délicieux champignon psychotrope. Bientôt la vie en communauté s'organise et au fur et à mesure que les réserves en nourriture s'amenuisent les masques tombent. Puis la famine arrivant, l'attrait du champignon se fait irrésistible…

Sous couvert d'un film d'aventure basé sur une histoire de William Hope Hodgson, Honda se réapproprie la trame et insuffle au récit un surprenant pessimisme qui tranche avec l'apparente légèreté du genre. Le prologue du film montre l'équipage chantant à hautes voies les délices d'une vie insouciante. En coulisse les matelots, les seuls vrais maîtres à bord, ruminent contre cette jeunesse privilégiée. Dérivant assez vite sur une structure classique huit-clos, Honda plante adroitement son décor pour teinter progressivement et inexorablement son film de son regard désabusé. Sous une apparence très sage de film d'aventure exotique, la fuite en avant n'est pas forcement visible de prime abord, le terrible pessimisme rampant n'éclatant d'ailleurs véritablement qu'en tout fin de métrage.

Matango demeure avant tout un film de genre efficace au rythme maîtrisé et aux enchaînement bien rodés. Honda utilise au mieux un décor somme toute assez pauvre, transformant une banale île tropicale en un no man's land inquiétant. Le score de Sadao Bekku est lui aussi au diapason et avec ses sourds battements et échos lointains contribue pleinement à instaurer une ambiance de plus en plus pesante . Tension constante qui enfle, environnement étrange où une invisible menace gronde, Honda sème un inquiétant faisceau d'indices qui laisse peu de doute sur la singularité du métrage. Drogue, frustration sexuelle, famine, trahison, suicide, meurtre, les personnages stéréotypés dévoileront leurs faiblesses de manière parfois surprenante. Honda prend visiblement plaisir à faire tomber les masques sur une nature humaine toujours trop prompte à juger uniquement selon les apparences.

Le fameux champignon du titre, finalement très peu présent à l'écran, fera définitivement basculer ce petit monde dans le délire aux cours de superbes séquences fantastico-oniriques aux couleurs électriques, élevant par la même occasion le film au rang d'œuvre culte. Certains personnages s'abandonnent corps et âmes aux plaisirs fatals des champignons apaisant ainsi leur appétit mais les transformant aussi en horribles hommes-champignons difformes*. Les autres s'accrocheront coûte que coûte pour ne pas perdre leur dernière parcelle d'humanité dans ce chaos délirant. Le génial et terrible épilogue renversera d'ailleurs complètement le propos et peux même se voir comme une apologie de la drogue, seul vrai plaisir dans une société décadente. Terrible constat s'il en est!

Excellent film d'aventure rondement mené et parcouru de surprenantes incartades fantastiques, Honda y rajoute un terrible pessimisme qui contraste fortement avec l'habituelle légèreté du genre. Un classique à la fois ludique et glaçant.

* Référence implicite aux chaires difformes des victimes des bombes nucléaires. Cette même référence se trouve aussi dans Nostradamus (une autre production de la Toho), une scène qui avait fait scandale en son époque.
 
Martin Vieillot