.L'assassin de la jeunesse
 
Titre original:
Seishun no satsujinsha
   
Réalisateur:
HASEGAWA Kazuhiko
Année:
1976
Studio:
ATG
Genre:
Drame
Avec:
MIZUTANI Yutaka
UCHIDa Ryohei
HARADA Mieko
ISHIHARA Etsuko
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Génération à vide

En ces années 70, la prospérité économique permet à tout un pan de la population de vivre un présent calme et rassurant, faisant oublier le chaos de l’après-guerre. Dans les familles, cette situation offre la possibilité d’offrir aux enfants une bonne vie. C’est pourquoi les parents vont les couver et tenter de subvenir à tous leurs besoins, quoiqu’il en soit, l’enfant doit pouvoir mener une vie paisible à l’inverse de ses aînés.

Prison dorée
Cette nouvelle génération va grandir en marge d’un chaos, qu’il soit social ou économique, elle ne connaît que le confort parental. Mais cette époque se veut aussi propice à un certain changement de mœurs, et pour ses parents qui projetaient leurs rêves sur leurs enfants, il devient difficile de constater qu’un fossé se creuse. La jeunesse se retrouve partagée entre la mainmise étouffante des parents et leurs propres désirs, incompris et rejetés par leurs géniteurs. Comment va réagir un jeune homme face à cet état pesant et restrictif l’interdisant de voir sa bien aimée ? Cette prison le rend fou, il pense à supprimer ses parents, l’essentiel est de couper définitivement le lien parental, autrement dit d’être enfin libre.

L’inquisition parentale
En trouvant l’amour, le jeune homme commence à se séparer de son cercle familial. Il peut s’épanouir ailleurs aux côtés de sa copine. Même si elle n’a pas un bagage scolaire incroyable et une ambition démesurée, elle sait bien lui rendre son amour. Cette bulle ne peut que profondément déranger des parents dominants, en même temps qu’ils perdent de l’influence, ils ne peuvent pas accepter de voir une jeune femme pareille prétendre à aimer leur fils. Elle n’est tout simplement pas digne de confiance et entraîne forcément le jeune homme dans son cercle de débauche et de misérabilisme. Les parents ont une idée toute faite qui n’est pas prête de changer, ils ne veulent pas voir leur enfant gâcher son existence avec un véritable déchet.

Le détail de trop
D’ailleurs, le père s’est même offert les services d’un détective privé pour enquêter sur la vie de cette inconnue, comme il avait pu le faire pour son fils. Il veut conserver son avantage de paternel et pouvoir garder constamment la situation sous contrôle. Ce qu’il découvre va faire plonger le jeune homme dans une rage folle. Ce n’est pas vraiment le fait d’avoir engagé un détective qui va déranger le jeune homme mais le fait de se sentir trahi, et pas seulement par son père, mais aussi par sa copine idyllique. Cette trahison signe la mort du père. Et à l’origine de ce sentiment, se trouve l’histoire d’un détail, une petite anecdote. En effet, sa copine est devenue sourde d’une oreille après un choc. Quand elle explique au jeune homme comment ce problème est survenu, elle livre une version sortie tout droit de ses fantasmes. La réalité est différente, la jeune femme aurait été violé par le compagnon de sa mère à plusieurs reprises. Le plus troublant, ce qui rassure le père dans son doute, c’est que la jeune femme serait elle-même à l’origine de ce viol après avoir séduit le compagnon. Une chose est sûre, les générations se parlent mais ne s’entendent pas, ce problème est au centre du film.

Le nombril maternel
La trahison marque l’étape décisive dans le désir de liberté du jeune homme, il ne lui reste plus qu’à faire taire son père. Quand la mère arrive et découvre le corps, sa réaction se tourne vers l’avenir de son fils, elle se met à rêver d’une solution parfaite pour échapper à la justice. Son mari devient soudainement secondaire, et elle en profite même pour affirmer qu’elle cherchait elle aussi à sortir du cercle. En fait, ce que fait la mère, c’est surtout tenter de trouver une manière de dédramatiser et de rassurer son unique poussin. Ce n’est qu’après quelques minutes que la réalité lui explose en pleine figure et qu’elle souhaite se sacrifier avec son fils, manière simple et radicale de ne laisser aucune chance à la famille de survivre. Une façon de démontrer l’égoïsme de la mère. À noter que ce passage dans la maison familial est étouffant, les murs et la petitesse de l’espace enferment les individus. C’est sans doute pour mieux rendre compte cet état ressenti par le jeune homme que le film s’ouvre sur une séquence de générique à l’air libre où l’on peut voir l’homme se rendre chez ses parents, marchant tranquillement et agréablement dans les rues sous une pluie battante. Ce sentiment de liberté s’efface dès l’entrée dans l’atmosphère familiale.

Meurtre ignoré
La mort des parents n’a qu’une valeur symbolique, le jeune homme n’a pas été animé par un désir haineux. Il en prend conscience un peu plus tard dans le film quand il repense à sa famille, il aimait bel et bien sa mère et son père. Pour trouver une pleine liberté, il lui faut néanmoins couper tous les liens qui sont sensibles de représenter l’autorité parentale, sans cela il n’est qu’un pauvre fugitif apeuré. Cette destruction des liens l’obsède plus qu’un éventuel problème de conscience morale. D’ailleurs la morale est très vite éliminée puisqu’elle ne semble intéressée personne, même les autorités policières ne la prennent pas en compte. Cette indifférence de la police est surprenante car le récit du jeune homme est perçu comme un simple délire. Il parait impossible et inimaginable de voir un enfant massacrer sa famille pour affirmer sa liberté. La société nie totalement l’idée. Pour elle, le ras-le-bol de la jeunesse s’exprime dans des manifestations et pas ailleurs. La violence est officiellement dans la rue. Cette quête violente de la liberté sort de la logique générale.

Godspeed you ! Black Emperor
Si le jeune homme veut être libre, il l’est moins du côté de ses sentiments amoureux. Le mensonge de sa copine est très mal interprété, il signifie qu’il ne peut pas non plus espérer faire confiance à la jeune femme et doit se retourner sur lui-même. Le jeune homme représente une génération perdue qui ne sait plus vraiment où elle doit aller, elle est sans repères et seule, dans la difficulté de s’exprimer et d’être entendu. Elle n’existe qu’aux yeux des parents et demeure dans une perpétuelle incompréhension, même libre.

 
Michaël Stern (Wild Grounds)