.Midori
 
 

Beauté souillée

''Le cou de la fille aux camélias est tombé
Il a plongé dans la mer de larmes de sa mère
Oeil et bourgeon déchirés par le croissant de lune rouge
Le miroir s’enflamme
Les habits de l’enfer sont des pétales de camélias
La ceinture de tissu doré restera serrée ce soir
''

Grand admirateur du mangaka Suehiro Maruo et de sa Jeune fille aux camélia (Shojo Tsubaki,1984), Hiroshi Harada se lance dans un projet autoproduit d’adaptation animée telle une fronde lancée envers la censure locale. Produit pendant cinq longues années en quasi-autonomie, Midori (1992) ne doit son existence qu’à la persévérance de son auteur et le mécénat de figures underground tokyoïte (troupes de théatre indépendant, clubs S&M, vidéo club,..). Remarqué pour son court-métrage expérimental La berceuse mortelle (1985) dans lequel il traitait déjà du thème de l’enfance brisée, Harada trouve dans le manga de Maruo le réceptacle à ses obsessions. Sous la forme d’un moyen-métrage, Harada offre ainsi une relecture fidèle du manga sans pour autant chercher à s’approprier le matériau originel. Découpé en chapitres aux intitulés poétiques (Sous les cerisiers en fleurs, Patience et soumission,..), il y ajoute un prologue inédit qui dévoile la genèse morbide du personnage (le décès de sa mère au cadavre à moitié dévoré par les rats). Très fidèle jusque dans les dialogues repris au mot près, l’ensemble est littéralement vampirisé par l’ombre de son géniteur. Plus accessible et moins pervers, Midori témoigne d’un vœu de fidélité qui semble comme l’empêcher de libérer complètement le potentiel sulfureux du sujet . La mise en parallèle qui s’impose d’elle même n’en met que plus en exergue les différences fondamentales entre support papier et animé. Aux tableaux dantesques d’un sens du détail et de la mise en scène époustouflants, Harada livre des calques plus grossiers où les couleurs aux violents contrastes mauves et jaunâtres insufflent une tonalité naïve et romantique plus prégnante que dans l’univers papier. De même si le découpage linéaire des scènes et l’animation artisanale peinent à restituer les tourbillons graphiques hallucinés de Maruo, l’ensemble volontairement rétro offre une intéressante variation/hommage sur les origines de l’animation (intertitres, successions d’images fixes commentées hérités des kami-shibai). Pourtant, si la force digressive du récit y perd au change, le résultat s’impose au final de par son univers unique, ses imperfections mais aussi ses fulgurances.        

Mélangeant dans un maelström visuel hallucinant influences occidentales et japonaises, l’univers de Maruo fait le lien intergénérationnel d’une culture globale synthétisant surréalisme bataillien (omniprésence de la figure l’œil), expressionnisme et érotique grotesque toute droit sortie du riche héritage artistique local (voir les séquences encadrant le film où un défilé d’estampes agonisantes et sanglantes pointe la filiation de l’auteur avec ses illustres ancêtres). Transposé dans un Tokyo misérable d’après guerre, la trame de Midori joue le décalage ironique de son personnage central, confrontant sa pureté à la perversité de ses congénères. Une frêle orpheline embarquée dans une troupe de cirque grand-guignolesque qui verra un jour l’arrivée de l’âme sœur en la personne du nain Masamitsu. Un personnage lui aussi brimé mais dont le talent unique cristallisera les regards envieux. Embarqué dans une romance salvatrice avec Midori, il brouillera peu à peu sa perception entre imaginaire libérateur et réalité plus cruelle. Ce récit initiatique sur l’enfance pervertie s’offre tel un prolongement des contes cruels et métaphoriques occidentaux (on pense notamment à La petite fille  aux allumettes de Andersen ou Alice au pays des merveilles de Caroll). Plus qu’un exercice de style trash décadent et nombriliste, Midori est donc autant une histoire d’amour aux pays des freaks qu’un hymne à la différence et la tolérance (l’ombre de Tod Browning  s’insinue avec insistance).

Projet singulier qui tisse des liens étroits avec le milieu du théâtre expérimental, Midori exhale une tonalité scénique affirmée (voix déclamées, cachet statique des successions de tableaux) sans pour autant creuser plus en amont des voies graphiques/narratives plus expérimentales (l’auteur revendique cependant ce choix de structure classique et fédérateur, ceci afin d’enseigner au jeune public ‘la laideur du monde adulte’). A ce titre, la séquence où le nain Masamitsu se venge des brimades du public ou encore le superbe final onirique semblent enfin abandonner une retenue respectueuse pour pleinement restituer à sa manière le délire fantasmagorique de l’auteur. Conçu originellement pour être projeté dans une petite maison des horreurs, copie fidèle du théâtre du film, Midori livre des interactions scéniques avec le public (effets stéréos manuels, lâcher de pétales,..) rappelant les jeux délirants et iconoclastes du Tenjo Sajiki dont l’emblématique J-A Seazer se fend ici d’une courte et planante bande-son en totale adéquation avec l’univers onirique de Maruo.  Film d’animation atypique, Midori conserve 14 ans après encore tout son impact graphique et sensoriel. S’il n’atteint que rarement la force brute du manga et pèche par sa fidélité trop sage et appliquée, l’hommage de Harada mérite tout de même de figurer en bonne place parmi les anime sulfureux en marge d’un circuit officiel autrement plus consensuel.

 
Martin Vieillot

Disponible chez Cinemalta