.Misty
 
Titre original:
-
   
Réalisateur:
SAEGUSA Kenki
Année:
1998
Studio:
Gaga Communication
Genre:
Drame
Avec:
AMAMI Yuki
Dankan
KANESHIRO Takeshi
TOYOKAWA Tesushi
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Dans l'ombre du maître 

Adaptation d'une courte nouvelle de l'écrivain AKUTAGAWA Ryunosuke (1892-1927) inspirée de légendes de la période Heian (794-1194), Misty pille aussi bien le classique de KUROSAWA que la version érotique réalisée l'année précédente par SATOU Hisayasu (In the thicket). Ratage sur toute la ligne, SAEGUSA fait la grossière erreur de privilégier la forme sur le fond. Si le spectateur n'aura perdu que de son temps à subir la vision du métrage, le réalisateur - lui - a perdu son honneur à vouloir crânement réadapter le merveilleux matériau d'origine à sa médiocre sauce personnelle.

Masago et Takehiro sont en route pour la capitale pour célébrer leur prochaine union. En route, ils sont une première fois victimes de curieux malfrats avant de tomber entre les mains de l'impitoyable Tajomaru. La suite des événements sera raconté de différentes façons par plusieurs témoins donnant chacun leur propre version des faits.

Audacieux de vouloir se frotter à l'incontournable classique du Cinéma Japonais, le bien connu Rashomon. Premier succès planétaire pour Akira KUROSAWA, le métrage révélera véritablement l'existence et la richesse du Cinéma nippon au reste du monde et restera longtemps le film jamais le plus vu au monde. Par une audacieuse structure narrative inédite, Kurosawa réussissait à carrément remettre en cause la conception même d'une réalité donnée en confrontant différents points de vue. Son œuvre marquera des générations de réalisateurs du monde entier et engrangera quelques timides remakes plus ou moins avoués. Le dernier en date était le direct-on-video In the thicket par SATOU Hisayasu, une amusante variation érotique de l'histoire manquant cruellement de budget. SAEGUSA Kenki s'attaque donc à son tour à une relecture toute personnelle de l'œuvre. Optant pour une approche avant tout visuelle, il se réapproprie le matériau d'origine en variant également les intervenants. En résulte une vaine adaptation indigeste, visuellement prétentieuse, plombée par de nombreuses incohérences et à l'univers retro-futuriste frisant constamment le ridicule.

Une curieuse introduction - jamais explicitée par la suite - laisse pourtant présager d'une relecture fondamentale différente de la légende mythique : une petite fille assiste, impuissante, au sauvage assassinat de sa mère par un mystérieux brigand dans une hutte isolée au fin fond d'un marécage. Visuellement stupéfiant, la nerveuse réalisation entraîne le spectateur immédiatement très loin dans le singulier univers de son instigateur et désarçonne tout fan du film original; malheureusement la suite se gâte aussitôt. Situant l'action quelques dix-neuf ans plus tard, SAEGUSA abandonne les moiteurs de ses marécages du début pour une vaste étendue forestière…peuplée de drôles d'individus. Une tribu mad maxienne uniquement composée d'enfants mi-hommes, mi-singes, se dispute le butin des voyageurs pillés. Tout le budget du film semble avoir été consacré à la seule phase introductive, décors et costumes paraissant aussi ridicules que dans un film d'anticipation italien des années '80s. Entrent finalement en jeu les personnages principaux à l'origine de l'horrible drame à venir…et à SAEGUSA de se complaire dans un long passage à vide tournant avec une caméra sur l'épaule autour des amoureux en train de batifoler au bord d'une rivière. Dépouillés de leurs biens par des malfrats, ils n'hésitent pourtant pas à s'adonner aux plaisirs de la chair sur fond de multiples reflets dans l'eau et d'une esthétique toute droit sortie des productions du photographe de clichés érotiques inoffensifs David Hamilton. Forcément, les miroitements dans l'eau et l'incessante manipulation d'un miroir renvoient directement à la conception des choses, simples reflets de l'interprétation de chaque individu. Mais avant d'en arriver à l'intéressante portée métaphorique de la nouvelle originelle, près de trois quart d'heure de vide scénaristique défilent devant les yeux fatigués du spectateur.

Peu de place est donc finalement accordée au véritable noyau de l'histoire et les témoignages des différents intervenants seront rapidement expédiés. Au lieu du moine ou du bûcheron interviennent cette fois la fiancée, le brigand et un enfant, témoin de l'acte de cruauté. Bien évidemment en fonction du type d'individu, de leur éducation, de leur perception des choses et de la part de vérité et de mensonge invérifiables autrement que par la propre opinion du public, les témoignages différent largement. Intéressant parti pris, SAEGUSA modifie apparences des lieux environnants en fonction des versions des narrateurs. Autre parti pris, les témoignages varient surtout en fonction de l'implication émotionnelle de chaque individu; plus encore que dans l'œuvre originelle, chacun se voit attribué une nature bien contraire selon les versions, le brigand passant consécutivement du violeur sans remords à l'amant passionné… Malheureusement, SAEGUSA a beau tenter de se dépêtrer, jamais il n'arrivera ne serait-ce qu'à la cheville de son illustre modèle. La suite confirme d'ailleurs la mauvaise impression laissée dès le départ : il est amoureux de sa propre mise en scène et tente de surenchérir avec des cadrages expérimentaux et poseur totalement en désaccord avec le fond même de son scénario; le manque de budget clairement visible à l'écran l'empêchera même d'assurer le parti pris plastique du film

Sans doute très épris de sa personne, comme en témoigne son nom inscrit en lettres majuscules énormes en début de film, le réalisateur SAEGUSA Kenki n'a pourtant aucune raison d'être particulièrement fier. Plus porté sur ses expérimentations visuelles, il passe totalement à côté de son sujet. Finalement, il aurait été plus sage de lui confier directement la réalisation d'une bluette érotique quelconque à laquelle il semble aspirer en vue de sa façon de filmer, plutôt que de s'attaquer directement à un monument de la littérature et du cinéma classique. Un beau gâchis ayant pour seul mérite de mettre une nouvelle fois en évidence tout le génie d'Akira KUROSAWA!

 
Bastian Meiresonne