.Moe no Suzaku
 
Titre original:
Moe no suzaku
   
Réalisateur:
KAWASE Naomi
Année:
1997
Studio:
Wowow
Genre:
Drame
Avec:
SHIBATA Kotaro
KAMIMURA Yasuyo
IZUMI Sachiko
KUNIMURA Jun
dre
Terre natale 

Photographe de formation et auteur de documentaires autobiographiques, Naomi Kawase signe avec Moe no Suzaku une expérience sensorielle forte et intime. Le film a fortement divisé la critique lors de sa sortie, certains n'y voyant qu'un pur exercice nombriliste. Pourtant au regard de Shara, sa dernière oeuvre, Kawase a démontré a ses détracteurs qu'elle comptait désormais parmis les cinéastes japonais qui compte. S'il n'atteint pas la superbe universalité de ce dernier, Moe no suzaku porte en son sein les traces d'un vrai regard d'auteur à la croisée d'un Mekas, pour son approche sensorielle, et d'un Ozu pour son regard sur la cellule familiale. Kawase n'en reste pas moins une cinéaste purement nippone imprégnée de culture et de tradition ; envisager la transposition de ses œuvres dans un cadre occidental tiendrait même du suicide artistique.

De par sa thématique, Moe no suzaku s'inscrit dans la droite lignée de métrages traitant du déclin à petit feu du Japon traditionnel et des conflits intergénérationnels qu'il engendre. On pense notamment aux productions de l'Art Theatre Guild qui dans la seconde moitié des années 70 posa cette thématique avec force et talent au centre de sa reflexion cinématographique. Une conscience aiguë de leur patrimoine culturel et spirituel qui se meurt dans les bras de l'envahissant ogre urbain. Mais bien plus que cette thématique, il est surtout question des hommes et de leur terre ancestrale. La nature chez Kawase est constitutive même du cadre. Lumière constamment sous/sur exposée, cadrage approximatifs privilégiant l'espace au détail, les personnages baignent littéralement dans leur environnement et entretiennent une relation intime avec leur terre. D'où peut être cette impression d'un cinéma contemplatif et désincarné. Un des scènes finales du film, le bout de pellicule tourné par le père de l'héroïne ne dira d'ailleurs rien d'autre. Succession fixes d'images disparates, une feuille qui vole, des sourires, un arbre, un balai posé négligemment dans un coin….tous membres d'un même ensemble, d'une même mémoire collective.

Un petit village isolé dans les montagnes, l'arrivée ou non d'une liaison ferroviaire constitue le fil conducteur du récit , ce décloisonnement possible incarne la peur de la perte de cette mémoire, diluée par l'ouverture avec l'extérieur et ses envahissantes influences. Kawase transcende son sujet et filme son environnement, ses drames et bonheurs à travers le spectre intime. Superposition de strates temporelles, réminiscences du passé, joie du présent, peur déchirante d'un futur incertain. Principale limite du film, Moe no Suzaku n'est en fin de compte qu'une juxtaposition de séquences quotidiennes manquant quelque peu de consistance. Le liant familial occupe tout le métrage. La nature qui rythme la vie du village, des grands parents qui vieillissent et que certains envoient en maison de retraites en ville, autant dire vers la mort ; une adorable bambine se muant en fraîche adolescente qui pour aller à l'école descend de son village reculé par le bus dans une sorte de quasi-procession immuable ; une mère qui s'émancipe, un père qui disparaît. Reste que malgré l'amour que Kawase porte à ses personnages, l'ensemble accuse des baisses de tensions et relâchement regrettables. Le beau final distille toutefois une belle émotion sincère lors de déchirants adieux.

Héritage de son passé dans les documentaires, par sa direction d'acteurs Kawase brouille les rapports entre réalité et fiction, la différentiation lui semblant certainement même inutile. Caméra portée qui alterne avec de beaux plans fixes, lumière envahissante, la caméra de Kawase fait partie intégrante du décor, s'immisce dans les recoins. Seules quelque notes suspendues dans l'air viennent briser ce cacher naturaliste. Parfois trop sage ou maladroit (les métaphores répétées du pont et du tunnel comme lieu de passage d'un monde à l'autre), l'ensemble séduit par sa fluidité et son évanescence. Un début prometteur que Kawase confirmera brillamment avec Shara, œuvre qui entretient des rapports intimes avec Moe no Suzaku, notamment la façon dont Kawase traite les relations spirituelles qui unissent l'homme à la nature.
 
Martin Vieillot