.Le Mont Fuji et la lance ensanglantée
 
Titre original:
Chiyari Fuji
   
Réalisateur:
UCHIDA Tomu
Année:
1955
Studio:
Toeii
Genre:
Chambara
Avec:
KATAOKA Chiezo
TSUKIGATA Ryunosuke
KITAGAWA Chizuru
KATO Daisuke
 dre

Lutte des classes

Pour son premier film réalisé depuis quatorze ans suite à son séjour en Mandchourie, Tomu UCHIDA se sert d'une légère comédie pour – en fait – délivrer une charge ironique contre l'abus de pouvoir des classes aisées. Aussi bien enragé socialement que humainement, il réalise là l'un des plus féroces pamphlets cinématographiques des années 50 qui préfigure d'une bonne dizaine d'années le mouvement de la conscience sociale mondiale.

En route pour le domicile, le samouraï Shojuro Sako, flanqué de ses fidèles serviteurs Genta et Gonpachi, va faire de nombreuses rencontres qui feront définitivement changer sa vision de la politique des classes.

UCHIDA Tomu rentre finalement avec la dernière vague des expatriés de son exil en Mandchourie. Affaibli et malade, il passera quelques semaines en maison de cure avant de tenter de réapparaître dans le paysage cinématographique nippon. Il craint de ne plus pouvoir retrouver du travail après sa longue absence à cause de ses idées ouvertement communistes très mal vues par le gouvernement japonais (et surtout par l'occupant américain). Peu de temps après son retour, il sera soutenu par des anciens comparses tels Kenji MIZOGUCHI, Yasujiro OZU ou Daisuke ITO qui lui permettront de se faire employer par les studios de la Daiei et de s'attaquer à Le Mont Fuji et la lance ensanglantée. N'ayant nullement perdu la main en assistant la renaissance du Cinéma Chinois sous gouvernement communiste et en formant de jeunes talents, il est pourtant surprenant de voir à quel point son retour derrière le caméra est inventif et maîtrisé. Matériels et conditions de tournage ont profondément changés depuis la riche reprise de l'industrie cinématographique d’après-guerre, mais UCHIDA s'en empare avec autant d'enthousiasme qu'il s'attaque à son sujet. Ecrits par Shintaro MIMURA et Fuji YAHIRO, scénaristes ayant tous deux – comme UCHIDA – démarré du temps du muet, la présence d'ITO Daisuke et Yasujiro OZU n'a pas dû être sans conséquences dans la réalisation du projet. Le premier était avant tout connu comme un grand pionnier des premiers chambaras des années 30 et est souvent cité en titre d'exemple des grands cinéastes nippons; le second a su – mieux que quiconque – mettre en scène des enfants. Le rôle du garçonnet désirant devenir un lancier semble un personnage tout droit issu de la filmographie de ce réalisateur. Pourtant, Le Mont Fuji… est largement marqué de l'empreinte même d'UCHIDA. Ne s'étant jamais caché de sa sympathie envers les idées communistes, il est d'autant plus surprenant de découvrir la virulence de ses convictions politiques contenues dans cette œuvre. Pourtant, avec une bonne dizaine d'années d'avance sur une conscience politique mondiale, il porte une attaque corrosive sur le pouvoir abusif des autorités et se moque ouvertement des classes aisées. L'exemple le plus flagrant en est l'hilarante séquence de "la cérémonie de thé en plein air" improvisé par des Seigneurs sur une route largement fréquentée. Non seulement, ces riches personnes empêchent ouvertement d'autres gens de vaquer à leurs affaires, mais en plus ils les obligent implicitement de les regarder en train de manger et boire, alors que la faim semble régner autour d'eux (le garçonnet dévore une patate chaude à pleines dents, avant d'attraper des indigestions à manger des kakis dès qu'il a quelques sous en poche). Sous couvert d'une scène directement inspirée des films comiques muets, UCHIDA imagine une vengeance toute personnelle en donnant à plusieurs personnages des coliques, dont les odeurs vont importuner les gents hommes. Un humour véritablement Bunuel-esque.

Une dénonciation plus franche se retrouve bien évidemment dans les rapports entre SAKO et ses deux serviteurs (qu'il traite avec beaucoup d'égards) et surtout dans le cruel dénouement où de rustres Seigneurs saouls et maltraitant des femmes s'en prennent au jeune samouraï pour avoir "osé" inviter son domestique à sa même table. Malgré la virulence de ses attaques, UCHIDA croit pourtant en une égalité possible, en faisant du policier un homme juste, prêt à prendre la défense d'un pauvre hère devant un cruel Seigneur. Mieux, il dénonce (comme dans la plupart de ses films postérieurs) le "faux-semblant" des choses par l'épisode de l'impossible revente de la lance. Signe de prestige (emblème ancestral de la famille du jeune samouraï) et d'influence (seuls les samouraïs, une caste "supérieure", avait le droit de porter des armes), SAKO se rend compte qu'elle ne vaut que clopinettes en étant une contrefaçon! Ironie du sort que de savoir l'arme fièrement arborée à son passage (et même portée par un serviteur expressément prévu à cet effet) n'être finalement qu'un leurre. Totale justice sera faite après que Genpachi aura terrassé ses "illustres" adversaires lors d'une anthologique séquence finale (filmée – ce qui deviendra une image de "marque" du cinéaste – en partie en hauteur) avec ce pauvre objet de pacotille. Arme de prestige ou contrefaçon peu chère, elle reste avant tout meurtrière.

UCHIDA réussit donc brillamment son retour derrière la caméra et ose même se risquer à signer une œuvre assez acerbe, au lieu de rendre un travail neutre à même de lui permettre de conserver son emploi de réalisateur. Toutes les caractéristiques de ses futurs travaux sont déjà présentes, que ce soit la démultiplication des personnages (principaux), la présence d'un garçon orphelin, la dénonciation de l'injustice des classes ou bien encore sa volonté d'expérimentation dans un genre codé. Pas vraiment un chambara (titre uniquement attribué en raison de la présence de l'anthologique séquence finale), UCHIDA raille les stéréotypes classiques en faisant des honorables samouraïs les vrais méchants de l'histoire et en moquant la représentation du Mont Fuji – non pas un plan soigné de la magnifique montagne, mais un vulgaire dessin assez mal fichu…affirmant par là une nouvelle fois son aversion à la représentation faussée des choses.        

 

Bastian Meiresonne

Disponible chez Wild Side