.Mother Tree
 
Titre original:
Kaidan chibusa enoki
   
Réalisateur:
KATANO Goro
Année:
1958
Studio:
ShinToho-
Genre:
Kaidan-eiga

Avec:
WAKASUGI Kazuko
HAYASHI Akira
MATSUMOTO Asoa
NAKAMURA Akira

Désir meurtrier

A coté du dramaturge Nanboku Tsuruya (Les fantômes de Yotsuya), l’auteur de rakugo (écit oral) Encho Sanyutei est l’autre source d’inspiration majeure du genre kaidan, autant pour les pièces kabuki que les adaptations cinématographiques qui découlent directement de leurs récits. Deux des principales œuvres de Sanyutei ont à ce titre particulièrement influencé les scénaristes du 7ème art et connu de nombreuses adaptations: Kaidan Kasane-ga-fuchi (Le fantôme du marais de Kasane)  et Kaidan botan doro (La lanterne pivoine). Moins connue est son Kaidan chibusa enoki (Histoire fantastique de l’arbre-mère) qui connut un engouement moindre malgré une teneur fantastique singulière (une version en 1917, suivie de deux adaptations signées Goro Katono en 1939 et 1958).  Honnête artisan de kaidan de la ShinToho aux cotés de Nobuo Nakagawa ou Yoshihiro Ishiwara , Katano livre ici un travail qui s’il souffre d’un manque certain d’approfondissement (le film dure seulement 47min !) n’en demeure pas moins une réussite méconnue du genre, assumant ses parti-pris démonstratifs et commerciaux dans une parade fantastique, mélancolique et cruelle aux fulgurances graphiques enthousiasmantes.

Le récit classique ne fait pourtant que recycler les éléments traditionnels du genre sans grande originalité. On retrouve la veine cruelle d’un Tsuruya dans ce portrait du ronin Isogai qui se fait apprenti d’un maître peintre dans le seul but de séduire sa belle épouse. Le drame inévitable se produit lorsque le ronin calculateur s’enfonce dans une spirale possessive et autodestructrice en violant  la femme (en la menaçant de tuer son nourrisson de son sabre étincelant) pour finir par assassiner la mari devenu gênant au détour d’une sombre route longeant un marécage. Si Isogai s’arrange pour acheter le silence de témoins gênants, il ne pourra rien contre la toile du maître laissé inachevée, un majestueux dragon aux deux orbites vides qui seront le vecteur de son ressentiment. Lorsque sa folie semble condamner l’innocent nourrisson que sa mère ne peut plus allaiter, un étrange arbre nourricier à l’écorce-mamelle viendra contrer une issue qui semblait inéluctable…

Comme souvent une parabole des faiblesses la nature humaine, ce kaidan eiga élude la dimension sociale sous-jacente au genre pour se concentrer sur la figure maléfique du ronin Isogai. Durée oblige, le personnage n’en est réduit qu’à des archétypes et l’on regrette que Katano n’ai pas accordé quelques scènes introspectives pour mieux sonder la psyché torturée de son héros. Pourtant, jamais le rythme alerte et les manifestations fantastiques généreuses ne confèrent un caractère superficiel à l’ensemble ; le récit tendu puisant sa force dans son unité de lieu, de temps et de personnages. Par sa concision et son minimalisme, la dimension théâtrale participe à plein aux petits jeux fantastiques et cruels. Loin d’un Shura tiré de Tsuruya, le ronin Isogai constitue pourtant une convaincante figure tragique rongée par ses pulsions primaires.

Se reposant sur un récit aux mécanismes confirmés, Katano brode une esthétique morbide au noir et blanc d’outre-tombe. L’unité de lieu participe à plein à ce drame, les zones d’ombres sont vues comme autant d’aplats enfermant les personnages dans des parois/frontières funestes d’où surgissent des spectres vengeurs. Les mécanismes de l’effroi bien rodés, les apparitions des êtres vengeurs sont cinquante ans après toujours aussi saisissantes : muscles tendus, yeux inquisiteurs, blancheur spectrale de la peau. Katano compose quelques scènes mémorables comme ce plan superbe où le peintre-transparent finit par se superposer à la toile qu'il est en train de peindre. Ce même jeu de superposition est utilisé dans le long final où Isogai se trouve encerclé par des spectres dans le jardin de l’arbre-mère. La dimension animiste des manifestations fantastiques insuffle ici une ampleur plus profonde aux courroux des esprits : voir cette inquiétante toile inachevée d’un dragon en colère ou bien encore cet arbre mystérieux qui semble diriger à distance l’issue inéluctable du héros. La tonalité funeste du récit cohabite plutôt efficacement avec un rythme généreux, voir ces scènes où le ronin se débat avec des boules/esprits volantes conférant un dynamisme peu commun au genre. En résulte un film sans prétention ni lourdeur, qui bien que trop vite expédié n’en livre pas moins la sensualité sous-jacente et les visions expressionnistes tant recherchées. On sera quand même curieux de comparer l’exercice avec les versions précédentes tant le récit originel semble diverger de la trame ici proposée.

 
Martin Vieillot