Miyamoto Musashi : Zen and Sword (1961)
De : UCHIDA Tomu Avec : NAKAMURA Kinnosuke, IRIE Wakaba, KIMURA Isao, NANIWA Cheiko
Le légendaire Miyamoto Musashi trouve pour une nouvelle fois la voie d'une transposition sur grand écran. Plus ambitieuse, car plus exhaustive que la dernière version en date (5 films et demi contre les trois d'INAGAKI des années 1950), le travail de Tomu UCHIDA brille également par un meilleur approfondissement de l'ambigu personnage.
A son retour au village natal après avoir participé à la grande bataille de Sekigahara, le jeune Shinmen TAKEZO est rejeté des siens. Seuls Otsu, la fiancée de son ancien ami parti le suivre à la guerre, et le prêtre Takuan seront à ses côtés. Ce dernier lui propose de lui enseigner les arts et manières d'un vrai samouraï.
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Il est amusant de constater que la nouvelle adaptation de la célèbre légende du tourmenté rônin bretteur soit une fois de plus signée des mains d'un réalisateur vétéran (la dernière transposition à l'écran date de seulement cinq ans, elle avait été assurée à l'époque par Hiroshi INAGAKI, de sept ans le benjamin d'UCHIDA). Tous deux avaient brillé durant l'époque du muet; tous deux n'ont su s'adapter aux changements de visage de l'économie cinématographique et trouver des financiers prêts à investir dans leurs projets de fin de carrière. Bien que considérée comme une œuvre mineure – aussi bien par les producteurs que les critiques à l'époque – l'adaptation de Tomu UCHIDA n'en reste pas moins soignée, allant en s’améliorant au fil des épisodes. Ce premier volet sent à plein nez un simple travail de commande à l'exécution paresseuse, le film reprenant quasiment au plan près celui réalisé par INAGAKI en 1954. Une pratique courante des studios nippons que de commander régulièrement des remises à jour de succès populaires passés, ce Miyamoto Musashi frôle pourtant le plagiat éhonté tant la mise ne scène mais également scénario et décors sont de purs décalques ! Heureusement, UCHIDA emprunte – dès le second épisode – des sentiers largement différents collant ainsi bien davantage à la trame du livre La Pierre et le Sabre d'Eiji YOSHIKAWA. Non seulement, le rônin bretteur vivra des aventures inédites, mais il gagnera également en profondeur psychologique, dimension faisant cruellement défaut à la précédente version. Malgré les contraintes – les studios de la Toei couperont de moitié le budget prévu sur le cinquième épisode – UCHIDA semble s'impliquer toujours davantage dans le portrait de l'ambigu personnage et mourra même en plein tournage du sixième épisode en 1970.
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Mais qui est donc le légendaire personnage de Miyamoto Musashi pour avoir gagné une telle réputation et avoir droit aux honneurs de tant d'adaptation sous divers supports ? Personnage historique qu’on dit être né en 1584. Fils d'un bretteur invétéré, il est orphelin dès l'âge de sept ans, suite à la défaite en duel de son père. Elevé dans un monastère sous la tutelle de son oncle, il reprend le fatidique talent de son parent et s'entraîne à longueur de journée au sabre. Il aurait défait son premier adversaire à l'âge de treize ans, puis le second à 16 ans. C'est également à cette période, qu'il change son nom de Takezo SHINMEN en celui de Musashi (une autre manière de lire les idéogrammes de Takezo) MIYAMOTO (d'après le nom de sa ville natale). Sérieusement blessé lors de l'historique bataille de Sekigahara en 1600 (coûtant la vie de plus de 50.000 samouraïs en un terrible affrontement de deux clans pour la succession à la suprématie nipponne) il resurgit en 1604 pour défier la réputée école d'escrime de YOSHIOKA Seijuro. La légende dit qu'il aurait vaincu plus de soixante adversaires en duels simples, la plupart à l'aide d'une épée en bois pour prouver son total dédain face aux adversaires équipés – eux – d'un authentique sabre. Son dernier affrontement fut un épique combat contre SASAKI Kojiro. Certainement supérieur en technicité, MUSASHI ne s'en sorti que par la ruse, assommant son adversaire d'une lourde épée taillée à même la rame en bois de la barque l'ayant amené sur le lieu du duel. Les avis sont pourtant partagés quant à cette dernier morceau de bravoure. Les uns disent que MUSASHI ne serait jamais apparu au combat; d'autres qu'il aurait perdu. Parfois il est dit encore qu'ils se seraient battus loyalement, d'autres fois le rônin auraient effectivement utilisé la technique de la rame. Certains encore disent que Musashi réussi à défoncer le crâne de son adversaire en un seul coup, d'autres qu'il n'aurait fait qu'assommer son ennemi avant de le transpercer de sa vraie épée. Toujours est-il que suite à cette victoire, MUSASHI refusa le moindre duel et préféra se consacrer à l'étude des Arts et de la calligraphie. Kensei (désignation particulière, voulant littéralement dire : Saint du Sabre), il œuvra par la suite comme maître d'armes, conseiller personnalisé ou comme combattant contre les révoltés chrétiens de Shimabara. Il officialisa également sa propre style de combat (utilisant deux épées, l'une plus longue que l'autre) mais l'insuccès devant le Shogun fit tomber en désuétude cette pratique. Quelques mois avant sa mort (en 1645), il partit se retirer dans une grotte dans les montagnes d'Iwato, où il rédiga un célèbre livret de stratégie militaire (et de réflexion philosophique) : le Gorin no Sho (Traité des Cinq Roues). Sa vie a été contée dans d'innombrables pièces de théâtre, romans, une vingtaine de films et deux séries télévisées (1984 & 2003). Une dense matière en somme – surtout qu'une légende est toujours sujette à de nombreuses interprétations, comme en en témoigne la récente production indépendante du réalisateur Hiroshi TODA, qui dans Tempête Rouge (2005) dépeint le guerrier comme un cruel bretteur égocentrique.
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Devant tant d’interprétations possibles, il est d'autant plus curieux qu’UCHIDA ait choisi de repartir sur des bases scénaristiques identiques à celles du premier volet de la trilogie d'INAGAKI. La seule différence notable est de débuter le film sur le champ de la bataille de Sekigahara (au lieu d'introduire brièvement Takezo et Matahachi avant leur départ précipité pour rejoindre les rangs des samouraïs) et d'accorder ainsi une plus grande importance au personnage de la mère de Matahachi (l'ancien comparse parti à la guerre en même temps que Miyamoto). Mis à part cela, le film reprend jusque les mêmes décors et une même mise en scène, seulement améliorée par quelques mouvements de caméra ou des découpages plus travaillés pour dynamiser le rythme. Quant aux personnages, Kinnosuke NAKAMURA n'a certainement pas le même charisme que le virulent Toshiro MIFUNE. Moins populaire qu’un Toshiro MIFUNE ou Raizo ICHIKAWA (dont il a repris – avec très peu de succès – le rôle de Nemuri Kyoshiro dans les deux derniers épisodes de la longue série éponyme après la mort de la vedette), NAKAMURA ne manque pourtant pas de déployer son talent tout au long des cinq épisodes, s'appropriant avec bonheur l'ambigu personnage de MIYAMOTO. Ce premier épisode reste largement dispensable pour celui qui aura déjà vu la version d'INAGAKI de 1954. Reprenant décors, trame scénaristique et mise en scène, ce n'est qu'à partir du volet suivant, que la série prend son propre envol. Pour tous les autres, se référer à la critique de Samurai 1; elle s’applique pour les deux films!
Miyamoto Musashi 2: Showdown at Hannyazaka Heights (Miyamoto Musashi : Hannyazaka no ketto) 1962
De : UCHIDA Tomu Avec : NAKAMURA Kinnosuke, IRIE Wakaba, KIMURA Isao, NANIWA Chieko
Avec ce second épisode, UCHIDA se distingue finalement de la précédente version en détaillant des segments coupés dans la trilogie. Si l'épisode ne convainc guère par son rythme trop lent, il permet surtout d'approfondir le personnage du rônin en quête d’accomplissement.
Son enseignement accompli, Shinmen TAKEZO quitte son village (et son nom) pour parfaire son accomplissement. Il décide d'aller affronter les combattants les plus réputés du pays. Après avoir provoqué l'école d'escrime de Yoshioka Seijuro, il s'en va affronter les experts en lances du Temple de Nara Hozoin, avant de s'attaquer à des rônins sans foi, ni lois sur les hauteurs de Hannyazaka.
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Le premier quart d'heure du second épisode de cette nouvelle adaptation de la célèbre légende du légendaire guerrier fait peur pour celui qui avait déjà vu la trilogie d'INAGAKI : le réalisateur UCHIDA choisit une nouvelle fois de reprendre idées et mise en scène à son prédécesseur. SHINMEN TAKEZO prend ainsi son nouveau nom de Miyamoto et refuse poliment l'offre qui lui est soumise de se soumettre aux ordres d'un influent Seigneur de la région. Il pense ne pas encore avoir accompli sa propre destinée et préfère prendre ses propres chemins pour parfaire son enseignement. En route, il retrouve la fidèle Otsu qui l’implore de l'emmener avec lui; le temps qu'elle ramasse ses affaires, il est parti, en ne laissant que quelques mots d'adieux gravés dans la rambarde du pont. Voilà comment se terminait – plan pour plan – le premier volet des aventures adaptées par INAGAKI; seule différence : UCHIDA propose une nouvelle fois une mise en scène plus dynamique et personnelle, "enfermant" littéralement la pauvre Otsu en la cadrant de derrière la rambarde du pont, comme si elle se trouvait derrière des barreaux – condamnant symboliquement la condition tragique de sa relation avec le célèbre bretteur. Heureusement, la suite diffère finalement de la précédente version. En choisissant d'adapter la fameuse légende sur un plus grand nombre de films, UCHIDA peut ainsi davantage coller au roman original et de développer intrigue et personnage. Alors qu'INAGAKI avait pris l'audacieux pari de "compiler" les chapitres 2 à 5 du livre "La pierre et le sabre" d'Eiji YOSHIKAWA pour ne retenir que l'important épisode de l'affront de Miyamoto face à l'école d'escrime de Yoshioka Seijuro, UCHIDA n'évoque que la première provocation du rônin qui s'en va d'abord combattre d'autres adversaires. Loin de mettre en scène la totalité des 60 duels de la légende, le film se concentre sur deux joutes importantes dans la voie de l'accomplissement de Miyamoto. La première est celle contre les experts en lances longues du Temple de Nara Hozoin. Muni d'un immense bâtonnet en bois dur, capable d'enfoncer des murs, l'adversaire n'est d'aucune taille face à la maîtrise de Miyamoto. D'une incroyable technicité, il est dommage que le film ne se soit pas davantage attaché à dépeindre comment le personnage principal a pu acquérir un tel talent, les livres ne suffisant certainement pas à lui donner force et agilité nécessaires. Le second combat est mené contre une bande de rônins errants sans foi, ni loi fait au moins du présent film un vrai chambara (le précédent épisode tenant davantage du jidai geki, aucun duel n'achevant le film). Cet impressionnant combat le voit abattre un nombre élevé d'ennemis tout en courant/fuyant ! L'affrontement est également symbolique de par la différence qu’il pointe entre Miyamoto – un samouraï sans maître – et de véritables rônins devenus brigands à force de n'obéir à aucun Seigneur. La séquence finale sur le champ de bataille sera également l’occasion d’une nouvelle leçon de spiritualité humanisant le personnage de Miyamoto. Outre les personnages récurrents de la série ( dont les éplorées Otsu, Akemi et surtout l'irrésistible couple de vieux revanchards), Jorato, jeune fils d'Aoki Tanzaemon, fait sa première apparition. Servant de messager au service de Miyamoto, la relation entre le rônin et l'enfant caractérise également la curieuse attraction que semble éprouver le fin bretteur pour de petits garçons. Est-ce l'envie d'une innocence perdue ou un amour paternel refoulé ? En tout cas, dès qu'il est en sa présence, son visage s'éclaire et il fait preuve de beaucoup de tendresse – à l'opposé de sa relation particulière avec les femmes. Curieusement, Jotaro va subitement disparaître pour être remplacé par un autre lascar dans le dernier épisode.
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Si la différenciation entre les deux adaptations est intéressante à plus d'un titre, cette version rallongée n'en est pas pour autant plus maîtrisée. Alors que les deux combats sont symboliques de l'approfondissement personnel de son caractère, Miyamoto semble pourtant peu évoluer. L'interprétation un peu effacée de l'acteur NAKAMURA est certainement pour quelque chose dans ce constat. En-dehors de ses deux combats – dont le premier n'intervient qu'au bout d'une heure– il ne se passe pas grand-chose. La provocation de l'école d'escrime sert de mise en place pour les deux volets suivants, mais à part cela, Miyamoto passe plus de temps à se promener ou à déblatérer des banalités avec d'autres personnages. Quelques plans de la vie quotidienne dans des – toujours aussi – somptueux décors sont les bienvenus, mais là aussi UCHIDA n'effleure que superficiellement un trait qu'il aurait pu exploiter bien davantage. L'ennui s'installe donc durablement et finalement la trilogie raccourcie a été une sage décision. Heureusement, les épisodes suivants viendront contrebalancer quelque peu cet état de fait, sans toutefois jamais prétendre aux ambitions premières visées, ni faire honneur à la puissance de la légende originelle.
Miyamoto Musashi 3: Birth of Two Sword Style (Miyamoto Musashi : Nitoryu kaigen) 1963
De : UCHIDA Tomu Avec : NAKAMURA Kinnosuke, IRIE Wakaba, KIMURA Isao, NANIWA Chieko
Changement de ton et de rythme pour ce troisième épisode : le personnage de Miyamoto Musashi disparaît pendant une bonne partie du film pour permettre le développement d’autres personnages puis une ré-apparition d'autant plus remarquée. De nouvelles aventures toujours pas à la hauteur de la légende, mais qui développent une vision plus personnelle de l'œuvre d'UCHIDA.
Après avoir défait les rônins sur les hauteurs de Hannayazaka, Miyamoto va défier le style Skinkage exercé par Sekishusai du clan des Yagyu. Pendant ce temps, le Yoshioka Seijuro se prépare à son prochain duel. Envoyant tout d'abord ses élèves affronter le rônin bretteur, il va finalement le combattre en personne lors d'un épique final sur les hauteurs de Rendaiji. Le troisième épisode des aventures de Miyamoto reprend exactement dans la continuité du précédent. Parmi les cadavres des rônins, Miyamoto réfléchit aux mots du prêtre du Temple de Nara Hozoin. L'esprit tourmenté, son accomplissement personnel est en voie et il aura l’occasion de mettre son talent à l'épreuve de la virtuosité d'adversaires réputés plus coriaces.
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Si le parti pris de ce troisième volet est audacieux (le rônin disparaît pour céder sa place au profit du développement des autres personnages), certaines scènes auraient été largement dispensables et ne font que ralentir un rythme déjà cahoteux depuis les débuts de la série. Sans doute UCHIDA aurait-il mieux fait de se concentrer davantage sur la complexe psychologie de son personnage principal dont la sensibilité est jusqu'à présent peu retranscrite. Mis à part les quelques duels et les leçons spirituelles acquises au compte-gouttes par Miyamoto, le réalisateur fait une large impasse sur ses tourments intérieurs – et notamment ceux liés à ses relations avec le sexe opposé. Les fidèles Otsu et Akemi refont leur apparition, mais feront la douloureuse expérience d'être mises à l'écart de la vie du bretteur totalement focalisé sur sa propre réussite. Toujours aussi somptueux dans ses magnifiques décors (naturels ou non), cette esthétique superbe ne peut pourtant combler un certain vide scénaristique. Plus dense et plus riche en action, ce nouvel épisode manque pourtant une nouvelle fois d'accéder à la flamboyance qu'aurait mérité l'adaptation de la légende. L'intrigue se traîne, UCHIDA ne semble pas pouvoir se décider quant à l’approche à adopter et se montre est très peu à l'aise avec le découpage en épisodes de la structure narrative. Le rassemblement de tous les personnages au lieu de rendez-vous fixé par les élèves de l'école d'escrime est d'ailleurs un rare moment de ridicule : tous semblent s'être donnés le mot pour revoir le personnage principal…pour un rendez-vous manqué, le véritable final n'ayant que lieu que plus tard dans le film.
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Pour terminer sur une fin largement ouverte – sans doute pour espérer ratisser un plus large public pour les suites à venir – UCHIDA use d'un procédé peu classieux, qui laisse dans l'expectative quant à la véritable issue du combat / de la mort de Yoshioka et surtout devant un Miyamoto qui semble tout d'un coup plonger dans une noirceur attendue depuis le début de ses aventures. ENFIN semble-t-il osciller entre cruauté et raison, prêt à succomber à l'esprit ténébreux d'un parfait assassin. La lueur d'un trait caractère comme les rayons de soleil rouge sang transperçant le ciel en arrière-fond. Une lueur d'espoir qui sera ravivée lors de l'apocalyptique final du prochain épisode. A noter la première apparition de son futur némésis, SASAKI Kojiro.
Miyamoto Musashi 4: Duel at Ichijoji (Miyamoto Musashi : Ichijoji no ketto) 1964
De : UCHIDA Tomu Avec : NAKAMURA Kinnosuke, IRIE Wakaba, KIMURA Isao, NANIWA Chieko
Renouant avec une intrigue telle que décrite dans la version des années 1950, UCHIDA démontre pourtant brillamment combien sa vision peut se montrer supérieure une fois sa créativité lancée. Atteignant finalement la quintessence même de l'œuvre originale, ce quatrième volet des aventures de Miyamoto Musashi constitue sans aucun conteste le meilleur de la série.
Les élèves et le frère de Yoshioka Seijuro jurent de venger sa mort et convient Miyamoto à un duel dantesque l'opposant à 73 hommes; dans l'ombre, SASAKI Kojiro attend son heure.
Débarrassé de toute référence, UCHIDA Tomu prend très à cœur la réalisation de ce quatrième volet des aventures de Miyamoto et signe sans doute là le plus passionnant épisode de la série. Echauffés par la mort de leur maître / frère, les élèves de l'école d'escrime de YOSHIOKA Seijuro jurent de le venger; alors que le rônin bretteur continue un accomplissement avant tout spirituel basé sur les préceptes du code du bushido. Lors d'une superbe scène, il assiste à une soirée, s'excuse et se rend à un duel fixé par ses adversaires avant de revenir tranquillement s'asseoir parmi les convives. Son esprit est désormais imperturbable, sa confiance en lui-même absolue. Il a également acquis la certitude que la seule force brute ne suffit pas à venir à bout de ses adversaires et il démultiplie dès lors les ruses (mentales) pour désarçonner ses adversaires avant même d’avoir porté le moindre coup d'épée. Ainsi, il se rend systématiquement en retard à ses rendez-vous pour rendre ses adversaires fébriles. De son coté, SASAKI Kojiro, qui apparaît par intermittence, commente les faits et gestes de son adversaire dans les moindres détails, acquérant ainsi la certitude de pouvoir dominer son adversaire.
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Convié à un combat l'opposant à pas moins de 73 adversaires, Miyamoto arrive à l'avance au rendez-vous afin de démasquer les différents pièges de ses ennemis. Dressant un rapide plan, il mémorise les positions des hommes à abattre avant de foncer dans la masse. Incroyable séquence finale, l'affrontement est dantesque, plongé dans une lumière verdâtre des premières lueurs du petit matin. D'une exemplaire mise en scène, UCHIDA relève le difficile pari de réaliser une très belle séquence parfaitement lisible, dans un décor peu propice aux mouvements de caméra qu'il exécute pourtant avec mæstria malgré des conditions de lumière particulières. Retranscrites en longs plans, les chorégraphies des nombreuses interprètes ont dû être savamment répétées avant de pouvoir tourner cette longue séquence. Malgré la bravoure de la scène, le clou du film reste pourtant le meurtre d'un absolu sang-froid par un Miyamoto déterminé à atteindre ses objectifs par n'importe quel moyen. Défié par un clan, il ne connaît désormais plus aucune pitié, que ses adversaires soient hommes, femmes ou enfants. Cette "révélation" de son – finalement – cruel caractère ne sera malheureusement pas suffisamment exploitée. Sans doute un geste trop extrême (cet épisode particulier n'avait déjà pas été retenu dans la précédente version, de peur de choquer le public), les producteurs devaient craindre de s'attirer l'antipathie de son public. Il ne faut pas oublier, que les studios de la Toei étaient avant tout connus pour leurs productions de masse destinées à un large public familial. Misant tout sur des rentables succès à rallonge (telle la série des Musashi, Tange Sazen ou Toyama no Kinsan) les financiers ne pouvaient évidemment se risquer à s'aventurer trop en avant dans leurs expérimentations.
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D'où finalement la semi-réussite de la transposition des aventures de Miyamoto. Le personnage était à la base un jeune homme fougueux et colérique, qui n'avait que très peu de sympathie des siens à cause de son exécrable caractère (voir sa traque à l'homme en début du premier épisode). Son égocentrisme et son obstination à devenir le meilleur lui valent bien évidemment de prendre certains choix radicaux. Ni INAGAKI, ni UCHIDA n'auront jamais réellement osé laisser planer cette ambiguïté du personnage une fois son enseignement achevé. Seule sa curieuse relation avec Otsu laissait paraître son caractère difficile. En tuant un enfant pour aller au bout de ses convictions, Miyamoto met pour la première fois en évidence sa bestialité contenue. Un paradoxe dans sa quête de spiritualité qui est des plus intéressants.
Miyamoto Musashi 5: Duel at Ganrule Isle (Miyamoto Musashi : Ganryu-jima no ketto) 1965
De : UCHIDA Tomu Avec : NAKAMURA Kinnosuke, IRIE Wakaba, KIMURA Isao, NANIWA Chieko
Rejeté pour avoir osé tuer de sang-froid un enfant pendant un combat, Miyamoto décide de changer de vie en devenant agriculteur. Débarrassant un village de l'emprise de bandits montagnards, il accepte finalement de reprendre les armes en acceptant le duel tant attendu contre – ce qui sera jusque-là – son adversaire le plus coriace : SASAKI Kojiro.
Dernier volet de cette nouvelle adaptation des aventures de Miyamoto Musashi et fin de sa longue quête personnelle. Dans la réalité, le rônin cessa tout duel suite à son laborieux combat contre SASAKI. Par la suite, il se consacra tout entier à l'étude de la calligraphie, des arts et ne combattit que pour réprimer la révolte des chrétiens à Shinabara ou pour enseigner l'escrime à de riches Seigneurs. Toute son éducation des armes aboutit donc à ce seul duel avec SASAKI. Apparaissant régulièrement depuis le troisième épisode pour observer les techniques de combat de son adversaire, SASAKI semble un adversaire de taille par la seule confiance qu’il transpire. La légende lui attribue une réputation certaine dans une bonne partie du Japon, notamment pour pratiquer le coup de"l'hirondelle", inspiré par le mouvement particulier de la queue de l'oiseau pour se propulser en plein vol. Une autre caractéristique est son épée particulièrement longue, une arme que Miyamoto décidera finalement de contrer en taillant une épée en bois de une rame de bateau.
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En réalisant ce cinquième épisode forcément attendu, UCHIDA retombe quelque peu dans ses anciens travers en s'inspirant d'un peu trop près à ce qui s'était déjà fait auparavant. Comme s'il ne savait se détacher des réalisations passées – et notamment de la version d'INAGAKI – il reprend les décors ainsi qu’une bonne partie de la structure narrative du troisième épisode de son prédécesseur. Toute la grâce et légèreté relatives qui se dégageaient du précédent volet totalement novateur, semblent ici s'être volatilisées. UCHIDA reprend avec entrain le laborieux épisode du retour à la terre de Miyamoto, de sa protection contre les envahissants bandits – scène moins inspirée des "Sept Samouraïs " que dans la version d'INAGAKI.. Seul élément plus proche de l'esprit du roman originel : l'implication des clans pour valider la "légitimité" du duel. Si la version d'UCHIDA est supérieure à la version d’INAGAKI (mise en scène plus dynamique et audacieuse, les décors encore plus somptueux et – surtout – les personnages plus approfondis), elle n’en reste pas moins imparfaite. UCHIDA refait ce qui avait déjà été réalisé avant lui, sans réussir à insuffler une vision particulière à la légende; seul le quatrième volet se détache du lot, notamment lorsqu’il ose enfin montrer toute l'ambiguïté du personnage. Sa quête se transforme en une laborieuse aventure sans réel enjeu autre que les traditionnels combats intervenant en cours d'un épisode – certainement pas suffisant pour retenir l'intérêt du spectateur sur une durée de près de deux heures (multiplié par 5 épisodes !). Un constat d'autant plus étonnant que les années 60 virent l'émergence de nombreux personnages nihilistes (Nemuri Kyoshiro; Tsukue RYUNOSUKE dans la trilogie du Passage du Grand Bouddha,…), teintant d'une noirceur sans précédent un genre en plein déclin. Nul doute que la seule implication de Toei ait à voir dans cette représentation unilatérale de Miyamoto Musashi…
Miyamoto Musashi 6 : Swords of Death (Miyamoto Musashi : Shinken Shobu) 1971
De : UCHIDA Tomu Avec: NAKAMURA Kinnosuke, MIKUNI Rentaro, OKIYAMA Hideko, MATSUYAMA Teruo
Cinq ans après la fin officielle de la saga, UCHIDA revient à ce qu'il considérait comme l'un de ses travaux les plus aboutis. Curieusement, le cinéaste décide non pas à dépeindre un épisode de la – pourtant riche – vie du bretteur mais s’attache à mettre en scène un affrontement inédit. Bien moins spectaculaire et commercial que les précédents épisodes, le duel entre Musashi et Baiken Shishido débouche sur un drame intimiste qui donne un aperçu unique de ce dont le cinéaste aurait été capable s'il avait eu les coudées plus franches sur les reste de la série.
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Difficile d'estimer de nos jours ce qui a effectivement été réalisé des mains d'UCHIDA: décédé en cours de tournage, la fin du métrage et le montage ont donc été terminés après sa mort. Curieuse envie également que de revenir sur une saga achevée cinq ans auparavant; un retour qui obligea le réalisateur à des négociations serrées avec la Toho pour lui permettre de financer à maigres ressources cette annexe aux aventures du fameux bretteur (les précédents épisodes avaient été produits par la Toei). Tenu par ses producteurs de réaliser un projet largement commercial dans une veine similaire à celui de INAGAKI, il n’a certainement pas pu donner sa vision personnelle qui transparaissaient pourtant à plusieurs reprises dans des instants furtifs de pur talent, notamment dans la poignante scène – volontairement "évincée" – du meurtre d'un enfant par le guerrier. Si UCHIDA avait bien évidemment été tenu de faire de son personnage principal un héros charismatique auquel le public aimait à s'identifier; le cinéaste n'avait cessé de laisser transparaître sous la mince couche d'idéalisme les traits d'un héros bien plus ambigu. Sans prendre le total contre-pied de sa précédente présentation du héros, UCHIDA profite pourtant de cette aventure tardive pour dépeindre plus durement le personnage de Miyamoto Musashi. Dès l'introduction, le réalisateur remet directement en cause une part de la prétendue célébrité en évoquant le fait, qu'à nul moment, Miyamoto n'ait abordé la technique des deux sabres pour laquelle il était réputé…Sa célébrité ne tiendrait-elle donc finalement que des rumeurs et "on-dit" ? L'aventure démarre aussitôt sur la visite impromptue de Musashi au domicile de Baiken Shishido célèbre – lui – pour utiliser une technique à deux mains, se servant d'une chaîne (pour immobiliser, voire s'emparer de l'arme de son adversaire) et d'une faucille (pour parer les attaquer et achever l'ennemi). Si l'épisode n'a finalement que très peu à voir avec la précédente saga épique, elle inclut un autre épisode faisant écho avec un fait précédemment traité : la relation particulière de Miyamoto aux enfants. Dès son arrivée, il a un regard attendri pour le jeune garçon assis au milieu de la pièce. Rappelant tout d'abord ses compagnons de route passés, l'enfant va pourtant endosser une toute autre importance. En prenant en otage le garçonnet, Miyamoto prend ce qu'il y a de plus cher pour des parents : la vie de leur enfant; rappelant forcément le douloureux épisode, où le bretteur avait délibérément tué le fils de son adversaire (d'ailleurs souligné dans la – pourtant furtive – introduction). Cet épisode met en évidence la principale force du célèbre guerrier : s'il possède un talent certain au sabre, il domine ses adversaires avant tout par sa ruse. Il ne viendra au bout du clan Yoshioka qu'en étudiant au préalable les positions stratégiques de ses opposants; il ne gagnera contre Kojiro que par une simple ruse. Craignant véritablement pour sa propre vie (ce que LUI a de plus cher et dont ses adversaires aimeraient le priver), il imagine donc le simple plan que de prendre en otage le garçonnet pour tenir en échec les parents. Sa ruse ne fonctionne finalement qu'à moitié, la mère abandonnant certes les armes, mais la stratégie rendra d'autant plus fou le père – non pas par peur pour son enfant (il continue d'attaquer Miyamoto de sa chaîne), mais par fierté d'avoir été ainsi "dupé". L'enfant fait ainsi office de "miroir", reflétant autant la cruauté (que ses parents tentent d'ailleurs de lui inculquer en le forçant d'assister à leurs séances d'entraînement) que les traits de caractère de ses parents (la femme a un véritable instinct maternel, alors que le père agit en simple guerrier).
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Si dans la série, tous les affrontement fonctionnaient sur un principe identique, UCHIDA procède différemment dans cet ultime volet : jamais encore le combat n'a été aussi "mental". L'action spatiale est ici réduite au minimum : l'intrigue se passe quasiment en huis clos, dans – et autour – de la seule maison de Baiken. L'enjeu est rapidement posé : Miyamoto va devoir affronter le bandit pour répondre de l’assassinat du beau-frère durant la guerre. La première partie s'attache à l'attente des "renforts" et de leur attaque "surprise" durant la nuit; ce combat ne dura finalement pas très longtemps – surtout en vue du grand nombre d'opposants. Ce qui intéresse véritablement UCHIDA est le combat opposant Miyamoto au couple – qui, lui, sera allongé au possible. Il est impressionnant de comparer le nombre de coups effectivement donnés pendant la durée totale de l'affrontement; et au cinéaste de réussir l'une des plus belles séquences d'action…sans action. UCHIDA y réussit également une formidable décharge émotionnelle; autant dans la mise en place (jusqu'au moment où Miyamoto arrive à s'emparer de la victime), que dans l’exécution (les nombreux rebondissements pendant que Miyamoto tient le garçonnet en otage).
Si la violence du combat mental atteint son apogée lorsque la mère cherche à tout prix à allaiter son fils (l'instinct maternel poussé à son paroxysme), UCHIDA livre pourtant encore d'autres rebondissements pour ne pas laisser retomber la tension (le premier duel entre Baiken et Miyamoto; le premier départ du célèbre bretteur; le feu…). Le dénouement semble effectivement avoir été tourné en toute hâte et conclut l’ensemble de manière peu satisfaisante; pourtant rarement un (non-)duel dans un chambara n’aura été aussi abouti.