.Muscle
 
Titre original:
Kurutta Butokai
   
Réalisateur:
SATOU Hisayasu
Année:
1988
Studio:
-i
Genre:
Pinku-eiga
Avec:
ITO Takeshi
KUMAI Simon
ITO Kiyomi
SUZUKI You
 dre
Membre coupé

S'il est bien un réalisateur qui divise, il s'agit assurément de Hisayasu Satou. Fer de lance du renouveau du pinku-eiga au milieu des années 80 qui entraîna dans sa suite des cinéastes plus classiques, son univers reconnaissable entre mille provoque autant de fascination que de dégoût. Films ouvertement sulfureux brassant érotisme déviant et déprime urbaine avec un net attrait pour l'expérimentation visuelle, les œuvres de Satou ressassent à l'infini les mêmes obsessions morbides jusqu'au malaise. Plus connu en Occident pour son célèbre Naked Blood, une œuvre à part qui l'a malheureusement vite catalogué au rayon des auteurs gores, son impressionnante filmographie dégage une thématique autrement passionnante et fascinante. Souvent qualifié de prétentieuses esbroufes, il convient de replacer ses travaux dans leur contexte originel pour mieux en apprécier leur singularité. Muscle, une de ses premières réalisation, fait parti de sa série de barazoku-eiga (films gay), un sous-genre incontournable du pinku eiga. La sexualité chez Satou, c'est surtout l'expression des pulsions cachées. Souvent violente et morbides, ici cette thématique ne diffère guère de celle de ses films hétérosexuels. Les actes sexuels n'y tiennent d'ailleurs qu'une place secondaire, s'effaçant vite derrière les traumas de ses personnages. Muscle illustre d'ailleurs bien cette orientation qui confine à l'obsession maladive.

Ryuzaki est photographe pour Muscle, un magazine de body-building. Il tombe amoureux de Kitami, un jeune homme rencontré lors d'une exhibition culturiste avant-gardiste. Fascinés par la douleur, leur relation tourne rapidement aux pratiques sadomasochistes. Un jour lors d'une séance photo, Ryuzaki pris d'une pulsion incontrôlée tranche le bras de son amant. Libéré après un an de prison, Ryuzaki retrouvera l'air libre et ne pourra s'empêcher de retrouver son ancien partenaire.

Habitué aux scénarios complexes mêlant flash-back et onirisme, Satou s'appuie ici sur un canevas somme toute linéaire. Muscle illustre la dérive d'un homme à la recherche désespérée de l'homme qu'il aimait. Une structure qui donne au film un arrière goût de thriller lorsque Ryuzaki s'enfonce la nuit dans les ruelles glauques de Tokyo. L'esthétique résolument eigties s'accorde ici parfaitement à l'univers dépeint. Filtres bleuâtres, néons à la lumière blafarde et mortifère, Satou déréalise les lieux qu'il filme les teintant d'une inquiétante et souterraine noirceur renforcée par l'emphase de Satou sur l'univers fantasmé de l'homosexualité. Peu d'expérimentations visuelles mise à part son attrait prononcé pour les reflets en tout genre. Film-monde donc, où l'ambiance prime avant tout.

La thématique sadomasochiste reste malheureusement superficielle, la relation entre les deux amants peine à faire ressentir leur tourments intérieurs. Comme souvent chez Satou, ses films sont résolument hermétiques. Le moteur du récit manque ici d'intensité et se résume aux déambulations paranoïaques de Ryuzaki dans divers lieux tels docks, salles de cinéma ou ruelles désertes. L'adjonction purement gratuite d'un couple hétero au récit n'en donnera pas pour autant le rebond espéré. Heureusement comme tout pinku-eiga, Muscle est court (une heure) ce qui l'empêche de s'effondrer faute de corps. Cinéphile averti, Satou double son film d'une réflexion cinématographique. Le personnage central est tenancier d'une salle obscure avant-gardiste, il est question de Pier Paolo Passolini et de son Salo. Las, ces références prétentieuses ne sont que pures citations sans aucun travail de ré-appropriation ou hommage.

Reste que Muscle comporte de belles et fortes visions singulières qui font tout son intérêt. L'étrange scène d'introduction où culturistes se mêlent à un danseur de buto décharné, le bras tranché que Ryuzaki conserve dans du formol telle une relique qui causera sa perte, la rencontre finale des deux amants dans une salle de cinéma au pied d'une toile nue entourée des protagonistes masqués comme un bal costumé macabre, la danse en bout de quai portuaire entre un manchot (Kitami) et un aveugle (Ryuzaki qui s'est crevé les yeux avec son sabre), les surprenantes et froides mélodies synthétiques.

Typique du travail de Satou, Muscle manque de maturité et reste malheureusement trop creux pour convaincre Néanmoins, l'univers fascinant et déprimant qu'il dégage saura satisfaire les amateurs de cinéma différent. Etrange et maladif.

 
Martin Vieillot