. Nemuri Kyoshiro 10 : Woman Hell
 
Titre original:
Nemuri Kyoshiro - Onna Jigoku
   
Réalisateur:
TANAKA Tokuzo
Année:
1968
Studio:
Daiei
Genre:
Jidai-geki
Avec:
ICHIKAWA Raizo
TAKADA Miwa
MIZUTANI Yoshie
ABE Toru
 dre

Décadence d'une époque

L’époque de Nemuri Kyoshiro est celle de l’ambition et du pouvoir. Par profit personnel, les hommes détournent volontiers les codes et valeurs de cette société sans jamais se voir inquiéter. À croire que l’ensemble du système a oublié la signification des valeurs, devenues simples normes d’apparence. La morale n’existe plus. Vu l’état de l’époque, la figure du rônin cynique ne peut que prospérer, l’homme n’appartient à aucune machine du système, il est libre et porte un regard sans concession sur son environnement. Plus question de le réorienter, du moins pour le moment. La route de Kyoshiro est parsemée de morts et d’assassinats, des victimes de l’ambition et des complots de seigneurs arrogants. Tout dans cet épisode pointe la faillite de cette époque avec comme spectateur, un rônin cynique et distant. Et le point de départ de cet échec, c’est une banale guerre entre deux clans qui tourne à la folie généralisée. Ce conflit va pousser les hommes à agir en bêtes, à trahir les idéaux de base à la société pour tenter d’effleurer un pouvoir abstrait.

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Pour de nombreux rônins, une guerre de clans représente une aubaine. C’est l’occasion rêvée de trouver du travail et de regagner un statut honorable, être samouraï. Mais pour les seigneurs, ce qui importe est plus la victoire que l’honneur. Il faut pouvoir s’offrir les services du meilleur rônin pour espérer gagner. Autrement dit, les samouraïs deviennent des marchandises commandées pour se faire tuer, se soumettre aux ordres d’un seigneur. L’intrigue présente trois cas différents de rônins, à chacun son camp. Le premier est un homme mystérieux, il applique à la lettre ce qu’on lui ordonne de faire, ni plus, ni moins. Il n’est pas payé pour penser ou prendre des initiatives. Il n’est pas animé par l’honneur, il se contente de faire son travail, tuer quand il faut tuer, et attendre quand il faut attendre. Comme l’homme est l’enfant d’une liaison entre un seigneur et une femme quelconque, il a vécu loin de la richesse seigneuriale,  ce qui ne l’empêche pas de savoir se tenir avec dignité.

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Le second est un personnage atypique, plutôt vulgaire, il n’a aucune classe. C’est un opportuniste par excellence qui vient chercher fortune. D’ailleurs, il ne s’en cache pas en faisant régulièrement monter le prix de son salaire lorsque son seigneur lui assigne une mission. Puisqu’il est l’unique véritable force d’un clan, il se permet de marchander son travail auprès d’un seigneur qui encaisse l’affront sans rien dire. Et bien qu’il maîtrise le sabre, il ne dispose pas d’une vraie lame, n’ayant pas les moyens de s’en offrir une. Il doit se contenter d’une camelote à bas prix qui cassera rapidement, au mauvais moment. Le dernier, c’est simplement Nemuri Kyoshiro. Il est libre et agit comme bon lui semble. C’est justement parce qu’il est trop libre que les deux clans veulent le tuer, il dérange. Pour le piéger, les clans font appel à des femmes sachant que l’homme ne résiste pas à ces objets agréables. Tout comme les rônins, les femmes sont des marchandises exploitées avec le même but, atteindre le pouvoir. L’intérêt des femmes, c’est que le danger n’est pas apparent, elles n’ont qu’à charmer les proies pour espérer les éliminer. Il ne faut pas attendre d’un Kyoshiro qu’il se laisse faire, il n’est pas cynique pour rien.

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À la réalisation, Tokuzo Tanaka offre un travail soigné. Ses plans sont exemplaires, il utilise souvent un élément du décor pour composer l’espace, le diviser, et répartir les hommes dans ces cellules. Par exemple, des arbres ou des branches, parfois même directement au premier plan. En intérieur, il exploite l’architecture pour quadriller l’espace, les formes sont plus précises et carrées. Dans ces passages, Tanaka laisse une marge de vide, c’est-à-dire que les personnages ne sont pas compressés entre des éléments, devant eux il reste de l’espace. La musique va aussi contribuer à renforcer l’identité de Nemuri Kyoshiro, avec des sonorités d’influence hispanique rappelant les origines du rônin. Tokuzo Tanaka réalise l’une des meilleurs aventures de Kyoshiro, l’épisode s’interroge sur la famille sur l’état de l’époque, une thématique en phase avec ce qu’est le rônin cynique et errant.

 

Michaël Stern (Wild Grounds)