. Nemuri Kyoshiro 12 : Hunt for the wicked woman
 
Titre original:
Nemuri Kyoshiro - Akujo Gari
   
Réalisateur:
IKEHIRO Kazuo
Année:
1969
Studio:
Daiei
Genre:
Jidai-geki
Avec:
ICHIKAWA Raizo
KOIKE Asao
KUBO Naoko
FUJIMURA Shihoi
 dre

L'au revoir du rônin

À la cour shogunale, les courtisanes se livrent une lutte sans merci pour s’imposer comme la mère du futur héritier. Elles doivent éliminer les potentielles concurrentes, surtout celles avec quelques mois de grossesse d’avance. Cette course au pouvoir est organisée par des hautes courtisanes, qui comme un entraîneur fait tout pour voir son équipe gagner. Fines manipulatrices, ces femmes usent de leur charme auprès des hommes, accompagné d’un peu de poison pour épicer les rencontres. Entre elles, il n’y a aucune pitié, elles dévoilent un visage monstrueux capable de torturer les opposantes, de les tuer avec grand plaisir. Les couloirs du palais baignent dans le feu malgré les avertissements.

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Le thème de la naissance est au cœur du film, faisant le parallèle avec les origines de Nemuri Kyoshiro, l’enfant bâtard. Ici, les femmes enceintes rencontrent plusieurs problèmes. Pour les plus pauvres, il est impossible d’accueillir une nouvelle bouche à nourrir, il vaut mieux passer par l’avortement, dans un endroit secret. Pour d’autres, l’impossibilité provient d’une différence de classe sociale, un fils d’une famille de samouraïs ne peut penser vivre avec une prostituée. Les mœurs bloquent la relation, poussant ce couple au suicide ou pire, au lynchage public. L’ironie de cette situation, comme le remarque Kyoshiro, c’est qu’un hôtel de passe se trouve juste en face d’une clinique clandestine. D’un côté, les gens payent pour s’offrir un moment de plaisir, de l’autre, ils payent pour se faire ôter le résultat de ce moment. Dans les deux cas, le propriétaire des lieux ramasse de l’argent sans problème. La présence d’un endroit pareil est tolérée par tous, tout en connaissant l’opportunisme de ce genre d’affaire, gagnant de l’argent sur le malheur des femmes. Mais que faire quand l’endroit est régulièrement visité par les hauts dignitaires pour régler des problèmes internes.

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Avec le thème de la naissance, le film aborde la religion. À cette époque, les chrétiens sont martyrisés par le gouvernement, ils doivent se cacher pour pratiquer leurs rites. Sinon ils sont arrêtés et sont torturés avant d’être tués. Encore une idée cohérente qui rappelle bien Nemuri Kyoshiro, l’enfant d’une messe noire. Dans l’histoire, les chrétiens servent aux intérêts d’une courtisane. La femme promet la liberté en échange de quelques services, comme piéger Kyoshiro, l’accuser d’être l’auteur de divers meurtres. Des horreurs que le chef des chrétiens accepte de faire, tout est bon pour se rendre au paradis, même exécuter des dignitaires responsables des chasses aux chrétiens. Pour agir, ce chef se déguise en Nemuri Kyoshiro, adoptant tout jusqu’à sa fameuse technique mortelle. Pour l’homme, il n’y a aucun problème à s’attaquer au rônin, après tout il représente un personnage démoniaque et cynique. Via cet imposteur, le film s’interroge sur l’identité propre de Kyoshiro. Une piste intéressante pour ce qui s’avère être le dernier épisode de l’acteur Raizo Ichikawa, mort six mois plus tard. Est-ce que l’acteur, figure du rônin, peut-il être remplacé ?

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D’entrée, le réalisateur Kazuo Ikehiro va jouer avec l’imposteur pour mieux nous duper. Nemuri Kyoshiro est d’abord présenté par son blason particulier, neutre et sans attache, puis l’on assiste à la technique mortelle filmée au niveau des pieds, comme souvent durant la série. Toutes ces particularités font immédiatement penser au rônin, et cela même sans avoir vu sa figure. Deux indices trahissent l’imposteur, un visage masqué, bizarre pour un homme qui n’a rien à cacher d’habituellement, et des meurtres signés. Alors quand le véritable Kyoshiro apparaît pour la première fois, il est accompagné par un croissant de lune, tous les doutes se dissipent. Cette dualité entre Nemuri Kyoshiro et son imposteur permet d’opposer le rônin à sa propre image. Comme lors d’une scène où l’homme fait face à un miroir, faisant penser qu’il affronte l’usurpateur. Cette opposition trouvera son apogée avec le combat final, enfin la véritable rencontre entre les deux hommes, usant de la même technique mortelle. Cet ultime affrontement marque la renaissance de Nemuri Kyoshiro, le mythe devient éternel. Il accède à la postérité en effaçant définitivement sa part d’ombre, de doutes, sans pour autant rejoindre un autre monde comme ces chrétiens. Kyoshiro reste le simple vagabond cynique d’une époque décadente.

 

Michaël Stern (Wild Grounds)